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V. '.-.^V
GRAMMAIRE ÉLÉMENTAIRE
VIEILLE LANGUE FRANÇAISE
CoBDBiL. Typ. et slôr. CnctB.
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GRAMMAIRE ÉLÉMENTAIRE
DE LA
GLEDAT
PROFESSEUR DE LANGUE ET DE LITTERATURE FRANÇAISES DU MOYEN AGE
A LA FACULTÉ DES LETTRES DE LYON
ANCIEN ÉLÈVE DE L 'ÉCOLE DES CHARTES
ANCIEN MEMBRE DE l'ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME
PARIS
GAHNIER FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS
0, RUE DES SAINTS-PÈRES, 6
ES, t)
SEEN BY
PRESiiRVATîON
StkVKES
DATE...T
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PRÉFACE
^ Si ce livre n'est pas trop au-dessous du but que
s'est proposé l'auteur, il pourra conduire à la connais-
sance de notre vieille langue non seulement ceux qui
font ou qui ont fait des études classiques complètes,
mais encore ceux qui ne sont pas allés au delà d'une
bonne instruction primaire et qui n'ont aucune notion
préalable de la grammaire latine. Sans doute ce se-
rait une chimère que de vouloir expliquer le dévelop-
pement de notre langue en se passant du latin. Mais,
s'il est nécessaire de connaître l'organisme du latin, il
n'est pas indispensable d'avoir fait de cette langue une
étude approfondie. Ce qu'il en faut savoir est bientôt
appris : la déclinaison réduite à deux cas, la conju-
gaison réduite à quelques temps de la voix active. J'ai
tâché de réunir dans ce livre toutes les notions de
grammaire latine qui sont particulièrement utiles pour
comprendre la granunaire française du moyen âge.
M'occupant, depuis plusieurs années, de rassembler
les matériaux d'une grammaire développée du vieux
YI PREFACE.
français, j'avais, sur la plupart des questions que j'ai
dû aborder ici, des notes abondantes entre lesquelles
il m'a fallu choisir, pour ne pas dépasser les limites
d'un ouvrage élémentaire. Il importait de laisser de
côté les détails qui n'auraient pu que rebuter les
commençants et disperser inutilement leur attention,
ou charger leur esprit de connaissances qui ne sau-
raient y demeurer. i\[ais il n'importait pas moins
de n'omettre aucun phénomène essentiel, et, sans pré-
voir, ce qui serait impossible, toutes les difficultés qui
peuvent se présenter dans la lecture d'un vieux texte
français, de préparer l'esprit du lecteur à les résou-
dre^ par des notions très précises sur les lois géné-
rales et les principales exceptions. Je n'ose me flat-
ter d'avoir toujours été heureux dans le choix de ce
qu'il fallait dire et de ce qu'il convenait d'omettre :
ee que je puis affirmer, c'est que je ne me suis jamais
décidé à la légère et sans mûre réflexion.
Je ne pouvais songer à aborder l'examen comparé
des différents dialectes du vieux français. Je me suis
borné, en général, aux formes d'où dérive le français
actuel, sans négliger toutefois de signaler les formes
dialectales les plus remar(juables, et celles qui pou-
•vaient éclairer l'étude du français proprement dit.
C'est à l'École des Chartes, au cours de M. Paul
Meyer, que j'ai appris les premiers éléments de la
phonéli(jue, qui est l'objet d'une partie de ce volume.
Mais l;i science des origines de notre langue fait tous
PREFACE. VH
les jours de nouveaux progrès, et, sans parler de mes
recherches personnelles, j'ai dû mettre à profit les
nombreux articles de revues et travaux de tout
genre qui augmentent sans cesse la quantité des faits
connus et des problèmes résolus. Parmiles savants qui,
à des degrés divers, ont contribué à ces progrès, je
citerai : en France, MM. Gaston Paris, Camille Cha-
baneau, Anatole Boucherie, Natalis de Wailly, Arsène
Darmesteter, Léon Gautier, Louis Havet, Marty-La-
veaux, et à l'étranger, après Frédéric Dicz, qu'on doit
mettre hors de pair, 3LM. Tobler, Fœrster, Bartsch,
Cornu, Mussafia, Scheler, Lûcking, Ayer. Je cite ces
noms au hasard, n'ayant pas la prétention de fixer des
rangs ni de donner une liste complète. Si on voulait dé-
terminer la part de chacun dans les résultats actuelle-
ment acquis, il faudrait, pour chaque point particulier,
une longue bibliographie, qui ne saurait entrer dans
un livre élémentaire, mais qui trouvera naturellemeni
sa place dans la grammaire détaillée que je prépare.
Je dois une mention spéciale aux vastes dictionnaires
de MM. Littré et Godefroy, qui sont, comme on Fa
dit, de merveilleux instruments de travail. Enfin il
serait injuste de ne pas signaler les services qui ont été
rendus par les ouvrages de M. Brachet *. Ils ont
commencé avec éclat la grande œuvre de la vulgari-
1. A la suite do M. Bi'achet, presque tous les auteurs de nouvelles
grammaires frannaises, — et notamment M. Ciiassang, — ont fait une
place à riùstoiro de la langue.
YIII PRÉ?ACE.
sation, complément indispensable de l'œuvre scien-
tifique. J'ai lâché d'aller plus loin dans la même voie,
et je serais heureux que mes efforts méritassent du
public un peu de l'estime que je professe pour ceux
de mon devancier*.
L. GLÉDAT.
1. J'adresse ici tous mes remercîments à mon excellent collègue,
M. Brunot, qui a bien voulu m'aider à revoir, non sans profit, les
épreuves de ce livre, et qui s'est acquitté de celte tâche ardue avec
une complaisance que je ne saurais trop reconnaître.
Deuxième édition.
Je remercie les critiques qui se sont occupés de
mon livre, et particulièrement MM. Chabaneau et
Stimming, des utiles améliorations qu'ils m'ont per-
mis d'introduire dans cette seconde édition.
Quant aux remarques de détail que j'avais systé-
matiquement négligées pour ne pas enlever à cet
ouvrage son caractère élémentaire, une bonne partie
ont trouvé place dans l'introduction, les notes et le
glossaire de nos Morceaux choisis du moyen âge.
Enfin l'explication des usages de la langue actuelle,
qui ne peut figurer qu'accessoirement dans une
grammaire de la vieille langue, recevra tout le
développement qu'elle comporte dans la Grammaire
histonque que nous préparons.
L. GLÉDAT.
GRAMMAIRE ELEMENTAIRE
DE LA
VIEILLE LANGUE FRANÇAISE
te
INTRODUCTION ET NOTIONS PRÉLimiNAIRES
CHAPITRE PREMIER
LA LANGUE
ORIGINE DE LA LANGUE FRANÇAISE
§ 1. — La langue française est une langue romane, c'est-
à-dire dérivée de la langue romaine ou latine. Les autres
langues romanes sont : l'italien, l'espagnol, le portugais,
le roumain. En réalité il y a eu en France deux langues
romanes: la langue du Midi, appelée langue d'oc parce que
oui se disait oc (aujourd'hui o) dans le Midi de la France,
et la langue du Nord, ou langue d'oïl, langue d'oui, qui
est le français proprement dit.
§ 2. — Une langue se compose essentiellement de deux
éléments : de mots et de flexions. L'ensemble des mots
constitue le vocabulaire ou le dictionnaire. Les flexions,
dont on donne le tableau dans les grammaires, sont des
désinences qui, en s'ajoutant à la partie invariable des
mots, permettent d'exprimer les circonstances accessoires
Clédat. 1
2 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
de nombre, de genre, de temps, de mode, de personne.
C'est à ]a fois par ces deux éléments que notre langue est
romane ; les mots du vocabulaire français sont en grande
partie d'origine latine, et toutes nos flexions dérivent du
latin : ceux des mots français qui viennent d'autres lan-
gues ont des flexions d'origine latine, comme le mot ger-
manique wartên, qui a eu sa désinence germanique en
remplacée par la désinence latine are, devenue en fran-
çais er/ c'est ainsi que ivartên a produit garder, et dans
toute la conjugaison de ce verbe les flexions romanes sont
substituées aux flexions germaniques.
FORMATION DU VOCABULAIRE
I. — Époques et procédés de formation.
Origines diverses des mots français.
§ 3. — Je viens de dire que nous devions au latin la plu-
part des mots de notre vocabulaire. Nos autres mots vien-
nent de langues très diverses : nous les avons empruntés
à tous les peuples avec lesquels nous avons été en rela-
tion aux difl'érentes époques de notre histoire. Tout d'a-
bord nous trouvons représentées dans la langue, au mo-
ment où elle s'est constituée, les trois grandes races qui
ont formé, en se combinant, la nationalité française : à
côté des mots latins nous avons des mots germaniques et
des mots celtiques, qui s'étaient d'ailleurs introduits dans
la langue latine parlée en Gaule, avant que celle-ci eût
subi la transformation qui devait en faire le français. Nos
relations successives avec les Orientaux et les Grecs, au
commencement du moyen âge et surtout à l'époque des
Croisades, avec les Italiens au temps des guerres d'Italie
et des reines de France italiennes, avec les Espagnols pen-
INTRODUCTION. — LA LANGUE. 3
dant la Ligue, sous Louis XIII et sous Louis XIV, avec les
Anglais et tous les autres peuples dans les temps moder-
nes, ont fait aussi entrer dans notre langue un grand nom-
bre de mots appartenant aux langues de ces différents
peuples*. A toutes ces causes du développement de no-
tre vocabulaire, il faut joindre l'étude des œuvres littérai-
res des Grecs et des Latins, dont l'influence s'est surtout
manifestée aux xv^ et xvi"* siècles.
Mots savants et mots populaires.
§ 4. — Parmi les mots français d'origine latine, il im-
porte de discerner les mots savants des mots populaires, et
les mots de formation latine des mots de formation fran-
çaise.
Les mots populaires sont le produit de la transforma-
tion insensible des mots latins que nos ancêtres avaient
appris des Latins eux-mêmes. En modifiant insensiblement
la prononciation de ces mots, nos ancêtres ont suivi des
lois inconscientes, mais très précises. A un même son la-
tin correspond toujours un même son français : par exem-
ple, les mots latins qui avaient un e bref tonique ont donné
des mots français oii l'e tonique est remplacé par la diph-
tongue ié ou iè : pied, hier, lièvre, fièvre, etc. Les mots
populaires ont l'accent tonique ^ sur la même syllabe que
les mots latins correspondants. Dans la prononciation du
mot latin mobile, d'où vient meuble, on appuyait sur la
première syllabe en faisant à peine entendre l'i, à peu
près comme les Italiens prononcent aujourd'hui le même
mot; dans le français meu6/e l'accent tonique est aussi sur
la première syllabe.
1. Pour les exemples de mots de ces différentes oriKines, consulter
La langue française, par II. Cochcris et G. Strchly. — Paris, Delagrave.
2. Pour la déliaitioa de l'acceut tonique, voyez ci-dessous, § 12.
4 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
§ 5. — Les mots dits savants, introduits dans la langue
par les littérateurs et les savants, sont la reproduction,
lettre par lettre, de mots latins le plus souvent mal pro-
noncés, dont on a simplement francisé la terminaison. Le
français mobile, mot savant, vient du même mot latin que
meuble ; xxidii?, l'accent tonique se trouve déplacé, puisqu'il
porte sur \i que les Latins faisaient à peine entendre, au
lieu d'être sur la première syllabe. Meuble et mobile re-
montent donc au même mot latin, mais ils ont reçu des
acceptions très différentes, quoique dérivées toutes deux,
par des voies diverses, du sens latin. Ces doubles formes
d'un même mot latin, qui sont fréquentes en français,
sont appelées doublets: « fragile » est le doublet de « frêle »,
« captif » de « chétif », etc.
Il y a des mots qui ne sont que partiellement savants ;
ainsi dans adjuger, juger est populaire et ad est savant :
adjudiquer serait tout à fait savant, ajuger tout à fait po-
pulaire. Le plus grand nombre des mots savants de la
langue française ne sont pas antérieurs au xv* siècle, mais
quelques-uns se trouvent dans les textes les plus anciens.
A mesure qu'on s'approche du xvi* siècle ils deviennent
plus nombreux.
§ 6. — On trouve souvent plusieurs formes populaires
d'un même mot latin. Ainsi charger, charrier, charroyer
sont dérivés par des voies diverses, mais également popu-
laires, du latin* carricare. Si ce mot avait aussi donné une
forme savante, ce serait « carriquer », analogue à « mas-
tiquer » de « masticare ». Une des causes principales de
la présence dans la langue des doubles formes populaires
est l'introduction dans le français proprement dit, c'est-cV
dire dans le dialecte de l'Ile-de-France, de mots emprun-
tés aux dialectes voisins : ainsi camp est la forme picarde
de « canipum » dont la forme française est champ ; les
INTRODUCTION. — LA LANGUE. o
deux mots sont aujourd'hui également français, mais avec
des sens différents.
Mots de formation latine et mots de formation française.
Préfixes et suffixes.
§ 7. — Tous les mots d'origine latine ne supposent pas
nécessairement l'existence d'un mot latin correspondant.
11 y a parmi eux beaucoup de mots de formation française
qui ont été composés d'un mot plus ancien, auquel on a
ajouté un préfixe ou un suffixe, souvent l'un et l'autre :
ainsi encourager a été créé avec courage (latin *coraticum)
à l'aide du préfixe en et du suffixe er, qu'on trouvait dans
un grand nombre de mots dérivés directement du latin.
Toutes les parties 6.' encourager sont donc latines ; mais
elles n'ont pas été réunies dans la langue latine, le mot est
de formation française. Notre vocabulaire s'est enrichi par
ce procédé à toutes les époques de la langue depuis l'ori-
gine jusqu'à notre temps.
§ 8. — Nous donnerons un tableau des principaux pré-
fixes de la langue française. Les exemples cités pour
chacun d'eux seront pris au hasard parmi les mots de
formation française et parmi ceux de formation latine.
* On marque d'un astérisque les mots du latin populaire.
GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
préfiies.
LATIX.
EXEMPLES.
FORME SAVANTE.
EXEMPLES.
a, ancienne-
ad.
agrandir,
ad(ou,comme
administrer,
ment ad (le
ajourner,
en latin, a,
adjuger,
même que la
apprendre.
avec redou-
appréhender.
préposition
blement de
a) ; souvent,
la consonne
par orthogra-
qui suit).
phe savante,
avec redou-
blement de
la consonne
qui suit.
a, as.
ab, abs.
vieux mots :
asoudre,
astenir.
ab, abs.
absoudre,
abstenir '.
an.
ante.
ancêtre (latin
antecessor).
anté.
antécédent.
com^, con.
cum.
comparer,
conquérir,
confondre.
contre ( le
contra.
contredire,
contra.
contradic-
môme que la
contrefaire.
tion.
proposition
contre).
de (le mômf
de.
demeurer.
que la pré-
défendre.
position de"),
1 dé.
dé (ancienne-
dis, de-ex.
déplaire,
dis.
distraire.
ment des),
désarmer,
dés.
1. Ces deux verbes sont
des mots d'origine populaire où le f) la-
tin, après être tombé, a rop
iru, d'abord dans l'orthographe, puis daus
la proiioiiciali
ou, sous une
ulluence sava
nte.
il
INTRODUCTION. — LA LANGUE.
PRÉFIXES.
LATW.
EXEIUFLEB.
FORME SiVAWTE.
EXEMPLES.
é (ancienne-
ex.
éloii;ner,
ex.
extension,
ment es).
étendre.
exporter. 1
en (le même
in signifian'
enduire,
in (ou, comme
induire,
que la pré
dmif, et in
envoyer,
en latin, i
importer,
position en).
particule né
enfant.
avec redou-
irruption.
gative.
blement di
la consonne
qui suit).
infirme.
entre (le me
inter.
entrevoir.
inter.
interdire,
me que l.i
s'entremet -
interroger.
préposition
tre,
intermittent.
entre).
mau (au-
maie.
maudire,
malé.
malédiction.
ciennemeni
malheureux ,
mal), mal (Ic
mcrae qui
l'adverbe
mal).
mé(ancienno-
minus.
mépriser.
ment mes).
médire.
outre (le mê-
ultra.
outrepasser,
ultra.
ultramon -
me (|ue l;i
outremer.
tain.
préposition
et ladvcrbc
outre).
par (le même
per.
parvenir,
per.
perfection,
quclaprépo-
pardonner.
permettre.
siiion parj.
parfait.
pour (le mê-
pro.
pourvoir,
pro.
procurer,
me que la
pourlécher.
protéger.
préposition
pour).
GRAMM.VIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
PRÉFIXES.
LATIS.
EXEMPLES.
FORME SAVANTE.
EXEMPLES.
re, ré.
re.
réclamer,
refaire.
sou, sous (le
même que
la préposi-
tion sous).
sub, subtus.
souvenir,
soutenir,
soumettre,
soustraire.
sub (ou, com-
me en latin,
su avec re-
doublement
de la con-
sonne sui-
vante) .
subvenir,
succéder.
sur (le même
que la prépo-
sition sur).
super.
surveiller,
surprendre.
super.
superflu,
superposer.
tré, tra.
trans, tra.
trépasser,
travers.
trans.
transporter.
Nous n'avons pas fait entrer dans le tableau les préfixes
exclusivement savants, tirés du latin ou du grec, comme
anti (grec (xvti)i de antipathie, antifrançais ; circum et cir-
con (latin circum)^ de circumnavigation , circonspect^ etc.
Remarque I. — Plusieurs préfixes ne se trouvent que dans
les mots qui les avaient en latin, et n'ont pas servi à former
de nouveaux mots : an de ancêtre par exemple.
Remarque II. — Les préfixes ont en général conservé leur
première valeur; mais re a eu dans l'ancienne langue un sens
particulier qu'il n'a plus, « Redonner », par exemple, signifiait
tantôt « donner une nouvelle fois », comme aujourd'hui, tantôt
« donner de son côté, à son tour ».
1. 11 ne faut pas confondre cet anii, d'origine grecque, qui a le sens
de « contre », avec un autre (niti qui n'est qu'une variante de (oité (du
latin ante), et qui a le sens de « avant, devant », dans antichambre
par exemple (pièce avant la chambre).
INTRODUCTION. — LA LANGUE. 9
§ 9. — Quant aux suffixes, nous ne parlerons pas ici de
ceux qui jouent le rôle de flexions, c'est-à-dire qui servent
à marquer le genre et le nombre des noms et adjectifs, le
temps, le mode et la personne des verbes; on les retrou-
vera plus loin. Les flexions s'ajoutent aux suffixes propre-
ment dits.
§ 10. — Parmi les suffixes proprement dits, un des plus
importants de la langue est celui qui sert à former tant
d'adverbes, et qui dérive du latin mente: ment. « Mente »
est le mot latin qui veut dire esprit, et par extension po-
pulaire manière, et qu'on retrouve dans mental et autres
dérivés. Le sens propre de « fortement, grandement, etc. »,
est : d'une manière forte, grande.
§ 11. — Voici un tableau des principaux suffixes des
noms et des adjectifs i. Nous suivrons l'ordre alphabé-
tique de la première lettre des suffixes latins ; l'ordre des
suffixes français aurait l'inconvénient de séparer souvent
des suffixes de même origine, ois et ais par exemple.
1. Les suffixes verbaux sont moins importants. En effet, un certain
nombre de verbes sont formés avec des noms et adjectifs, dont ils ont
naturellement conservé les suffixes. Beaucoup d'autres ont un ancien
suffixe fondu avec la racine. C'est ainsi que le suffixe uc ÙQnianducnre
n'est plus représenté que par le g du français manger. Je si^iKilerai
seulement ici le suffixe oy de larmoyer, et autres verbes sembla-
bles, qui dérive de ic latin : icdre = oyer.
10
GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
SUFFIXES LATINS.
SUFFIXES FRANÇAIS.
EXEMPLES.
àbilera'.
able.
mnaùle, coupable.
1
âceam ou âciam.
ace, asse.
cuirasse, menace.
âcem.
ace (savant).
efficflce, tenace.
ais.
niais, hïni^, punafs.
âceum.
as.
fatras, plâtras, coutelas.
acé (sa vaut .
crustacé, cétace'.
âculum.
ail.
soupira;'/, attirai/.
acie (savant .
miracle, obstacle.
âlem .
al.
\oyal, central, originaZ.
el.
nature/, hôtel, origine/.
âlia.
aille.
épousa///es, ha.taille.
âiieam ouâniam.
agnc, aine»
monXagjie, hautaine.
âneum.
ain.
hautain.
ântiam.
ance.
ahance, assurance.
ânum.
nin.
l\onirtf?z.
•
ien .
doyen, Iroyen.
an (savant).
gallican.
ârem.
azVe (savant).
militaùe, cousula// e.
cr.
sangl(()e/'.
ariam.
crie.
chevalerie.
àriam.
iére, ère, aire (voyez le
chevalière, étrangère, con-
suivant).
traire.
1. L'accpnt aip;u sur les suffixes latins indique la place de l'ac-
cent tonique (Voyez §§ 12 et i:Vi. 11 est arcoiiipa^'no cFun astérisque
quand racceiit tonique occupe dans la prononciation populaire une
place dilTérente de celle que lui donnait le latin classique. Quand
l'accent toni(|ue n'est pas sur le suffixe, je l'indique en faisant prc-
ccdor le suffixe c
'un trait suraionté de la
ccent aigu. 'i
INTRODUCTION. — LA LANGUE.
H
SUFFIXES LATINS
lâstrum.
âtam.
âticum.
atiônem.
atôrem.
àtum.
atùram.
éllam.
éllum.
énsem .
érium.
lam.
ibilem.
SUFFIXES F&ANCIIS.
n' (anciennement ie.f),
aire.
f'dre.
ade (origine étrangère).
nrje.
tique (savant).
aison.
ution (savant).
eur (anciennement eor).
ateur (savant).
'it (savant).
we (anciennement eûre,
comparez plus bas lo
suffixe latin uram).
'dure (savant).
rlle.
eau (anciennement el).
ois, ais.
ier,
i're (savant).
irtne.
csime (savant).
ie.
ihle.
chevaher, pommj'er.
étranger, rocher,
contraire, imaginaire.
t
mard^) e, rouged/re.
arm^e, échappée, croisée.
croisa(/e, escapade.
\oyage, passage,
skttique, aquatique.
comparawo?z.
['ondatio7i.
empereur, semez^r.
accusateur, adorateur.
duché, évêché.
consulat, cpiscopaf.
blessKre, brûlure.
\\-^aiure.
iiouve//e. chape//e.
niiuveflw, cliapeau.
Danois, Anglais.
moùt/cr,
monastère.
••tcniième.
iwiUésirne.
l'ohe, félon/e, calomnie.
pénible, \isible.
12
GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
SUFFIXES LATIMS.
SUFFIXES FRANÇAIS.
EXEMPLES.
icium.
S.
ice (savant).
fouilh's, hachis,
artifice, factice.
iculam.
ille, eille.
icule (savant).
chent7/e, chevî7/e, oreille,
cdxiicule, édicule.
^icum (voyez att-
cum plus haut).
ic, jque (savants).
che, i semi-voyelle.
public, portique, laïque,
porche, lai.
' idum.
ide (savant).
de.
rapide, liquide,
maussade, raif/e.
' ilem.
ile (savant).
le.
fragile, uti/e.
(rèle, meub/e.
ilem.
il.
avi'il, genti/, civiZ.
inum.
in.
mouli«, mariw.
itiain.
esse (anciennement ece).
ise.
paresse, justesse,
sottise, convoitise.
ice.
justice, notice.
*ittum {ittum, ot-
tum).
et.
ot.
baque^ pauvret
bachot cuissot
ivum.
if-
nai/, maladi/".
méntum.
ment.
garnement, ornement.
ôlam.
eule.
oie (savant ou étranger .
hWeule,
camiso/e, folio/e.
ôlum.
eut.
ol.
épagnew/, ùUeul.
Espagnol.
ônem.
on.
oison, bâto«.
ôrem.
eur.
chalewr, faveur.
ôriam.
oire.
histoire, mémoire.
INTRODUCTION. — LA LANGUE.
13
SUFFIXES LATINS.
SUFFIXES FRANÇAIS.
EXEMPLES.
ôrium.
air.
oire.
arrosoir, comptOîV.
méritoire, auditoire.
ôsum.
eux.
glorieMa;, heureux.
tâtem.
lé.
vérife, bon^e.
tiônem.
i/fion, çon.
lion (savant).
poison, fapoM, Xeçoji.
'potion, {3iCtio7î, afflic<io?i.
ùculam.
ouille.
citroui//e, grenoî<i//e.
ùculum.
ou (anciennement oiiil).
verrou, genou (* genucu-
lum).
ùdinem et itùdi-
nem.
urne, tume.
ude, itude (savants).
coutume, amertume,
inquiétude, a.mp\itude.
ûram.
ure (voyez aturam plus
haut).
ceinture, mesure.
§ 11 iîs. — A CCS suffixes d'origine latine il faut ajouter
deux suffixes d'origine germanique qui ont une grande im-
portance : arc? (germanique /?ar^) de vieillard^ bavard, etc.,
et aut ou aud, anciennement ald (germanique ivald), de
levraut, crapaud, etc.
Remarque. — Plusieurs suffixes peuvent être agglutinés:
chapelet comprend el et et. Dans menterie, on retrouve le suffixe
eur (le menteur suivi de ie; oisillon se rattache à oisel, où on a
déjà le suffixe el. Nous avons d'ailleurs fait entrer dans le ta-
bleau plusieurs suffixes ainsi composés.
14 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
[I. — Règles générales de transformation des mots
latins en mots français ou lois générales de la
phonétique.
Accent tonique et accent secondaire, — Place de l'accent
tonique en latin et en français.
!^ 12. — La transformation des mots latins en mots fran-
çais populaires dépend surtout de la place de ï accent toni-
que. Dans tous les mots de toutes les langues, il y a tou-
jours une syllabe sur laquelle la prononciation appuie.
Cette insistance de la voix sur une sylla])e, plutôt que sur
les autres, est ce qu'on nomme V accent tonique ou Vaccent
proprement dit, et la syllabe qui reçoit cet accent est dite
tonique ou accentuée'^. Ainsi dans le mot français « orne-
ment » Vaccent est sur la dernière sxilabe : ment. Les au-
tres syllabes, par opposition, sont dites atones. Mais parmi
cùs dernières il faut remarquer la première du mot, qui
reçoit en quelque sorte un accent secondaire. Ainsi dans
le mot fourniture, les syllabes qu'on entend le mieux sont
la première four et la tonique tu.
§ 13. — En français, l'accent tonique est sur l'a vaut-
dernière syllabe quand la voyelle de la dernière est un e
muet, et sur la dernière dans tous les autres cas. En latin,
l'accent n'était jamais sur la dernière syllabe; mais il af-
fectait tantôt l'avant-dernière, tantôt celle qui précédait
lavant-dernière 2. Nous marquerons la place de l'accent
ilansles mots latins par un accent aigu au-dessus de la
voyelle tonique.
1. On voit que le mot accent est pris ici dans un sens tout diflférent
do celui qu'où lui donne lorsqu'il désigne un signe conveutionncl placé
sur certaines voyelles pour en préciser la prononciation ^accent aigu,
gi-ave, circonflexe).
2. 11 allcclait l'avant-dernière ou pénuHième quand elle était longue,
Cl l'antépénultième quand la pénultième était brève.
INTRODUCTION. — LA LANGUE. 15
Loi de la chute des atones. — Exceptions.
§ 14. — En règle générale les mots latins qui sont deve-
nus français n'ont conservé que deux syllabes, la pre-
mière et la syllabe tonique, et celle-ci est demeurée toni-
que en français. Ainsi vindicàre avait quatre syllabes :
venger n'en a que deux, l'une ven, qui représente la pre-
mière syllabe du mot latin, vin, l'autre qui représente la
syllabe tonique ca avec adjonction de la consonne suivante,
(juant au changement de Vi de vin en e, du c de ca en g,
de l'a en e,ce sont des phénomènes très réguliers, dont on
trouvera l'explication dans la phonétique.
De même que vindicàre a donné venger, capitale a donné
cheptel (dont le doublet savant est capital) ; adjutdtis,
aidez pnanducàre, manger ' dormitôrium, dortoir, etc. Dans
tous ces mots français l'accent tonique est sur la syllabe
qui correspond a la syllabe tonique latine.
§ 15. — Les voyelles atones des syllabes non initiales,
c'est-à-dire autres que la première, ont disparu complè-
tement, excepté dans trois cas principaux :
1° Les a latins atones des syllabes non initiales sont
toujours représentés dans les mots français par des e
muets. Ainsi orn2iménturn a donné ornement, fâOa, : fève.
Pour bien comprendre la différence qui existe, à ce point de
vue, entre l'a atone qui se conserve toujours sous foi^me d'e
muet, et les autres voyelles atones qui disparaissent (sauf
dans les exccplionii 2 et 3 ci-dessous), il suffit de com-
parer : * candihiiiium qui donne chénevis, à sunildlein qui
donne santé; port qui vient de porium, à porte qui vient
de porta-rn.
2" Les atones quelles qu'elles soient (et non pas seu-
lement l'a) se conservent aussi par exception quand elles
sont suivies de deux ou plusieurs consonnes ou d'une cou-
i6 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
sonne mouillée (mouillée par uni suivi d'une voyelle). Ainsi:
*juvencéllum donne jouvenceau, quadrillônem, carillon;
traditiônem, trahison (dont le doublet savant est tradition);
* campinwnem, ckampignon;* acMtiàre, aigyiiser, etc.
3° Certains groupes de consonnes ne peuvent se pro-
noncer sans le secours d'un e muet. En conséquence lors-
qu'une atone latine quelconque se trouve au milieu d'un
groupe de ce genre (ou après le groupe, suivant les cas),
elle est remplacée, dans le mot français correspondant,
par un emuet, qu'on appelle voyelle de soutien on d'appui.
Ainsi peregrîniim a donné pèlerin avec un e muet au mi-
lieu du mot, à cause du groupe de consonnes r gr du mot
latin. De même lihrum a donné /ture, féhrem, fièvre, etc.
Cette voyelle de soutien a persisté, même lorsque le
groupe de consonnes qui l'a produite a cessé d'exister par
suite de la chute d'une des consonnes. Ainsi Ve qui termine
le mot père s'explique par le groupe tr qui se trouvait
dans le mot latin patrem. La chute du t qui précédait Vr
a laissé intact Ve atone de soutien, tout en lui enlevant sa
raison d'être.
Souvent la voyelle de soutien correspond à deux atones
latines. Ainsi pôrticum a donné porche. Le latin avait un i
et un u après l'accent, le français n'a qu'un e muet; \i
atone a disparu, et le groupe r ? c a amené Xe de soutien
qui s'est substitué à l'w latin.
§ 16. — On voit que dans la plupart des cas, les atones
des sjdlabes non initiales, quand elles ne tombent pas,
sont représentées par des e muets. Quelquefois il s'y joint
un i, provenant soit d'un i soit d'un c latin, et la diph-
tongue ei ainsi formée est aujourd'hui devenue oi:* Domi-
nicéllam a fait dameiselle, puis demoiselle.
§ 17. — Ces différentes règles et exceptions appellent
quelques remarques complémentaires.
INTRODUCTION. — LA LANGUE. 17
Remarque I. — Vi et Vu latins atones, lorsqu'ils se trou-
vent dans les conditions où ils doivent tomber, se maintiennent
quelquefois en formant diphtongue avec l'une des voyelles qui
doit persister. Ainsi dans dormitérium, qui a donné dortoir, Yi
de la désinence ium a cessé de constituer une syllabe, mais il
s'est ajouté à l'o tonique pour former la diphtongue oi. Vu de
vddunt a changé l'a tonique en o (d'abord au) : vont.
Remarque II. — Lorsqu'un préfixe entre dans la compo-
sition d'un mot, la syllabe qui suit le préfixe doit être consi-
dérée comme la première du mot, au point de vue de l'appli-
cation des règles ci-dessus. Elle persiste à ce titre. Mais le
préfixe se conserve aussi. Ainsi dans *demordre, mot latin de
quatre syllabes qui commence par le préfixe de, la première
syllabe de persiste parce que c'est le préfixe, la deuxième ma
se conserve (sous la forme meu, anciennement mou) parce que
c'est la première du mot quand on fait abstraction du préfixe.
La troisième ra qui est la tonique, persiste à plus forte raison.
Enfin l'atone finale e disparaît, parce qu'elle n'est pas dans les
conditions où les atones se conservent. De là le mot français
demeurer, anciennement demourer. Si de n'était pas un préfixe,
le mot français venant de démordre n'aurait que deux syllabes,
ce serait : dembrer.
Toutefois, dans un certain nombre de cas, le préfixe a été
considéré comme la première syllabe radicale du mot, et la
syllabe suivante est tombée (voyez §§ 176 bis, 239, 256).
Remarque III. — i° Le latin avait, comme toutes les lan-
gues, des mots simples et des mots dérivés : amicum était un
mot simple, et *amicdbilem un dérivé d'amicum. L'un a donné
le français ami, et l'autre amiable. On remarquera dans amiable
la conservation de Vi atone, conservation due à ce que cet i
était tonique dans le mot simple: amicum, ami. L'infiuence de
la voyelle tonique d'un mot simple peut donc sauver cette
même voyelle dans les dérivés où elle est atone.
2°L'u atone de virtuôsum?,' est aussi conservé dans k<. vertueux »,
sous l'intluence de Va tonique de virtûtem {vertu), ou peut-rire
simplement parce qu'il faisait hiatus avec la tonique ; car
l'hiatus paraît avoir préservé les voyelles atones : c'est ainsi
que christidnum a donné chrétien, mot qui formait jadis trois
syllabes.
Remarque IV, — 1° Par exception l'a latin atone est com-
18 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
plètement tombé, au lieu de se conserver sous forme d'e muet,
à la 3® personne du subjonctif du verbe avoir (ait = habertl),
au singulier des imparfaits (devoit, devait, au lieu de devoiet,
devaiet =. debébal) et dans quelques autres cas. Toutefois il
faut faire une distinction entre les deux premières personnes
de l'imparfait et la troisième. Très anciennement on a devoit
sans e muet avant le t; mais aux deux premières personnes on
a écrit jusqu'au xvi^ siècle : je dévoie, tu dévoies.
2° L'e muet résultant d'un groupe de consonnes est aussi
tombé dans quelques mots tels que persil, jadis peresil, latin
pe</'Osélinum.
CHAPITRE II
L'ORTHOGRAPHE
GÉNÉRALITÉS
§ 18. — Les modifications que subit, avec le temps, la
prononciation des mots, ne sont pas immédiatement ac-
compagnées de modifications concordantes dans l'ortho-
graphe. Souvent l'orthographe ne marque les change-
ments survenus dans la prononciation que très longtemps
après qu'ils ont eu lieu. Pour prendre un exemple, les
mots français populaires d'origine latine qui avaient un e
long tonique on latin ont d'abord remplacé cet e par la
di|)hti>ngue ci qui s'est conservée longtemps dans certains
dialectes, mais que le français proprement dit a de bonne
heure changée en o?. Ainsi légem a d'abord donné lei,
puis loi, régcm a donné rei, puis 7'oi. Il est certain, d'autre
part, que la diphtongue oi n'a pas toujours eu le son
qu'elle a maintenant, et qui se compose d'une sorte d'où
consonne [lu anglais) et d'un a :iva. A l'origine cette diphton-
gue se composait réellement d'un o et d'un i, à peu près
comme nous prononçons oi dans la langue d'oïl. La pronon-
ciation s'est modifiée insensiblement, sans que l'orthogra-
INTRODUCTION. — L'ORTHOGRAPHE. 19
phe ait suivi. Il n'y a eu de modification dans l'e'criture
que pour un certain nombre de mots, où l'ancienne
dipthongue oi a été remplacée exceptionnellement par le
son ai, notamment à l'imparfait des verbes. L'ancienne
langue disait : il partait, il venait. Dès le seizième siècle,
on a prononcé comme aujourd'hui, il partait, il venait;
mais c'est seulement au xvni'' siècle qu'on a mis l'ortho-
graphe d'accord avec la prononciation.
§ 19. — Il faut remarquer en outre que cet ai, qu'on a
substitué à oi dans les imparfaits, n'a pas toujours eu la
valeur d'un è, c'est-à-dire d'une voyelle simple. A l'origine
c'était une véritable diphtongue, composée d'un a et d'un?,
et qui pouvait se prononcer à peu près comme l'interjec-
tion actuelle aie. Toutefois, de très bonne heure au moyen
âge, cette diphtongue s'était réduite à un è, mais on avait
continué à écrire et nous écrivons encore les mots où elle
se trouve comme si ai était toujours une diphtongue. Celte
orthographe toute conventionnelle n'était pas d'ailleurs uni-
versellement adoptée au moyen âge, et on rencontre sou-
vent des textes où les mots comme mais, raison, fsiit, etc.,
sont écrits par des e : mes, i^eson, fei, etc.
§ 20. — Tous les sons simples que nous écrivons par
deux lettres (ou même quelquefois par trois, eau de cha-
peau, œu de œuvre) sont ainsi d'anciennes diphtongues
transformées : au équivaut aujourd'hui à un o, mais il
s'est prononcéjadis par un a suivi de ou, comme lorsqu'on
veut imiter le miaulement du chat. De même eu a été
prononcé e-ou, ou a été o-ou. On voit que dans l'ancienne
prononciation cie au, eu, ou, on donnait à Vu le son de
notre ou actuel et non pas celui de notre u.
§ 21. — 11 faut savoir en efTi-t que si la lettre n existait
dans l'alphabnt latin, elle y désignait le son que nous écri-
vons ou, et non pas notre son u. Dans notre ancienne
•20 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
orthographe, cette lettre u a tantôt sa valeur latine (ou),
tantôt sa nouvelle valeur française (u).
COMPARAISON DE L'ORTHOGRAPHE ACTUELLE
ET DE L'ORTHOGRAPHE DU MOYEN AGE
Nous allons examiner les principales différences entre
l'orthographe ancienne et l'orthographe moderne. Nous
partirons des formes actuelles pour remonter aux formes
antérieures (sauf à suivre exceptionnellement l'ordre in-
verse quand il s'agira de consonnes qui ne sont plus re-
présentées dans l'orlhographe actuelle), et nous étudie-
rons les lettres dans l'ordre suivant : 1° diphtongues et
voyelles, 2° consonnes.
I. — Diphtongues et voyelles.
ci, ai.
§ 22. — Nous n'avons presque rien à ajouter à ce que
nous venons de dire, dans les considérations générales,
sur les diphtongues oi (§ 18) et ai (§ 19), Il faut cepen-
dant remarquer que les textes les plus anciens peuvent
avoir la diphtongue actuelle oi; on la trouve de tout
temps dans les mots oii elle provient d'un o latin suivi d'une
gutturale ou d'un i : poison, gloire.
D'autre part, nous écrivons par oi des mots qui s'écri-
vaient jadis par eei, eoi. Ainsi voh^ a été veei7\ veoir (Com-
parez ci-dessous § 37).
au, eau.
§ 23. — La diphtongue graphique au provient presque
toujours d'un a suivi d'un /. On est sûr de trouver dans
l'ancienne langue écrits par al les mots populaires d'ori-
INTRODUCTION. — L'ORTHOGRAPHE. 21
gine latine que nous écrivons aujourd'hui par au : altre
pour autre, chevalche pour chevauche^ assalt pour assaut,
mais pour maux. Dans quelques mots seulement au est
une orthographe savante représentant un au latin et un o
de l'ancienne langue : ainsi /auner (latin /aurarmm) .était
jadis /oreer, et non IsArier ; joauure était povre et non
palvre.
§ 24. — De même que au correspond à un ancien al,
eau correspond (sauf dans le mot eau, substantif féminin)
à un ancien el : ainsi on a belté pour besiuté, agnel pour
agnesiVL, chapel pour chapesiu, etc.
On remarquera d'ailleurs : 1° que la substitution de eau
à el est fort ancienne; 2° qu'on trouve souvent iau au lieu
de eau. Iau est une forme picarde que La Fontaine a con-
servée dans le dicton qui termine Le loup, la mère et l'en-
fant : « Bia.ux chires leups n'écoutez mie, etc. »
Nous avons des traces de l'ancien el dans bel et nouvel,
que nous employons encore, au lieu de beau et nouveau,
devant les mots commençant par une voyelle : un bel
honnne, son nouvel habit. Il faut noter en outre que tous
les el de l'ancienne langue ne sont pas devenus eau; ainsi
hôtel, tel n'ont pas donné hôteau, teau. Cette différence
tient à ce que, dans hôtel, tel et mots semblables, el vient
du latin aie, tandis que dans beau, chapeau, il vient du.
latin éllum.
eu, œu.
§ 25. — Les mots que nous écrivons par eu (ou œu)
peuvent avoir dans l'ancienne langue des orthographes
très variées, que nous diviserons en trois catégories prin-
cipales :
i" Eupciil venir d'uno long latin, et alors on trouvera,
suivant les dialectes ou les époques, le même mot écrit
22 0ftAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
par 0, u, ou, eu. A côté de valeur on a en vieux français :
valor, valur, valour; à côté de merveilleuse : merveillose,
merveillouse, etc.
2" Eu peut encore venir d'un o bref latin, auquel cas on
le trouvera dans les anciens textes sous la forme oe, ue.
A^euf sera écrit noef, nuef; cœur : coer, cuer;peut : poet,
puet; œuvre : oevre, uevre, etc.
3° Enfin eu peut venir d'un ancien el (comme au de al,
voyez ci-dessus §23). Cheveu a été ckevel, eux a été els.
En se reportant au paragraphe 24, on verra que, sui-
vant les cas, el de l'ancienne langue est resté el (morte/)
ou bien est devenu eau (château) ou eu (cheveu).
Remarque. — Dans le cas où eu provient d'un ancien o ou
u, il était quelquefois précédé d'un e, qui a disparu par con-
traction : empereur a été jadis em}jereor ou empereur. L'o ou l'u
est devenu eu, et l'e qui précédait est tombé.
OU.
§ 26. — Les sources de la diphtongue ou ne sont pas
moins variées.
1** Les mois tels que courage, mourir, couvert, souvent,
vous, nous, amour, etc., sont ; crits dans l'ancienne langue
curage et corage, mûrir et morir, cuvert et covert, suvent
ît sovent, vus et vos, nus et nos, amur et amor.
2° Ou vient de ol, — de même que au de al et eu de el
— dans cou, anciennement col (conservé encore dans
certaines acceptions) fou, anciennement fol, coucher an-
ciennement colcher, etc.
ui, oi.
§ 27. — Les mots que nous écrivons aujourd'hui avec
la diphtongue uise rencontrent souvent, dans les anciens
te.vles, écrits par oi. Ainsi « je pois, que je poïsse » pour
INTRODUCTION. — L'ORTHOGRAPHE. 23
« je puis, que je pw^■sse », « noit » pour « m«t ». Quelquefois
on a l'inverse : « juindre » pour « jomdre », « angoisse »
pour « angoesse ».
§ 28. — Au lieu de l'a, nous trouvons ai : dans le suf-
fixe aige au lieu de âge {couraige, etc.), et dans aig7ie au
lieu de agne {moniaigne, etc.).
§ 29. — Beaucoup de mots qui avaient jadis la diph-
tongue ié l'ont remplacée par un e simple. Nous n'avons
plus de verbes en ier monosyllabiques (sauf, si l'on veul,
les verbes en yer, gner, lier, comme payer, régner, pil-
ler) ;ààns les verbes comme allier, confier, etc., ié forme
deux syllabes et n'a jamais été diphtongue. Cette diphton-
gue se faisait entendre jadis dans beaucoup de verbes tels
que aidier (aujourd'hui aider), aôaissier (aujourd'hui
abaisser), adressier (aujourd'hui adresser), etc., et on la
retrouvait au participe passé de ces verbes [aidié, aidiée,
aujourd'hui aidé, aidée) et à la deuxième personne du plu-
riel de l'indicatif présent, qui se confondait avec celle du
subjonctif : aidiez.
En dehors des verbes, un grand nombre d'autres mots
ont perdu la diphtongue ié : légier, c/névre, c/iief, etc.
§ 30. — A la place d'un u simple de noire orthogra-
phe, on a souvent eu et quelquefois ou : ainsi ploii, pieu,
pour plu. (participe passé du verbe plaire), plous, pleus,
pour plus (deuxième personne du singulier du prétérit du
même verbe), receu, receus, pour reçu, reçus; meur,
cheute, seur, ùlesseure, pour mû?-, chule, sûr, blessure.
24 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
On imprime généralement ces anciennes formes avec
un tréma sur i'w, pour indiquer qu'on prononçait au
moyen âge en deux syllabes ; mais on a continué à écrire
ces mots par eu assez longtemps après que eu a été con-
tracté en u dans la prononciation; et même nous écrivons
encore ainsi le prétérit et le participe passé du verbe
avoir : eu, eus, etc., bien que nous prononcions : u.
0.
§ 31. — Certains textes (surtout anglo-normands) ont
souvent u au lieu de o : Cunduire, cnmbattre, cvintrey
cwnune, pour conduire, combattre, contre, commune.
y. i-
§ 32. — Il ne faut attacher aucune importance à la
substitution de l'y à Vi, ou inversement. Ces deux lettres
ont généralement la même valeur dans l'ancienne ortho-
graphe. Il ne faudra donc point s'étonner de voir notre
adverbe y écrit i, le mot image écrit ymage, ai (d'avoir)
écrit ay, etc.
II. — Consonnes.
Consonnes chuintantes et gutturales {3,ch,c, k,qu, g).
§ 33. — Si des voyelles nous passons aux consonnes,
nous verrons que notre ch est quelquefois remplacé dans
les anciens textes par un c ou un k, et notre j par un g
Cette orthographe et cette prononciation se rencontrent
surtout dans le nord-est de la France. Ainsi on trouvera
"keval pour cheval, "kien pour clilen, cambre pour cham-
bre, gambe pour jambe.
§ 34. — On a souvent k au lieu de gu, ou bien k ou qu
au lieu de c dur. Toutes ces orthographes sont équiva-
lentes : car est écrit /car ou quar ;on a /d aussi bien que qui.
INTRODUCTION. — L'ORTHOGRAPHE. 25
§ 35. — Dans un certain nombre de mots le c (devant
e, i) de l'ancienne orthographe a été remplacé par deux s :
fasse (subjonctif du verbe faire) au lieu de face, bosse au
lieu de boce. Tous ces mots se distinguent encore des
autres mots écrits par deux s : ils sont dits à rimes
brèves. Ceux qui ont toujours été écrits par deux s donnent
des rimes longues.
§ 36. — Enfin dans certains dialectes du nord-est de la
France on trouve souvent le w comme équivalent d'un p' dur
français (d'origine germanique) : warder pour garder, etc.
Dentales (d, t).
§ 37. — Les mots latins qui avaient un c? ou un ^ entre
deux voyelles ont perdu cette consonne au bout d'un cer-
tain temps dans les mots français correspondants ; il en
est résulté que les deux voyelles séparées en latin par le
^ ou le ^ ont formé hiatus en français, et souvent elles se
sont, avec le temps, contractées en une seule. Ainsi vidére
a donné voir, oh oi a été produit par Ve tonique du latin.
Mais voir a été précédé de la forme veoir, en deux sj'lla-
bes dont la première représente le vi latin. Cette forme a
été elle-même précédée d'une autre, oii le d latin était
conservé, et comme à cette époque le diphtongue ei n'avait
pas encore été remplacée par oi (voyez ci-dessus § 18), on
trouvera dans les textes les plus anciens vedeir au lieu de
voir, sedeir au lieu seoir {s'assseoir). On a de même edage
au lieu de âge.
§ 38. — Lorsque le t terminait un mot français et suivait
immédiatement la voyelle tonique ou un e muet, il est gé-
néralement tombé de bonne heure, mais on le trouve encore
dans les anciens textes : bontet ' bonté), p or tet{(\vi\é(\\i\v&\x[.
tantôt à /)oKe, troisième personne de l'indicatif présent
de porter, tantôt à porté, participe passé du même verbe).
Cléuat. 2
26
GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Labiales (p, f, b, v) et liquides (1, r).
§ 39. — Il n'y a aucune remarque importante à faire
pour les labiales, ni pour les liquides; cependant dans
quelques mots / est tombée après ou : pouldre, fouldre',
17 mouillée finale est souvent écrite ill : conseill, périll.
Nasales.
§ 40. — L'n mouillée [gn) est quelquefois précédée d'une
autre n [ngn) : empoingner^ plaingnant, etc.
s, X et z.
§ 41. — Dans un très grand nombre de mots, ïs de
l'ancienne orthographe est tombée devant une autre con-
sonne; la voyelle qui la précédait a souvent pris l'accent
circonflexe :
escrit
aujourd'hv
li écrit
espée
—
épée
esté
—
été
mesprendre
—
méprendre
desfaire
—
défaire
teste
—
tête
chasteau
—
château
qu'il portast
—
qu'il portât
lascher
—
lâcher
nostrCf le nostre
—
notre, le nôtre
apostre
—
apôtre
épistre
-
éj'ître
croistre
■—
croître
paistre
—
paître
77list
—
mit
soustenir
—
soutenir
§ 42. — Nous écrivons aujourd'hui par un x (au lieu
d'une s) le pluriel des noms en au, eau, eu., et de plusieurs
noms enoj(. Dans l'ancienne orthographe cela; représentait
INTRODUCTION. — L'ORTHOGRAPHE. 27
non pas simplement une s, comme aujourd'hui, mais Ms; on
écrivait animaus ou animax, fous ou /bx, cieus ou ciex.
Quant aux mots qui se terminent aujourd'hui par un i
et un X, comme paix, faix, poix, l'ancienne langue les a
écrits longtemps : pais, fais, pois, etc., ou paiz, faiz, etc.
(Voyez les paragraphes suivants).
§ 43. — Le z de l'ancienne langue représentait généra-
lement un t suivi d'une s. A ce titre, il se trouvait au pluriel
(cas régime) des mots tels que bontet,i:)ortet (participe passé
de porter), qui faisaient bontez, portez. Le z a persisté au
pluriel longtemps après que le t était tombé au singulier.
Les participes présents, ayant le singulier terminé.par un /,
avaient aussi le pluriel (cas régime) en z.
§ 44. — D'assez bonne heure on a employé le z à la
fin des mots comme équivalent d'une s, sans que cette s
eût été jamais précédée d'un t. On trouve aussi Vs au lieu
du z, même dans les mots où nous avons conservé le «pri-
mitif : voulés pour voulez.
Consonnes redoublées.
§ 45. — Il nous resterait à parler des consonnes redou-
blées. En général, surtout à l'origine, elles étaient beau-
coup moins nombreuses qu'aujourd'hui; mais, d'autre
part, celles qu'on redoublait s'écrivent quelquefois sim-
ples de nos jours. L'explication de ces différences ne sau-
rait entrer dans le cadre d'une grammaire élémentaire. Il
suffit d'être averti qu'on rencontrera des mots comme
roman écrits avec deux m, et, inversement, des mots
comme couronne écrits avec une seule n.
Nous aurions pu grossir cette liste de particularités
orthographiques, en y faisant entrer les variantes des
quelques textes antérieurs au xi° siècle qui nous sont
28 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
parvenus; mais ces textes demandent une étude spéciale,
et nous avons cru devoir nous borner à la période déjà
vaste qui s'étend du xi® au xvi^ siècle.
ORTHOGRAPHE DU XV« SIÈCLE
§ 46. — L'orthographe du xv^ siècle appelle quelques
explications complémentaires. C'est alors (et même dès le
xiv^ siècle) que l'on voit s'introduire dans nos mots, sous
l'influence des études latines, ces lettres parasites qu'on ne
prononçait pas, et qui allèrent en se multipliant dans le
courant du xvi® siècle ; l'Académie les a heureusement fait
disparaître, sinon entièrement, du moins en grande partie.
§ 47. — Ainsi au xiv^ et au xv*^ siècle on a rétabli
des c et des g qui existaient dans les mots latins,
mais qui s'étaient vocalises en i, et qui avaient formé
diphtongue avec la voyelle précédente ou s'étaient con-
fondus avec elle. Dans le mot fait, le c latin de factura était
représenté par Vi qui suit Va; comme on ne se rendait pas
compte de cette transformation, on a écrit faict pour
mieux rappeler l'étymologie, si bien que, dans cette or-
thographe, le c latin était représenté deux fois, par Vi et
par le c. Cette réforme était d'ailleurs purement ortho-
graphique. Même en écrivant /a?c^ on prononçait /a?/. De
même le c latin de c?/c/u??z s'était confondu avec ^^ tonique :
français dit. Au xv* siècle on a écrit dict pour mieux rap-
peler dictum. Nous avons conservé l'orthographe doigt,
pour doit, qui s'explique de même.
§ 48. — On faisait reparaître des / déjà représentées
dans les mots par des u de diphtongues. On écrivait :
auïtre, faiilt, mieulx.
§ 49. — Souvent, dans cette orthographe savante, on
trouve un p ou un b parasite devant le u ; or le u était pré-
cisément la transformation du b ou du p latin, de telle
INTRODUCTION. — L'ORTHOGRAPHE. 29
sorte que cette consonne latine était représentée deux fois :
recepvoir, debvoir. Le p ou\e b latin qui était tombé de-
vant un t ou un d, reparaît aussi dans soubdain, doubler,
escript (écrit), etc.
§ 50. — Le préfixe latin ad était devenu a en français :
ajomdre, avenir, ajourner, aviser. Au xv^ siècle on fit repa-
raître le d latin, et on écrivit adjoindre, advenir, adjour-
ner, etc. Dans quelques-uns de ces mots l'influence de
l'orthographe a été assez forte pour modifier la pronon-
ciation : aujourd'hui nous prononçons adjoindre, advenir^
si bien qu'il est devenu impossible de supprimer dans ces
verbes le d parasite. Au xvii^ siècle on trouve très souvent
l'orthographe « avenir (infinitif), il avient, etc. », ce qui
prouve que le d actuel ne se prononçait pas encore. Nous
avons conservé d'ailleurs, comme substantif, l'ancien infi-
nitif avenir, et comme adjectif l'ancien participe présent
avenant. On a également rétabli le b du préfixe latin ab ou
abs, dans abstenir, absoudre, et la prononciation s'est
encore ici soumise à l'orthographe.
Le redoublement des consonnes après le préfixe a est
aussi un des caractères de cette orthographe.
§51. — Enfin il est arrivé plus d'une fois qu'on s'est
trompé sur l'étymologie, et qu'on a ajouté à tel ou tel mot
des lettres qu'il n'avait jamais eues en latin. On a écrit
sçavoir au lieu de savoir, parce qu'on faisait venir ce verbe
de scire, tandis qu'il vient de sapere, qui n'a jamais eu de c
après Vs. On a écrit et nous écrivons encore poids avec un
d, parce qu'on le faisait venir de pondus, tandis qu'il vient
de pensum, ou il n'y a pas trace de (/.
ORTHOGIIAPHES DIALECTALES
§ 52. — Ce qui complique l'orthograple du moyen âge,
c'est que le dialecte parlé dans l'Ile de Fiance n'était pas
2.
30 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
encore devenu la langue officielle, la seule langue litté-
raire. Les diflereiits dialectes parlés dans la France du
Nord sont aujourd'hui réduits à l'état de patois, c'est-à-
dire de langue? exclusivement populaires; mais au moyen
nge, chaque auteur écrivait dans son dialecte. Or souvent
la jjrononciation d'un même mot n'était pas identique dans
toutes les provinces, et les habitudes orthographiques
variaient. Nous n'avons pu signaler que quelques-unes de
ces différences dans les dialectes les plus importants, dans
ceux qui ont produit le plus d'œuvres littéraires, mais il y
en avait un grand nombre d'autres. En outre beaucou[i
d'ouvrages ne nous sont parvenus que par Tintermédiaire
de copistes qui appartenaient à un autre pays que l'au-
teur, et qui mélangeaient les formes de leur dialecte à
celles du livre qu'ils copiaient. Enfin dans les limites de
chaque prononciation dialectale, il n'y avait pas une
orthogi^aphc officielle, mais seulement des traditions et des
usages qui n'avaient rien de rigoureux et qui admettaient
souvent plusieurs manières d'écrire le même mot. Dans
un seul ouvrage, on trouve le même mot écrit de deux ou
Irois fa'ons différentes : par exemple vos et vous pour le
pronom personnel de la deuxième personne du pluriel, ou
1 ien vus et vos. Il y a des textes oià les mots qui ont l'an-
cienne diphtongue ai s'écrivent tantôt par ai tantôt par e,
et ceux i[ui ont le son è tantôt par e, tantôt par ai.
TABLE.4U SYNOPTIQUE
§ 53. — Nous résumerons .ces remarques sur l'ancienne
orthographe dans le tableau synoptique ci-joint, où on
trouvera réunies par ordre alphabétique les principales
variantes de l'orthographe française. Nous n'y avons pas
compris les lettres parasites du xv" siècle.
INTRODUCTION.
L'ORTHOGRAPHE.
3i
Orlhojjraphe
ANCIENNE ORTBOGRAPUE.
mOlllTD'J
correspondanle.
EXEMPLES.
ai (dans aige et aigne),
«,
coura/ge (courage), commo/ge
((iomniflge) ;
aZ(devantuneconsonne).
au,
t"a/cher (l'aj^clier), o/tre [auXve);
c,
ch.
cambre (c/iambre);
ss.
face (fasie) ;
e,
ai,
mes (mafs);
e (devant une autre
voyeHe),
supprimé ,
vecir (voir), eage (âge), seur (sûr) ;
créant (croyant), veez (vo/yez) ;
ecl,
supprime .
edaga (âge) , vedeir (voir) ;
ei.
ai,
oi.
preneît (prena/t), veneit (venait) ;
vei (roî), \ei (lot);
e/,
eau,
chape/ (cliape«2<) ; ronde/ (ron-
deau) ;
eu,
cheve/ (chovezf) ; e/s {eu\) ;
i,
»,
carabe (,/ambo) ;
/ {y adverbe de lieu) ;
iau,
ie,
eau,
e,
biau (beaw); c\ia.iiau (chàteaM) ;
aidier (aider);
/',
qu,
ni),
Ai {qui) ;
/i-eval (c/icval) ;
/ (entre eu (oe, uc) ou
supprimé ,
fou/dre (foudre), veu/t (veut);
bien ou, et une con-
sonne),
//,
/,
consei// (consci/);
ng7i,
.7".
plai«/7?2aiit (plai^r/zant) ;
".
au.
lorior (lawricr), povrc (poîivro);
eu,
valor (valejn-) ;
32
GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Orthographe
ANCIENKB ORTHOGRAPHE.
moderoe
correspondante.
EXEMPLES.
oe,
eu,
noef (neuf), poet [peut] ;
oi,
ui.
noit {nuit) ;
ol.
ou.
co/cher (cowcher), îol (fow) ;
ou.
eu,
valo»/r (valewr) ;
u.
ploi< (plw))
s.
supprimé ,
escrit (écrit) ;
^1
voule? (voulez) ;
X,
pais (paix);
t,
supprimé ,
bontei (bonté) ;
M,
eu.
vah^r (vakwr) ;
0,
cunduire (conduire) ;
ou,
VMS (voMs), puv {pour) ;
lie,
eu,
nue( {netd), pun (pet^t) ;
ui,
oi.
j;nndre (jomdre) ;
X,
ux,
chevaz (chevaMj:), miea; (miewa:);
.'/.
i.
;/mage (î'mage) ;
^»
s,
bontez (bontéy) ;
10,
Sf^
(/,'arder (^rarder).
ÉTUDE DES FLEXIONS
CHAPITRE PREMIER
DU NOM
LA DÉCLINAISON EN LATIN — GÉNÉRALITÉS
§ 54. — Les rapports qui unissent un nom au verbe ou
à tout autre mot de la phrase sont aujourd'hui marqués par
la place de ce nom, ou exprimés à l'aide de prépositions.
Ainsi quand nous disons : « Pierre a recommandé Paul à
Jacques », c'est la place des noms Pierre et Paul, l'un
avant, l'autre après le verbe, qui indique que le premier
est sujet, le second régime, et c'est la préposition à, placée
devant Jacques, qui nous apprend que ce dernier nom est
régime indirect. Les Latins exprimaient les mêmes rap-
ports par des flexions ou des terminaisons qu'on appelle
cas ; ainsi dans la phrase ci-dessus la terminaison us aurait
indiqué le sujet, um le régime direct, o le régime indirect:
« Petrws Jacobo Paulwm commendavit. » En intervertis-
sant les rôles, pour exprimer, par exemple, que Jacques
avait recommandé Pierre à Paul, on aurait dit : « Jacobws
Petrwm Paulo commendavit. » Il en résulte qu'on pou-
vait, sans nuire à la clarté, mettre les noms dans n'im-
porte quel ordre, les réunir avant ou après le verbe, com-
mencer par le sujet ou par l'un des régimes ; la terminai-
son, le cas, suffisait à faire reconnaître le rôle de chacun.
34 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
De même quand nous disons : « l'ami de Pierre est arrivé»,
c'est la préposition de qui exprime que « Pierre « est le
régime d' « ami ». Les Latins auraient aussi rendu ce rap-
port par un cas, ils auraient donné au nom « Pierre »
la terminaison i : « amicws Pétri » ou « Petré amicws ».
Comme on le voit, l'emploi des cas rendait souvent inutile
celui des prépositions. Mais plus souvent encore, les deux
moyens étaient employés à la fois, et se complétaient l'un
l'autre.
§ 55. — Il y avait six cas en latin. La succession des cas
constitue ce qu'on appelle la déclinaison, qui était pour
les noms ce qu'est la conjugaison pour les verbes. On dé-
clinait les noms comme on conjugue les verbes, et de
même que les verbes se répartissaient entre quatre conju-
gaisons, il y avait pour les noms cinq déclinaisons diffé-
rentes, qui ont laissé des traces diverses dans la langue
française.
§ 56. — Parmi les six cas du latin, l'un, appelé nomi-
natif, était le cas-sujet, celui qui marquait le sujet de la
phrase. Un second, appelé vocatif, s'employait quand on
adressait la parole à quelqu'un. Les autres servaient à
rendre les différentes espèces de régime. Le plus important
était l'accMsafi/, qui marquait le régime direct des verbes
et qui s'employait avec les prépositions indiquant un mou-
vement.
LA DÉCLINAISON EN VIEUX FRANÇAIS
§ 57. — Or, avant d'aboutir à l'état actuel, qui est la
réduction des six cas latins à un seul, notre langue a passé
par un état intermédiaire, où elle avait encore une décli-
naison composée de deux cas : un cas sujet et un cas
régime. Le premier équivalait au nominatif et au vocatif
latins, et dérivait du nominatif; le second dérivait de l'ac-
DU NOM. 35
cusatif et s'employait toutes les fois que le nom était régi
par un verbe ou par un autre mot, et notamment après
toutes les prépositions. Toutefois les noms féminins ont
été en général, dès l'origine du français, réduits comme
aujourd'hui à un seul cas pour chaque nombre. Nous étu-
dierons donc séparément les noms masculins et les noms
féminins.
I. — Noms féminins.
Dérivation de la 1" déclinaison latine.
§ 58. — En latin, la 1'^ déclinaison, qui contenait sur-
tout des noms féminins, offrait au singulier les formes
suivantes :
Nominatif: porta (la porte)
Accusatif: pôrtam.
Le cas régime ne différait donc du cas sujet que par une
m. Or, Ym finale se faisait à peine entendre dans le latin
classique, et elle était complètement tombée dans le latin
populaire. Les deux cas s'étaient ainsi confondus et n'ont
pu produire en français qu'une seule forme, qui est parie.
Au pluriel, le même mot latin se déclinait ainsi :
Nominatif: p6rte {tatin classique portœ)
Accusatif: portas.
Si on applique à ces deux formes les règles générales
que nous avons données pour la transformation du latin
en français (§ 12 et suivants), et si l'on tient compte de la
solidité particulière de Vs finale, on obtiendra, pour le
nominaiïf, port, et, pour l'accusatif, portes. Ainsi les noms
français féminins dérivés de la 1^ déclinaison latine au-
raient dû conserver deux cas au pluriel, l'un sans e, l'autre
avec es. Mais par analogie avec le singulier de ces noms, et
aussi avec le pluriel de plusieurs autres déclinaisons latines,
36 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
ces deux, cas, dès le latin populaire, ont été réduitsàun seul;
la forme du nominatif a disparu, et dès l'origine de notre
langue le mot « porte » suivait la règle actuelle ; il prenait
une s au pluriel et n'avait qu'un seul cas pour chaque nombre.
Parmi les noms féminins dérivés ainsi directement de la
première déclinaison latine, on peut citer : couronne,
chèvre, femme, fève, àme, heure, chaîne, nonne, terre, voie,
ville, vie, chose, etc.
§ 59. — Quelques-uns de ces noms ont eu cependant
une véritable déclinaison, conforme au type ci-dessous.
SINGULIER. PLURIEL.
Cas sujet : nonne nonnains
Cas régime : nonnain nonnains.
Cette déclinaison, d'origine germanique (saufl'sdu plu-
riel), consiste à substituer à Te final du cas sujet singulier :
ain pour le cas régime singulier, et ains pour le pluriel.
On déclinait de même ante (ancienne forme de tante) et
certains noms propres féminins tels que Berte (Berthe),
Eve, etc., qui faisaient au cas régime singulier Bertain,
Evain . Mais on trouve aussi ces mots avec le cas régime
ordinaire, identique au cas sujet.
Pluriels neutres transformés en noms féminins.
§ 60. — Les noms français féminins peuvent aussi déri-
ver de pluriels neutres latins.
On sait que le latin avait trois genres pour les noms,
adjectifs et pronoms : le masculin, le féminin et le neutre.
Nous avons conservé le neutre jusqu'à nos jours pour quel-
ques pronoms, mais nous l'avons laissé perdre pour les
noms et adjectifs. La première déclinaison latine n'avait
que des masculins et des féminins, mais les autres comp-
taient un certain nombre de noms neutres, qui se distin-
guaient par des flexions spéciales des noms masculins et
DU NOM. 37
féminins. Au pluriel, ils prenaient tous la désinence a au
nominatif comme à l'accusatif. hS.x\&\ gaudïum (joie), aniuial
(animal), cornu (corne) faisaient au pluriel (nominatif ou
accusatif) : gaudia, animalia, cornua. Ces pluriels neutres
avaient donc l'apparence d'un singulier féminin de la pre-
mière déclinaison; ils ressemblaient h porta, que nous ve-
nons d'étudier, et qui se terminait aussi en a aux deux cas.
D'autre part, certains noms neutres s'employaient sur-
tout, et quelquefois exclusivement, au pluriel : arma (ar-
mes) dans le latin classique, gaudia (joies) dans le latin
populaire. L'usage fréquent ou exclusif du pluriel, et la
ressemblance de ce pluriel avec un féminin singulier, ont
amené une confusion de nombre et de genre. Ces mots
sont représentés en français par des noms féminins en e :
gaudia a donné joie; animalia, almaille, vieux mot syno-
nyme de « bête »; arma a donné arme ; cornua, corne. Le
pluriel de ces noms étant devenu leur singulier, on leur
a refait un pluriel, d'après les règles de la première décli-
naison, en ajoutant une s.
Les mots merveille, enseigne, paire, etc., sont égale-
ment d'anciens pluriels neutres [mirabilia, insignia, paria).
Noms féminins dérivés des autres déclinaisons latines.
§ 61. — Nous n'avons vu jusqu'à présent que des noms
féminins terminés eii français par un e muet. Cependant,
tous nos substantifs féminins ne se terminent point ainsi.
Les noms latins, autres que les neutres pluriels et les noms
de la première déclinaison, n'avaient généralement pas
d'à atone après l'accent. Les noms féminins dérivés des
autres déclinaisons ne se termineront donc pas en prin-
cipe par un e muet. Ainsi : chair, main, foi, etc. Toutefois
Ve muet peut résulter, comme nous le savons (voyez § 15,
3°), non seulement d'un a atone mais encore d'un groupe
Clédat. 3
38 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
de consonnes appelant une voyelle d'appui. C'est ainsi que
le mot mère a un e muet final à cause des consonnes tr du
mot latin matrem.
§ 62. — Toutes les déclinaisons latines contenaient des
noms féminins; mais la seconde n'en avait qu'un petit
nombre qui sont devenus masculins en passant au fran-
çais. Nous n'avons pas à en parler ici. Pour les autres dé-
clinaisons, il faut remarquer que les noms féminins et mas-
culins se terminaient au pluriel par une s, au nominatif
comme à l'accusatif. Les féminins ont conservé en français
cette flexion s commune au cas sujet et au cas régime,
tandis que les noms masculins, comme nous le verrons,
sous l'influence de la deuxième déclinaison, ont perdu
cette s au cas sujet pluriel.
§ 63. — Nous verrons aussi que les noms de ces décli-
naisons (masculins ou féminins) avaient en général une s
au nominatif singulier ; mais les féminins ne s'étaient con-
servés que sous la forme de l'accusatif. C'est ainsi que les
mots tels que gent, mort, nuit, dans les plus anciens textes,
sont invariables au singulier, malgré l's du nominatif la-
tin ; si on les trouve plus tard avec une s quand ils sont em-
ployés comme sujet singulier (sa viorz {=: morts) fut belle),
c'est qu'ils ont subi l'influence de la déclinaison masculine.
§ 64. — Enfin beaucoup de noms de la troisième décli-
naison latine n'avaient pas l'accent sur la même syllabe
au nominatif singulier et à l'accusatif singulier ou au plu-
riel. Singulier : nominatif vi'rtus ; accusatif virtiitem; plu-
riel :■ virtutes. Les noms féminins de cette catégorie, ou
ceux qui sont devenus féminins en passant au français^
n'ont conservé que la forme de l'accusatif. Ainsi vertu,
raison, moisson, douleur, viennent de virtûtem (le nominatif
virlus aurait donné rerz), radônem, messiônem, dolôrein.
Dans tous ces mois la flexion atome em a disparu : ïm
DU NOM. 39
finale était tombée dans le latin populaire (§ 58), et Ve
devait tomber aussi conformément à la loi générale de la
chute des atones (§ 15). Quant aux modifications diverses
subies i^ar les radicaux latins vzVf m?, ration., messio7i, dolvr,
elles s'expliquent par les lois particulières de la phonétique.
Seul le nominatif sôror a donné soer (en une seule syl-
labe, aujourd'hui écrit sœuî^), tandis que l'accusatif sorô-
rnn donnait soror, seror. Ce nom se déclinait donc ainsi :
SINGULIER. . PLURIEL.
Cas sujet : soer {latin sôror) sorors {latin sorôres)
Cas régime: soror (Za^m sorôrem) sorors (toim sorores).
Si la forme française à deux syllabes [soror] s'était mainte-
nue, elle serait aujourd'hui : sereur. Mais par une exception
assez rare, c'est le cas sujet singulier de ce mot qui a per-
sisté, au préjudice du cas régime; car la forme actuelle est
sœur. D'ailleurs on trouve très anciennement soer, sœur,
aussi bien que soror, comme cas régime du singulier.
Un a vu que Vo tonique de sôror a produit la diph-
tongue oe (soer) , tandis que Vo tonique de sororem
est resté o dans lancienne langue (soror). Voyez, pour
l'explication de ces faits, les tableaux de phonétique ; le
tableau de l'o bref pour sôror, et celui de l'o long pour
sorôrem. Pour le traitement du premier o de sororem, voyez
le tableau de « l'o bref de la première syllabe ».
>5 65. — Les, mots tels que vertu, raison, etc., ont été
riHployés avec une s au cas sujet singulier par analogie
avec la déclinaison masculine (Comparez § 63).
Résumé.
S566. — En résumé : i° les noms féminins, comme au-
jourd'hui tons les substantifs, prenaient une s aux deux
cas du pluiiel.
40 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
2° Si l'on met à part la déclinaison de sœur et celle des
mots tels que nonne^ cas régime nonnain, on peut dire que
les noms féminins n'avaient à l'origine qu'un seul cas au
singulier comme au pluriel. Il en a toujours été ainsi pour
ceux qui se terminaient par un e muet. Quant à ceux qui
n'avaient pas un e muet final, on leur a appliqué au singu-
lier les règles de la déclinaison masculine, c'est-à-dire
qu'ils ont pris une s au cas sujet.
II. — Noms masculins.
Dérivation de la seconde déclinaison latine.
§ 67. — Les noms masculins de l'ancienne langue se ré-
partissent entre deux systèmes de déclinaison. Les règles
de l'un et une partie des règles de l'autre dérivent de la
seconde déclinaison latine.
Le mot « amicus » (ami), appartenant à cette déclinai-
son, offrait les formes suivantes :
SINGULIER. PLURIEL.
Nominatif : amic-us amici
Accusatif: amic-um aniic-os.
Le c qui terminait le radical amie est tombé conformé-
ment aux lois delà phonétique. Quant aux flexions us, um,
i, os, les voyelles « u, i, o » ont dû tomber, d'après les lois
générales de transformation du latin en français (voyez
§ 15), Vs du nominatif singulier et de l'accusatif pluriel a
persisté, de même qu'au i^luriel des noms féminins (voyez
§ 58) ; enfin Vm finale de l'accusatif singulier avait disparu
dès le latin populaire, comme nous l'avons remarqué à
propos des noms féminins (§ 58).
La déclinaison d'amicus est donc devenue en français :
SINGULIER.
PLURIEL.
Cas sujet: ami-s
ami
Cas régime: ami
ami-S
DU NOM. 4Î
Il n'y a pas de flexion au cas régime singulier, ni au cas
sujet pluriel, le cas sujet singulier et le cas régime pluriel
sont également caractérisés par une s.
Par exception dans un petit nombre de mots, Vi final
atone du nominatif pluriel a produit une modification du
radical (voyez § 126).
Lf( quatrième et la cinquième déclinaisons latines et partiel-
lement la troisième.
§ 68. — Les noms de la quatrième et de la cinquième
déclinaisons, et une partie de ceux de la troisième, s'étaient
confondus, pour le singulier, avec ceux de la seconde. II&
offraient en effet les formes suivantes :
3* DÉCLIN. 4"= DKCLIN. 5" DÉCMN.
Nominatif: pan-is (pain) fruct-us (fruit) di-es (jour)
Accusatif: pan-em fruct-um di-em.
Comme on le voit, les noms de la quatrième déclinaison
se cnnfondaient tout à fait, pour ces deux cas, avec ceux
de la deuxième. Quant aux deux autres déclinaisons, elles
ne dilTéraient de la deuxième et de la quatrième que par
des lettres qui devaient tomber {Vi atone de panis, Ve de
panem, diem, dies). Ces noms latins ont donc produit des
noms français qui se sont déclinés au singulier comme ami :
SINGULIER.
Cas sujet: pain-s fruit-s (ou fruiz) di-s
Cas régime : pain fruit di.
Le mot di, qui signifie jour, ne s'est conservé que
dans « midi^ » (= mi-jour) et dans les noms des jours de
la semaine, lundi, etc.
Au pluriel, ces mêmes noms différaient beaucoup des
noms de la deuxième déclinaison ; car leur nominatif et
leur accusatif étaient identiques et se terminaient par
ime s ; panes, fructus, dies. On remarquera que les plu-
42 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
riels « fructus, dies » étaient également identiques au nomi-
natif singulier des mêmes mots, et que « panes » différait
peu du nominatif singulier « panis » et avait dû se con^
fondre avec lui dans la langue populaire. Les noms finan-
çais dérivés de ces déclinaisons latines devraient donc avoir
une s aux^ deux cas du pluriel comme au cas sujet singu-
lier. Mais il y a eu (pour les noms masculins) assimilation
avec la deuxième déclinaison; on a supprimé Vs du cas
sujet pluriel, et on a décliné en français :
PLURIEL.
Cas sujet : pain fruit di
Cas régime : pains fruiz dis.
Les noms masculins qui n^avaient pas f/'s en latin
au nominatif singulier.
§ 69. — Tous les mots dont nous venons de parler se
sont donc confondus en français dans une seule et même
déclinaison. Toutefois, un certain nombre d'entre eux
(comme liber, Ubrum, en français livre, de la deuxième
déclinaison ; pâter, pdtrem, en français père, de la troi-
sième) ne se terminaient pas par une s au nominatif
singulier. Aussi, dans les textes les plus anciens, leur cas
sujet singulier est-il identique au cas régime : livre, père.
Les deux cas du singulier de ces mots ont dû produire
en français le même résultat, car Ve atone de pâter est
tombé (§ 15), et le groupe de consonnes tr a appelé un e
muet d'appui qui termine le mot (§ 15, 3°). Dans l'accusatif
pdlrem, Vm finale est tombée (§ 58 et 67), et la voyelle
atone e a été remplacée par un e muet d'appui, qui occupe
la même place qu'au nominatif. Quant à la partie inva-
riable de ces deux formes, npatri), elle a subi naturelle-
ment les mêmes modifications dans les deux cas, et ?f
trouve .'Mijourd'lnii représentée par « pèr » du français /jère.
DU NOM. 43
Ce raisonnement s'applique aussi au mot « livre ». On
<3éclinait donc :
SINGULIER. PLURIEL.
Cas sujet : père (pàter) père (pâtres)
Cas réijime: père (p itrem) père-s (pâtres)
Cas sujet: livre (liber) livre (libri)
Cas ré{7ime; livre (librum) livre-s (libros).
Mais de bonne heure il y a eu assimilation par analo-
gie, et on a ajouté une s au cas sujet singulier. On avait
antérieurement supprimé une s au cas sujet pluriel du mot
père (latin patres), comme au même cas de « pain, fruit,
di » (Voyez § 68).
Les mots pèi^e et livre se terminent par un e muet. 11
faut remarquer que, pour les mots masculins, Ve muet
flnal ne peut dériver que d'un groupe de consonnes appe-
lant une voyelle d'appui (Comparez § 61).
Noms neutres devenus masculins.
§ 70. — Quant aux noms neutres de ces différentes dé-
clinaisons, ils avaient l'accusatif identique au nominatif,
généralement dépourvu d's au singulier ' et terminé en a
au pluriel : vinum (vin), pluriel vhia, cornu (corne), pluriel
côrnua, cûput (tête), pluriel càpita. Ces mots devraient
donc n'avoir en français qu'un seul cas pour chaque nom-
bre et ajouter au pluriel un e représentant l'a final latin
{voj'ez § 15, i°). Le mot « vin » par exemple aurait dû
former son pluriel comme nos adjectifs forment leur fé-
minin : vin, pluriel vine.
Il n'en a ri'èn été, ou du moins l'existence de ce mode
de déclinaison est douteuse^. Lorsque la forme du i)luriel
1. Nous verrons que ceux des neutres qui avaient le nominatif-accu-
satif du siiii;ulier terminé par une s, ont doimc ries noms indéclinaMes
en français (§ 8;>).
2. On croit on voir une trace dans ce vers de la Chanson de l\oUint :
« Cinquante carre qu'en ferat carrier. >- Mol à mot : « Cinquante «iiars
44 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
s'est conservée, elle a été assimilée, comme nous l'avons
vu, à un féminin singulier (§ 60). Pour d'autres noms
neutres, c'est la forme du singulier qui a persisté, et alors,
il y a eu assimilation avec les noms masculins : vin s'est
décliné comme mni, avec une s au cas sujet singulier et au
cas régime pluriel. De mênie : chef, dérivé de caput. Le
mot « cornu » a été traité des deux façons : le pluriel
latin a donné naissance à notre substantif féminin corne,
et le singulier à notre substantif masculin cor (cor aux
pieds, cor de chasse, cor de cerf).
La troisième déclinaison latine.
§ 71. — La troisième déclinaison latine était celle qui
renfermait le plus de types variés. Nous avons déjà vu,
en traitant des féminins, qu'un certain nombre de noms
de cette déclinaison n'avaient pas l'accent sur la même
syllabe au nominatif et à l'accusatif, et nous aurons à
parler plus longuement de cette particularité. Mais les
noms mêmes dans lesquels l'accent ne se déplaçait pas
n'étaient pas tous conformes au type de « panis », ou à
celui de « pater ». Quelques-uns avaient le nominatif sin-
gulier assez différent des autres cas. Par exemple le mot
« lepus » (lièvre) se déclinait ainsi :
Nominatif: li'pus lépores
Accusatif • léporem lépores.
Ce mot avait donc pour ainsi dire deux formes de ra-
dical : l'une commune au cas régime singulier et aux
qu'il en fera charrier. » Le mot latin ca7'rus avait aussi la forme neutre
carruni, pluriel carra, d'où seraient venus, dans l'ancienne langue, le
singulier car (clinr) et le pluriel c/f re (cliarre). Mais carre peut être
aussi une forme léminine, à la lin de laquelle le copiste du manuscrit ;i
omis \'s du uluiiel.
DU NOM. 45^
deux cas du pluriel (lepor...), l'autre spéciale au cas sujet
singulier (lep...). Mais le langage populaire supprima cette
complication, en laissant perdre l'une des formes et en la
refaisant d'après l'autre.
Ainsi « lepus » n'a rien produit en français, tandis que
léporem a donné lièvre. Le cas sujet singulier du mot
français était lièvres comme si le nominatif latin eût été
léporis. Au pluriel, le cas sujet perdait l's, comme nous
l'avons expliqué, par assimilation avec la seconde décli-
naison latine, et « lièvre » rentrait ainsi complètement
dans la même déclinaison que « ami, pain, etc. » Si le nomi-
natif singulier du latin s'était maintenu, on aurait eu un
mot tout différent ; car la voyelle tonique de lépus n'était
pas, comme celle de léporem, suivie d'un groupe de con-
sonnes appelant une voyelle d'appui, et le p devant l's
devait tomber au lieu de se changer en v comme devant
l'r. Le cas sujet de lièvre eût donc été liés.
§ 72. — Les substantifs homme et comte ont eu, dans
l'ancien français, une déclinaison aussi compliquée qu'eût
été celle de liés, cas régime lièvre. Les mots latins
« hûmo » et « eûmes » faisaient à l'accusatif hôminem et
(ômitera. Les groupes de consonnes mn de hom[i]n{em) et
7nt de com{i)t{em) appellent une voyelle d'appui ; de là les
formes : « home, homme » (d'abord homne) et « comte,
conte », pour le cas r('gime singulier. Mais au cas sujet
on avait, en une seule syllabe, « hom, om, on » et
« cuens » [ue de cuens ne forme pas deux syllabes, c'est
une diphtongue). Le pluriel français était conforme, sauf
la flexion s de l'accusatif, à l'accusatif singulier. Ces mots
se déclinaient donc :
SINGULIER.
Cas sujet : cuens(comcs) hom (homo)
Cas régime : cointe(comitem) honiiue (hoinincm)
3.
40 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
PLURIEL.
Cas sujet : comte (comités) homme (homines)
Cas régime : comtes (comités) hommes (homines).
Notre pronom indéfini « on » n"est autre que l'ancien
cas sujet de « homme ». On s'étonnera sans doute de voir
ïo changé en la diphtongue tie dans « cuens » ; mai> l'ex-
plication de ce fait est du domaine de la phonétique.
(Voy. § 745, 3" et 7°.)
§ 73. — Il nous reste à parler des noms masculins de
la troisième déclinaison latine qui n'avaient pas l'accent
sur la même s^'llabe au nominatif et à l'accusatif singu-
lier. Nous n'aurons à étudier que le singulier de ces noms,
car le pluriel n'offre aucune difficulté. En latin, il était
conforme à l'accusatif singulier, sauf la substitution de la
flexion es à em; en français l's de flexion a été supprimée
au cas sujet pluriel comme pour tous les aLitres noms
masculins (§ 68, 69, 71), de telle sorte que ce cas sujet
est identique au cas régime singuUer, et qu'il suffit d'y
ajouter une s pour avoir le cas régime pluriel.
§ 74. — Parmi les noms qui « déplaçaient l'accent »,
les uns, — comme leônein (lion), nominatif Ico, carbùtiem.
(charbon), nominatif cârbo, — n'ont conservé en français
que la forme de l'accusatif latin, mais en y ajoutant, au
cas sujet singulier, Va de la déclinaison masculine ordi-
naire, comuie si le nominatif ^-ingulier eût été : leùnls,
cat bonis.
^ 75. — D'autres ont eu une déclinaison semblable à la
déclinaison latine, avec déplacement de l'accent. Ainsi le
mot « baron » se déclinait au singulier :
Cas sujet : ber [latin bàro)
Cas rcyinie: baron (/«ù'/i barûnem).
On voit que Ocr est encore plus différent de baron que
DU NOM.
47
bâro de barônem. C'est que les voyelles latines n'oTit
généralement pas subi la même transformation (|ii,'ind
elles étaient à la première syllabe du motet quand elles
étaient toniques; Va de la première syllabe de baroncm
est resté a dans baron; Va tonique de bâro est devenu é
dans ber.
Voici une liste de mots se déclinant comme bcr, cas
réaime baron :
Cas sujet :
Cas régime .
compani
fel
compaignon
félon
gars
garçon
glot (glûto)
1ère (làlro)
gloton, glouton (glutùneml
larron (latrônem)
ancestre (antecéssor)
ancessor (antecessérem)
emperére (imperâtor)
paslre (pâstor)
pechiére (peccàtor)
empereor, empereur (iniperatorcni)
paslor ' (pastôrem)
pecheor, pécheur (peccatùrem)
sire (senior)
traître, traître (*traditor)
seignor, seigneur (seniûrem)
traïtor (traditôroin)
trovére, trouvère
troveor
enfes - (infans)
enfant (iiifànlcin)
abes 2 (àbbas)
abé (al>bâlem)
niés (népos)
neveu (uepôtem).
Ajoutez des noms propres, tels que Guenes, cas régime
Ganelon.
§ 76. — Plusieurs de ces noms n'avaient pas d's au cas
sujet, mais en ont reçu une postérieurement, par analogie
avec les noms dérivés de la seconde déclinaison latine.
Ainsi il n'est pas rare de trouver fel, sire et eiupercre
écrits : fels, sires, empereres.
§ 77. — Quelques noms de la seconde déclinaison,
1. Si ce cas régime était, resté dans la langue sans subir aucune in-^
fluence savante, il serait anjourd'iiui pâleur, et non pastaur.
2. Prononcez « enfe » et non <c enfi; », « abo » et non '< abé »•
48 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
parmi ceux dont le nominatif était en er et Taecusatif en
erum, pouvaient aussi ne pas avoir l'accent tonique sur la
même syllabe aux deux cas. L'un d'eux a donné en fran-
çais un mot qui déplace aussi l'accent, c'est : « prestre »
(latin présbyter), dont le cas régime éidJvi preveire , pro-
voire (aujourd'hui prouvaire, dans un nom de rue à Paris),
qui vient de presb>jterum.
§ 78. — Plusieurs noms propres se déclinent tantôt
comme « ami », tantôt comme « baron ». Ainsi dans la
Chanson de RolancL le cas régime de Charles est tantôt
Charte, tantôt Charlon.
Résumé. — Les noms masculins dans la langue actuelle.
§ 79. — En résumé, les noms masculins prenaient gé-
néralement une s au cas sujet singulier et au cas régime
pluriel, et n'en prenaient pas au cas régime singulier et
au cas sujet pluriel.
Un certain nombre d'entre eux avaient le cas sujet sin-
gulier très différent des autres cas {comte, homme,
seigneur, etc.), et alors (sauf dans comte et homme) l'ac-
cent tonique n'était pas sur la même syllabe au cas sujet
singulier et aux autres cas.
Plusieurs noms masculins n'avaient pas d's en latin au
nominatif singulier, et n'en avaient pas non plus, à Tori-
gine, au cas sujet singulier français : père, sire, etc.
D'autres avaient perdu leur nominatif singulier latin, et
la forme sans s, dérivée de l'accusatif, n'a pris une s au
cas sujet que par analogie.
§ 80. — Des deux cas de l'ancienne langue, c'est le cas
régime qui s'est conservé ; car c'est au cas régime que les
noms masculins prenaient une s au pluriel, et n'en pre-
naient pas au singulier.
Par exception, quelques noms se sont conservés sous la
DU NOM. 49>
forme de l'ancien cas sujet: ancêtre, pâtre, traître, prêtre.
Et comme l'ancien pluriel de ces noms se formait sur le
cas régime singulier, il a disparu en même temps que ce
cas régime. Ancêtre ï\q fait pas au pluriel ancesseurs; un
nouveau pluriel s'est formé, par l'adjonction d'une s, sur
le cas sujet singulier devenu cas unique.
Il est arrivé aussi quelquefois, pour les noms qui
« déplaçaient l'accent », que les formes du cas sujet et
du cas régime se sont également conservées, et ont
donné naissance à deux mots différents, gui ont pris des
acceptions plus ou moins divergentes; ainsi sire et sei-
gneur.
C'est vers le xiv" siècle que la déclinaison à deux cas a
disparu du français.
III. — Noms indéclinables.
§ 81. — Les noms indéclinables sont ceux qui, dans
l'ancienne langue, se terminaient uniformément par une s
à tous les cas, et qui aujourd'hui encore ont une s (ou un x)
au singulier comme au pluriel. Ce sont ceux dont le radical
latin (après la chute des voyelles atones) se terminait par
une s ou par une lettre qui est devenue s en français.
§ 82. — Ainsi le mot latin ménsis (mois) faisait à l'ac-
cusatif me'nsem. Si on le compare à jmnis (pain), qui faisait
panem, on verra que Vs de rnensem a dû se maintenir au
même titre que l'n àe panem, et que Vs finale et Vs inlc-
rieure de mensis ont dû se confondre, après la chute de Vi
atone. Mensis et rnensem, le nominatif et l'accusatif laliri,
ont donc également donné mois, avec une s finale. Le mot
ne devait pas davantage se modifier au pluriel.
Pour la môme raison, étaient aussi indéclinables : iiés
(aujourd'hui écrit nez), venant de nasKS (accusatif nasiim),
pois (aujourd'hui écrit poids), venant de pensum (mot
50 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
neutre dont l'accusatif est semblable au nominatif), sens,
venant de sensus (accusatif sensinn), tous (aujourd'hui
écrit toux), venant de tussis (accusatif tiissun), etc.
§ 83. — Les mots neutres « prétlum, palàtium, brâ-
chium » ont donné en français pris (aujourd'hui écrit
prix), palais, bras, mots indéclinables. Vs finale de ces
mots est le produit de la transformation de Vi atone
latin placé entre un t ou une gutturale et une voyelle. De
même, l'accusatif pûteum, du mot masculin « pûteus »,
a donné, comme le nominatif : puiz, puis (aujourd'hui
écrit puits). Us finale ici est le produit de la transforma-
tion de l'e atone placé dans la même situation que Vi de
palàtium.
§ 84. — Un certain nombre de mots latins féminins
avaient l'accusatif singulier terminé en cem : pdcem,
vôcem, etc. Or, le c latin suivi d'un e doit produire en
français une s. Ces mots donneront donc en français des
noms féminins cjui auront une s au singulier comme au
pluriel : pais (aujourd'hui écrit paix) de pdcem, vois (au-
jourd'hui voix) de vôcem, fois de vicem, faus (aujourd'hui
écrit faux) de fàlcem, etc. Le nominatif des mêmes mots
se terminait en latin par un x (pax, vox), qui a passé,
sous une influence savante, dans l'orthographe fran-
çaise.
§ 85. — On sait que l'accusatif des mots neutres latins
était identique au nominatif. Ceux qui sont devenus mas-
culins et qui ne se terminaient pas par une s en ont cepen-
dant une en français au cas sujet singuHer, par analogie
avec les ncmis masculins, et nous avons vu qu'on leur
avait fait aussi un pluriel analogique (^ 70). Mais ceux qui
se terminaient par une s n'ont pas subi l'analogie inverse et
n'ont pas perdu cette s au cas régime singulier. N'étant
pas traités comnift les autres mots masculins au sin-
DE L'ADJECTIF. ol
giilier, ils ne pouvaient lètre non plus au pluriel. Leur
pluriel est identique au singulier; ils sont indéclinables.
Exemples : cors (aujourd'hui écrit corps) de corpus, tcns
(aujourd'hui écrit temps) de tenipus, pis (poitrine) de
pectus, etc.
Observation générale sur les noms.
^ 86. — Souvent la consonne placée avant Vs de flexion
ou ïs des noms indéclinables est tombée devant cette s.
Ainsi, le mot clef se trouvera écrit au pluriel clés, arc
sera écrit ars au cas sujet singulier et au cas régime plu-
riel. Quand cette consonne finale est un t, en se réunis-
sant à Vs de flexion elle forme un z, qui a été ensuite
remplacé par une s; c'est ainsi que bontet (aujourd'liui
bonté) a fait au pluriel bontez, enfant a fait au cas régime
|>lnriel enfanz, puis enfans, aujourd'hui enfants, etc.
L'/ s'est vocalisée en u devant Vs de flexion ou Vs des
noms indéclinables : chevals, cas sujet singulier et cas
régime ]iluriel, est devenu checaus, chccaux j fais est (.le-
venu faus, faux.
CHAPITRE 11
DE L'ADJECTIF
LES DIVERSES DÉCLL\.\1S0NS DES ADJECTIFS
EiN VIEUX FRANÇAIS
>! 87. — La déclinaison des adjectifs latins peut se résu-
niei- dans les trois types : bonus (bon), talis (tel) et canlans
(chantant).
Type « bonus ».
§ 88. — L'adjectif bonus suivait au masculin et au ncu-
52 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
tre la seconde déclinaison des noms, et au féminin la
première. On déclinait donc :
SINGULIER
Masculin. Féminin. Neutre.
Nominatif: bonus hôna, bônuin
Accusatif: bùnum bônam bônum
PLURIEL.
Masculin. Féminin. Neutre.
Nominatif: bùni (bûnce) * bùnas (buna)
Accusatif: bonos bônas (bôna)
Les explications que nous avons données à propos de
la déclinaison des noms nous dispensent de dire ici com-
ment ces formes ont produit en français la déclinaison
suivante :
SINGULIER.
Masculin.
Féminin.
Neutre.
Cas sujet : bons
bone, bonne
bon
Cas régime : bon
boue, bonne
PLURIEL.
bon
Masculin.
Féminin.
Cas sujet: bon
bones, bonnes
Cas régiïïie : bons
bones, bonnes.
Les participes passés des verbes (aimé, sorti, fait, etc.)
se déclinaient de même.
Ainsi, les adjectifs ou participes tels que bon se décli-
naient au masculin comme « ami », et au féminin comme
i< porte ». Le neutre singulier était identique au cas régime
masculin. Quant au neutre pluriel, il avait disparu.
§ 89. — L'adjectif se mettait au neutre quand il se
rapportait à il impersonnel ou à ce, pronom démonstratif
neutre; par exemple, dans ce vers de la. C kanson de Ro-
land :
H est jiigiet que 7ius les ocinim.
DE L'ADJECTIF. 5^
C'esl-à-dire : « Il est jugé, il est décidé que nous les tue-
rons. » Si il représentait un nom de personne, le participe
jugiet aurait été masculin, et, comme il est au cas sujet,
il aurait pris une s : jugiez.
§ 90. — Le féminin de ces adjectifs ne se forme pas
toujours en ajoutant simplement un e au cas régime mas-
culin; il faut quelquefois modifier la consonne finale;
ainsi franc fait au féminin franche. C'est que l'un vient de
fràncum, et l'autre de frâncam; or, d'après les lois de
la phonétique, le c devait se maintenir devant Yu de fràn-
cum, qui lui-même est tombé, et se changer en ck devant
Va de francam, qui s'est conservé sous forme d'e muet.
C'est pour une cause semljlable que le participe passé des
verbes en er, dans les textes les plus anciens, se termine
en l au cas régime masculin, et en de au féminin ; cantd-
lum avait donné chantét, et cantàtam : chantéde. Puis le d
de chantéde est tombé, et, bientôt après, le t de chantét a
disparu également.
§ 91. — Il y a des adjectifs dont le féminin est iden-
tique au cas régime singulier masculin, parce que celui-ci
se termine par un e muet, amené par un groupe de con-
sonnes. Ainsi tépidum a donné tiède, où Ve final, produit
par le groupe jorf, a persisté après la chute du p. Le mas-
culin de cet adjectif et des semblables ne se distingue donc
du féminin qu'au cas sujet singulier et au même cas plu-
riel. Déclinez :
SINGULIER.
Jl
ïïascuUn.
Féminin.
Neutre
Cas sujet:
tièdes
tiède
tiède
Cas régime :
tiède
tiède
tiède
PLURIEL.
Cas sujet : licdi; tièdes
Cas régime : tièdes tièdes.
5* GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
§ 92. — Un certain nombre d'adjectifs latins qui ont le
féminin en a et le neutre en um, comme bonus, ont au
masculin la terminaison er au lieu de us; par exemple :
niger (noir), féminin nigra, neutre nigrum. Pour les autres
cas, ils sont semblables à bonus. Ces adjectifs devraient
donc ne pas prendre d's en français au cas sujet singulier
masculin; mais l'analogie leur a fait donner cette s, et ils
se déclinent entièrement comme bon.
Type « talis ».
§ 93. — L'adjectif talis (tel) se déclinait, au masculin
et au féminin, comme le substantif pa/^is (pain) de la troi-
sième déclinaison latine, et avait le neutre en e, pluriel ia.
SINGULIER.
Masculin et féminin.
Neutre
Nominatif: tâlis
lâle
Accusatif : lâlem
làle
PLURIEL.
Masculin et féminin.
Neutre.
Nominatif: tâles
(tàlia)
Accusatif : lâles
(lâlia).
La déclinaison française correspon
idante devrait donc
être :
SINGULIER.
Masculin et Féminin.
Neutre.
Cas sujet : tels
tel
Cas régime : tel
tel
PLURIEL.
Masculin et Féminin.
Cas sujet : tels
Cas régime : tels.
Mais cette déclinaison a été mise d'accord avec les dé-
clinaisons analogues des subslantil^. Nous avons vu que
DE L'ADJECTIF. 53
les substantifs féminins, même ceux dérivés de la troi-
sième déclinaison latine, n'avaient en général conservé
qu'un seul cas pour chaque nombre, et que ce cas unique
ne prenait pas d's au singulier. On a donc supprimé l's au
cas sujet féminin de tel, sauf à la rétablir à l'époque où le
cas sujet des noms féminins non terminés par un e muet
a pris une s analogique (§ 63 et 65), de sorte qu'on a dit
successivement : « Sa raison estoit tel » et « Sa raisons
estoit tels ». D'autre part, nous avons vu que les substan-
tifs masculins, même ceux dérivés de la troisième décli-
naison latine, n'avaient pas d's au cas sujet pluriel. On a
donc supprimé l's au cas sujet masculin pluriel de tel. On
a olitenu ainsi la déclinaison suivante :
SINGULIER.
Masculin. Féminin. Neutre.
Cas sujet : lels tel, tels tel
Cas régime : lel tel tel
PLURIEL.
Masculin. Féminin.
Cas sujet : tel tels
Cas régime : lels tels.
§ 94. — Cette déclinaison diffère donc de celle de bon,
en ce que le féminin ne prc^iul pas Ve muet. Mais les
adjectifs de cette catégorie peuvent avoir un e muet,
résultant d'un groupe de consonnes, au masculin et au
féminin; par exemple /"re7e (latin frâgilis), amable (lalin
amâbilis), etc., se déclinent comme « tiède » (Voyez
ci-dessus § 91).
§ 95. — Se déclinaient comme tel les adjectifs grand (la-
tin grandis), fort (latin fortis), presque tous les adjectifs en
f?/oua/.'?no?7e/(mortâlis),roya/(regcUis),/oya/(legàlis),etc.
§ 96. — Quelques adjectifs latins de cette catégorie s«
déclinaient connue <a//.s-, sauf pour le UDminalif singulier
56 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
masculin qui était en er ; par exemple : acer (aigre), fémi-
nin acris, neutre acre. En français, le cas sujet masculin
singulier de ces adjectifs aurait dû être sans s, comme le
cas régime; mais l'analogie s'est exercée là comme ail-
leurs, et a rétabli la similitude avec ^e/.
§ 97. — L'analogie, au bout d'un certain temps, a aussi
donné un e muet au féminin de tel et des adjectifs sembla-
bles, et a supprimé ainsi la différence qui les séparait de
rep déclinaison dont le type est « bon ». Dès le xi^ siècle,
on trouve des exemples isolés de féminins analogiques,
tels que « grande, forte », et, d'autrt, nous con-nsa pa Iva
serve jusqu'à nos jours le vieux féminin grand dans quel-
ques expressions, comme « à grand peine, grand rue,
grand mère, grand messe. »
Type « cantans».
§ 98. — Il nous reste à parler de la déclinaison dans
laquelle rentrent les participes présents. Les mots de cette
déclinaison « déplaçaient» l'accent. En outre, ils n'avaient
qu'une seule forme pour les trois genres au singulier, et
une seule au pluriel pour le masculin et le féminin. Ils se
déclinaient ainsi :
SINGULIER. PLURIEL.
Noiyimatif : cântans cantântes
Accusatif : cantântem cantântes.
Cantântem a donné chantant, et cantântes : chantanz.
Le cas sujet singulier, dérivé de cântans, devrait être
en français : chantes (comme enfcs, cas sujet de enfant,
§ 75). Mais la forme de l'accusatif latin a seule persisté, et
le cas sujet singulier du français est chantanz, comme si le
nominatif latin eût été cantantis. Cette déclinaison se con-
fondra donc avec celle de tel, et subira les mêmes modifi-
cations analogiques.
DE L'ADJECTIF. 57
Adjectifs indéclinables.
1. Adjectifs terminés par une s.
§ 99. — Les adjectifs dont le radical latin se terminait
par une s, ou par une autre lettre pouvant engendrer
une s, sont invariables en français, du moins au masculin.
(Comparez ce que nous avons dit des noms indéclinables,
§ 81 et suivants.)
\insi nos adjectifs en eux (fameux, envieux, etc.) se
rattachent à des mots latins en ôsus, accusatif dswr/?, qui
avaient une s à tous les cas, indépendamment de la flexion.
Cette s (aujourd'hui remplacée par x, voyez § 42) se re-
trouve à tous les cas du français ; le masculin de ces ad-
jectifs a donc toujours été indéclinable en français. Au fé-
minin ils prenaient e ou es, suivant le nombre.
De même l'adjectif latin fàlsus, accusatif /a /swm, dont
le radical se termine par une s, a donné en français l'ad-
jectif fais (puis faus, faux), qui a toujours été indéclinable
au masculin, parce que Vs flexionnelle, qu'on aurait pu
ajouter pour marquer le cas sujet singulier ou le cas ré-
gime pluriel, devait nécessairement se confondre avec Vs
finale du radical. Au contraire on pouvait, au féminin,
ajouter les flexions « e, es. »
Dans l'adjectif latin faclltius, accusatif faclltium, le ti
qui précède la flexion devait engendrer unes, comme dans
le substantif joa/tîtium, qui a produit un nom indéclinable,
palais (§ 83). L'adjectif français dérivé de« factitius » était
faitis, qui avait le sens de « bien fait » ; il se terminait par
une s à tous les cas du masculin. Le féminin était /"at^isse.
Ajoutez les participes en s, tels que mis, pris, etc. (§ 249
et suivants).
§ 100. — Beaucoup d'adjectifs latins se terminaient
par le suffixe ensis, accusatif enscm, qui a produit le suf-
58 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
lixe français ois ou ais (plus anciennement eis) des mois
{eh que Danois, Anglais. Ces mots se rattachent au type
« talis », et auraient dû être entièrement invariables, mais
on leur a donné, dès l'origine, un e muet au féminin.
Il faut en dire autant des adjectifs en ax, accusatif
cicem (comparez § 84), qui se rattachent au type « can-
tans », et qui ont donné des adjectifs français en ais, tels
que niais, de* nidacem.
2. Adjectifs en « or ».
§ 101. — On trouve, dans l'ancienne langue, un certain
nombre d'adjectifs en o?% qui sont invariables, et qui sont
formés par l'adjonction de cette syllabe « or » à un autre
adjectif ou à un nom : franco?^ au sens de franc ou fran-
çais, paienor au sens de païen.
Si ces adjectifs avaient persisté, ils seraient aujourd'hui
francœur et paieneur, comme l'adjectif possessif leur, qui
a été lor, et qui a la même origine. Un d'eux s'est conservé
sous forme de substantif; c'est Chandeleur, nom populaire
d'une fête où l'on porte des chandelles, des cierges.
Il faut rattacher toutes ces formes au génitif pluriel des
noms latins de la seconde déclinaison; amîcus (ami) faisait
au génitif pluriel : amicôrwn. Or, le cas nommé génitif expri-
mait plusieuis des rapports que nous rendons aujourd'hui
par la préposition de. « Caméra, amicôrum» est« la cham-
bre des amis ». Le génitif pluriel d'amici/s n'a pas produit
de forme française, tandis que les génitifs pluriels de /?•«/?.-
eus (franc), de ille (il), de paganus (païen), de candela
(chandelle) ont donné les formes francor, lor (aujourd'hui
leur), paienor, chandelor (aujourd'hui Chandeleur), qui si-
■-nilient proprement: « des francs, d'eux, des païens, des
ciiandclles ». Le mot candela (chandelle) appartient à la
première déclinaison latine, dont le génitif pluriel était en
DE L'ADJECTIF. a9
ârum et non en ôrum ; c'est par assimilation avec la se-
conde déclinaison qu'on a pu dire candelônim, d'où vient
Chandeleur.
Observation générale sur les adjectifs.
§ 102. — Nous répéterons pour les adjectifs ce que
nous avons dit pour les noms (§ 86), c'est que la consonne
linale est souvent tombée devant Ys de flexion. Ainsi le cas
sujet singulier et le cas régime pluriel du masculin franc se
trouveront écrits « frans ». Quand cette consonne finale
est un t, en se réunissant à Vs de flexion elle forme un z,
qui a été ensuite remplacé par une s. Ainsi le participe
masculin portét (aujourd'hui porté) faisait « portez » au
cas sujet singulier et au cas régime pluriel.
DEGRÉS DE COMPARAISON— TRACES DU COMPARATIF
ET DU SUPERLATIF LATINS
§ 103. — Nous formons aujourd'hui le comparatif de
supi'riorité et le superlatif en faisant précéder l'adjectif de
« plus » et de « le plus » ou « très ». Le latin pouvait mar-
quer ces degrés de comparaison à l'aide de flexions. Ainsi
le comparatif latin se formait en ajoutant au radical de
l'adjectif : ior pour le masculin et le féminin, ius pour le
neutre. Il se déclinait comme suit :
SINGULIER.
Masculin et Féminin. Neutre.
Nominatif: grândior /plus grand \ grândius
\plus grande/
Accusatif : grandiôrem grândius
PLURIEL.
Masculin et Féminin.
Nominatif: grandiûres
Accusatif : grandiûres.
00 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
« Grandior » se décline donc comme les substantifs
irnperator, peccator, qui ont donné les mots français
emperére (cas régime empereor), pechiére (cas régime
pecheoi").
Nous avons pris pour exemple un comparatif latin
qui s'était conservé dans l'ancienne langue française. Il
était devenu « graindre » au cas sujet singulier et « grai-
gnor » au cas régime singulier. La forme du neutre devait
être « grainz », mais on n'en trouve pas d'exemple. Quant
au pluriel, il est facile de voir qu'il devait être « graignor »
au cas sujet masculin (suppression de l's par analogie,
§ 68) « graignors » au cas régime masculin et au cas
unique féminin.
§ 104. — Ce comparatif a entièrement disparu ; mais un
autre mot latin, qui signifie aussi « grand », magnus (le-
quel a donné magne, de Charlemagné), nous a laissé des
traces de son comparatif. C'était en latin mdior, accusatif
maiôrem. Or màior a produit en français maire, dont le
sens étymologique est « plus grand »,mais qui est devenu
un substantif désignant le « plus grand » fonctionnaire
municipal ; l'accusatif maiôrem avait produit maior, ma-
ieur, majeur, qui est devenu un adjectif indépendant, mais
qui était à l'origine le cas régime du comparatif et du subs-
tantif maire .
§ 105. — On trouve aussi dans les anciens textes les
cas régimes : gensor (comparatif de gent, adjectif qui a le
sens de gentil, gracieux), ha Izor [com]^a.Ta.iiî de hall, haut)
et quelques autres.
^ 106. — Les adjectifs latins bonus (qui a donné bon),
malus (qui signifiait mauvais), parvus (qui signifiait pei^V),
avaient des comparatifs, empruntés à d'autres radicaux,
qui se sont conservés en français avec leur valeur de com-
paratifs. Celui de bonus était melioi^- (meilleur), celui de
DE L'ADJECTIF. 61
malus : peior (pire), celui de parvus : minor (moindre).
Ces mots se déclinaient en latin comme grandior :
SINGULIER.
Masculin et Féminin. Neutre.
Nominatif: mélior mélius
Accusatif: meliorem mélius
Nominatif: péior péius
Accusatif: peiôrem péius
Nominatif: minor minus
Accusatif : minôrem minus.
Les formes françaises correspondantes étaient :
Masculin et Féminin. Neutre.
Cas sujet : mieldre, mieudre ) . , .
• ™ Il „ii^ ^ i miels, mieus, mieux.
Cas régime : meillor, meilleur ) ' '
Cas sujet : pire ) .
■ ) DIS
Cas régime : peior ^ ^ '
Cas Siijet : meindre, moindre )
n A ■ } moins.
Cas régime : mener j
On ajoutait quelquefois une s analogique au cas sujet
masculin. Le pluriel est semblable au cas régime singulier,
sauf l's de flexion qu'on ajoutait pour former le cas ré-
gime masculin et le cas unique féminin.
Comme on le voit, l'un de ces comparatifs s'est conservé
sous la forme du cas régime, meilleur, et les deux, autres sous
la forme du cas sujet. Les neutres sont devenus des adverbes.
§ 107. — Le superlatif latin {enissimus, imiis) n'a géné-
ralement pas laissi'; de trace dans le français populaire.
Cependant le vieux mol pesme (très mauvais, terrible) n'est
autre que le superlatif qui correspond au comparatif
« pire » ; « pesme » vient du latin pessimum. On trouve aussi
grandisme superlatif de grand, seintismc superlatif de seint
(saintj, altisme superlatif de ait (haut).
Clédat. 4
62 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
CHAPITRE III
DES NOMS DE NOMBRE
NOMS DE NOMBRE CARDINAUX
§ 108. — Les noms de nombre cardinaux sont généra-
lement invariables aujourd'hui. Plusieurs d'entre eux
avaient, dans l'ancienne langue, une déclinaison complète.
Un a encore son féminin une, mais il n'a conservé son
pluriel que lorsqu'on l'emploie comme pronom indélini
(les uns, quelques-uns, les unes). Il se déclinait jadis
comme l'adjectif bon, prenant une s au cas sujet singulier
et au cas régime pluriel du masculin. Pour l'emploi de un
au pluriel, voyez la Syntaxe (§ 426, au mot un).
§ 109. — Deux et trois se déclinaient aussi, comme duo
et ires en latin.
a. — Duo suivait la déclinaison de bonus au pluriel,
sauf qu'il se terminait en o, au lieu de i, au nominatif mas-
culin; mais le latin populaire avait supprimé cette diffé-
rence, et on disait :
Masculin. Fémmin.
Nominatif: *dui (duœ) Muas
Accusatif: duos diias.
Le vieux français déclinait en conséquence :
Masculin. Féminin.
Cas sujet: dui ) , _.
Cas régime: dous (aujourd'hui deux) ] °^^' '^^'^^^•
Mais de très bonne heure, la forme féminine est tombée en
désuétude et a été remplacée par dous, qui servait ainsi de
cas régime au masculin et de cas unique au féminin.
b. — Très se déclinait en latin comme talis au pluriel
[taies). Il avait donc la môme forme au nominatif et à
DES NOMS DE NOMBRE. 63
l'accusatif. Mais, dans le passage du latin au français, Vs
flnale de très est tombée, comme celle de taies, au cas sujet
masculin. On disait donc en français :
Masculin. Féminin.
Cas sujet: trei, troi i i • t ■
Cas régime : treis, trois \ "'^^^' "'°^^-
§ 110. — Le nom de nombre latin tnllle avait un plu-
riel millia, qui s'employait quand ce nombre était multiplié
par un autre. L'ancienne langue française avait conservé
cette distinction, et disait mil (latin mille) dans le premier
cas, mille (latin millia) dans le second : mil hommes, trois
mille hommes.
NOMS DE NOMBRE ORDINAUX
§ 111. — Les dix premiers noms de nombre ordinaux
étaient en latin : primus (premier), secundus (second), ter-
tîus (troisième), quartus (quatrième), quintus (cinquième),
sextus (sixième), septimus (septième), *octimus (huitième),
*novimus^ (neuvième], decimus (dixième). Tous ces noms
de nombre se déclinaient comme l'adjectif bonus.
§ 112. — Primus. Le féminin français de ce mot, prinw,
est devenu un adjectif des deux genres, qui ne s'emploie
plus d'ailleurs que dans c'ertaines locutions consacrées :
déprime abord, déprime saut. etc. A côté déprimas, le
latin populaire avait le dérivé primârius, formé avec le
suffixe àrius, qui a. donné premiers (cas régime singulier :
premier, féminin première). On trouve aussi en vieux
français un dérivé de premier, formé avec le suffixe ain
1. Les formes classiques octavus (huitièrao), nonus (neuvième), ne se
sont conservées qu'avec des valeurs spéciales : le fcininiu à'otavus a
donne uilieve, dont la forme savante est octave, mot qui désigne le
huitième jour après uue fétc, et le féminin de nonus a donné noue,
nom do la neuvième heure latine trois lieures de l'après-midi), qui
s'est conservé dans la liturgiij catholique.
64 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
(latin ànum), premerain (cas sujet singulier premerains,
féminin premeralné).
§ 112 his. — Secundus. Notre adjectif second est d'ori-
gine savante. Dans les plus anciens textes le second
nombre ordinal est exprimé par l'adjectif indéfini altre
(autre). Déjà en latin alte)' a le sens de second.
§ 113. — Tertius. Le masculin tertius a donné en fran-
çais tiers, et le féminin tertia : tierce. Ce mot était indécli-
nable au masculin, pour la même raison que le substantif
palais dérivé de palatium (§ 83). Tiers n'est plus nom de
nombre ordinal que dans quelques locutions consacrées
comme « le tiers état ».
§ 114. — Quartus. Le masculin quartus a donné en
français quarz (cas régime singulier et cas sujet pluriel
quart), et le féminin quarta a donné quarte. La Fontaine dit
encore ;
« Un quart voleur survient. »
§ 115. — Quintus. Du masculin quintus dérive quînz
[quint aux cas sans s), et le féminin quinta a donné quinte.
Nous disons encore : Charles-Quint, Sixte-Quint.
§ 116. — Les cinq noms de nombre qui suivent se ter-
minent en français par un e muet, même au masculin, à
cause des groupes des consonnes. Ils se déclinaient donc
comme tiède (§ 91). Pour abréger, nous ne donnerons que
la forme du cas régime : « sextum » a produit siste; « sep-
timum. » sedme; « *octimum » oïdme, uidine ; « novi-
muni » noefme ; 0. decimum » disme.
§ 117. — Plusieurs de ces anciens noms de nombre
ordinaux ont complètement disparu de la langue. D'autres
y sont restés avec des emplois spéciaux. Ils ont été rem-
placés dans l'usage ordinaire par de nouvelles formes re-
faites sur les noms de nombre cardinaux avec le suffixe
ième : trûisiême, quatrième, etc.
DES ADJECTIFS ET PRONOMS DÉMONSTRATIFS. G5
CHAPITRE IV
DES ADJECTIFS ET PRONOMS DÉMONSTRATIFS
ET DE L'ARTICLE DÉFINI
LE DATIF LATIN
§ 118. — Nous aurons à parler, dans ce chapitre et dans
les suivants, d'un cas latin que nous avons pu négliger
jusqu'à présent : c'est le datif. Le datif exprimait plusieurs
des rapports que nous rendons par la préposition à, et
marquait généralement le régime indirect des verbes. Par
exemple, si l'on veut traduire en latin : « Il l'a donné à son
père » , on mettra son et père au datif, et on supprimera la
préposition. Ce cas, qui a disparu de la déclinaison des
noms et adjectifs ordinaires, s'est au contraire conservé
dans la déclinaison des adjectifs et pronoms démonstratifs,
personnels et relatifs.
LE PRONOM LATIN « ILLE »
§ 119. — En latin et en vieux français, les mêmes dé-
monstratifs servaient à la fois d'adjectifs et de pronoms.
Ils signifiaient à la fois « cet » et « celui-ci ». Le plus im-
portant de tous, ille, a produit en français : 1° l'article dé-
fini le; 2° un adjectif pronom démonstratif; 3° le pronom
personnel de la troisième personne. Nous allons nous oc-
cuper des deux premiers, réservant le troisième pour le
chapitre des pronoms personnels.
I . — L'article défini.
Origine et déclinaison de l'article.
§ 120. — Du sens adjectif de ille (cet) il est facile de
4.
66 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
déduire, par un affaiblissement, la valeur de notre arlicle
défini; car l'article n'est qu'un adjectif démonstratif affai-
bli. Quant à la forme, pour expliquer comment il le a pu
donner l'article le, il faut remarquer que Ulc, adjectif
jouant le rôle d'article, était un mot proclitique, c'est-à-dire
qui s'appuyait, dans la prononciation, sur le sulislanlif au-
quel il se rapportait; on prononçait ille murus comme on
eût prononcé un mot de quatre syllabes, ayant l'accent
tonique sur la troisième : illemûrus. En d'autres tonnes,
ille n'avait pas d'accent tonique, mais simplement un ac-
cent secondaire (voy. § 12), placé sur il comme sur la pre-
mière syllabe non tonique d'un mot ordinaire. L'article et
les adjectifs démonstratifs sont aussi en français des mots
proclitiques. Nous prononçons « la tente » comme l'adjectif
« latente » ; nous prononçons « cette femme » comme un
seul mot de quatre syllabes ayant l'accent tonique sur la
troisième. Il faut remarquer en outre que, lorsqu'un mot
proclitique a deux syllabes, l'accent secondaire tend à se
porter sur la seconde, et la première tend à disparaître : le
peuple dit « ç'te femme ». On ne s'étonnera donc pas (jue
dans ille proclitique la syllabe il soit tombée, bien que
cette chute de la première syllabe ne se soit pas produite
pour tous les proclitiques.
§ 120 bis. — Voici quelle était la déclinaison latine de
ille :
Si
.NGULIER.
Masculin.
Féminin.
Neutre
Nominatif: ille
Accusatif: illum
illa
illam
illiid
illiid.
Masculin
l'Lcnu-.L.
Fci
ninin.
Nominatif: illi
Accusatif: illos
[iWsi) *
illas
illas
DES ADJECTIFS ET PRONOMS DEMONSTRATIFS. 07
Après la chute de la première syllabe, celte déclinaison
est devenue en français :
SINGULIER.
Masculin. Féminin. Neutre.
Cas sujet: \ï ) )
Cas régime: lo, le ^ ^'^ j '^' "^
PLUniEL.
Masculin. Féminin.
Cas sujet : li ) .
Cas régime: los, les \ '^^'
L'article neutre.
§ 121. — On croit trouver l'article neutre joint à des
noms qui étaient neutres en latin, par exemple dans ce
vers deltiChanso7ide Roland : « Dèsor cumencetle cunseill
que mal prist », c'est-à-dire : « Alors coinmcnce le conseil
qui tourna mal. » Si l'on fait de cunseill un mot masculin,
comme il est au cas sujet singulier, il faut ajouter une .s- et
changer l'article le en //. Mais le mot latin consllium était
neutre; on peut supposer qu'il avait d'abord conservé ce
genre en français, et que le est ba forme neutre de l'article.
Particularités phonétiques des formes de l'article.
§122. — On remarquera que, dans la déclinaison de l'ar-
ticle, le cas sujet singulier et le cas sujet pluriel sont iden-
tiques, contrairement à ce qui arrive généralement pour
les noms et adjectifs, et que les cas régimes [le, les) ont
une autre voyelle que les cas sujets {li). C'est que la voyelle
de l'arlirio français représente non la voyelle radicale de
ille, qui était la môme à tous les cas, mais la voyelle de
flexion : ille, illwn, illi, illos. Les deux voyelles linguales
e, i, se sont confondues, de môme que les deux voyelles
labiales u et o. Les premières ont donné Vi de li, et les se-
68 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
condes Ve de le, les. Sur la forme H, voyez encore la note 1
du ^ 126.
Articles contractes.
§ 123. — Le cas régime de l'article, précédé de certai-
nes prépositions, s'est uni à elles, et a formé ce qu'on ap-
pelle les articles contractes :
de le a fait: del,ileti, don, du
de les — dels, des
à le — fd, au
à les — als, as, aus, aux
en le — el,eu, ou,
en les — cls, es.
Nous avons laissé perdre les deux articles contractes
formés avec la préposition en. Cependant l'un d'eux s'em-
ploie encore dans quelques expressions consacrées : « ba-
chelier ès-lettres. »
II. — L'adjectif pronom « icil, cil ».
Origine et déclinaison de icil.
§ 124. — Ille, renforcé par un préfixe qui n'est autre
que la préposition latine ecce (voici), a produit en français
l'adjectif-pronom démonstratif icil. Eccille se déclinait
naturellement comme ille; or ille avait un datif singulier
qui n'a produit aucune forme de l'article, mais qui s'est
conservé dans le pronom démonstratif icil, et dans le
pronom personnel, dont nous parlerons plus loin. Ce
datif singulier était, en latin populaire , illui pour le
masculin, et illei pour le féminin', Eccille se déclinait
donc :
1. M. A. Tliomas a récemment étudié ces formes, et en a donné
une explication qui est juste au moins pour le féminin.
DES ADJECTIFS ET PRONOMS DÉMONSTRATIFS. 69
SINGULIER.
Masculin. Féminin.
Nominatif: eccille (cet, celui-ci, celui) eccilla
Accusatif: eccillum eccillam
Datif : eccillûi (à cet, etc.) eccilléi
PLURIEL.
Masculin. Féminin.
Nominatif: eccilli (eccillœ) *eccillas
Accusatif: eccillos eccillas.
Les formes françaises correspondantes sont :
SINGULIER.
Masculin. Féminin.
Cas sujet : icil, cil » icele, celé, celle
Casréaime: { *° ^^'^'' ^^^ '
" ( 2° iceliii, celui, celi icelei, celei, celi.
PLURIEL.
Masculin. Féminin.
Cas sujet : icil, cil ) • t , ,,
CasréQime: icels, cels, ceus, ceux j^celes, celés, celles.
D'après l'origine latine, « icelui, celui » aurait dû être
employé exclusivement comme régime indirect sans pré-
position. Mais de très bonne heure, il n'a plus été qu'une
seconde forme du cas régime ordinaire (voyez la Syntaxe).
Le neutre cel.
«5 125. — Il y avait une forme neutre « icel, cel », dérivée
du neutre latin : eccillud, mais qui a* été peu employée.
\'A\ voici un exemple :
Roman d'Enée: « Ce/sai-jo bien et prové l'ai », c'est-à-
dire : « Je sais bien cela et je l'ai prouvé. »
Parlkularitcs phonélujues des formes de icil.
i:; 126. — Comme l'article, le pronom icil a la même
70 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
forme aux cas sujets du pluriel et du singulier, etla\oyelle
tonique change aux cas régimes : icel, icels. La phonéti-
que rend compte de ces différences : Yi tonique bref suivi
de deux consonnes (ecczllum, eccï'Uos) se change réguliè-
rement en e; icel, icels sont donc conformes à la règle.
Mais par exception, sous l'influence de Ve et de l'i atones de
« eccille, eccîlli », \'i tonique latin s'est maintenu aux
nominatifs du singulier et du pluriel ^.
LE PRONOM LATIN « ISTE » ET LE PRONOM
FRANÇAIS « ICIST, GIST »
§ 127- — Un autre démonstratif latin, istc, renforcé
également par ecce, a produit en français un second adjec-
lif-pronom démonstratif. Ëcciste se déclinait comme eccille
et a donné en français les formes ci-dessous :
SINGULIER.
Masculin. Féminin.
[ icoste , ceste ,
Cas sujet : icist, cist, cis (ecciste) j celle (eccista,
( eccistam)
. . _ I 1° icest, cest, cet, ce (eccislum)
Cas rcfjitne . j 20 icestiii, cestiii, cesti (eccistùi) icestei, cestei,
cesd (eccisléi)
PLURIEL.
MascuUii. Féminin-.
..,.,,,,.•> ( icestes, castes,
Cas sujet: icist, est (eccist,) ^^^
Cas régime : icez, cez, ces (eccislos) t cistas)
1. On explique do môme les formes de icist (§ 127), celles du pro-
nom personnel il (§ 137) et celle de l'article singulier U. h'e et ïi qui
terniinaieut les formes latines du nominatif seraient devenus des i con-
sonnes devant les mots qui commençaient par une voyelle, et c'est à ce
titre qu'ils auraient empoché \'i tonique de se changer en e. Une autre
explication, pour le cas sujet singulier, consiste à y voir le résultat des
formes latines « eccillic,eccistic, illic », qui existaient à côté de« eccille,
ecciste, ille. » Entin une théorie plus récente attribue le maintien de 17
dans ces cas siiji'ts à l'inllaence analogique du pronom relatif.
DES PRONOMS PERSONNELS. 71
LE DÉMONSTRATIF NEUTRE « ÇO, CE »
v^ 128. — Enfin un troisième démonstratif latin, « hic »
sous sa forme neutre hoc, précédé également du préfixe
ecce^di, produit notre pronom démonstratif neutre ce. Entre
ecce hoc et ce, les formes intermédiaires sont : iceo,ceo, ço.
CHAPITRE Y
DES PRONOMS PERSONNELS
LES PRONOMS PERSONNELS DES DEUX PREMIÈRES
PERSONNES
I. — En latin.
§ 129. — Les pronoms pcrsormels, comme les pronoms
démonstratifs, ont conservé trois des cas latins. Occupons-
nous d'abord des pronoms des deux premières personnes.
Les formes latines étaient :
SINGULIER.
l'o personne.
2" personne.
Nomimatif
Accusatif:
Datif :
ego (je)
me (moi)
milii (à moi)
PLURIEL.
tu (tu)
te
tibi
Nominatif:
Accusatif :
Datif :
f" personne.
nos (nous)
nos
nobis
2° personne
vos (vous)
vos
vobis.
Ces mots, suivant la place qu'ils occupaient, étaient tan-
tôt proclitifpies, tantôt pourvus d'un accent tonique. Par
exemple « te » avait un accent tonique dans : « vaditad té »
T2 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
(il va à toi) ; mais il était ou pouvait être proclitique dans :
« te mônstrat » (il te montre). On ne prononçait >( té
monstrat », avec deux accents toniques, que lorsqu'on vou-
lait insister sur l'idée de la personne.
II. — En français.
§ 130. — Or, dans la transformation du latin en fran-
çais, la voyelle d'un mot proclitique a été traitée comme
celle de la première syllabe non tonique d'un mot ordi-
naire. Et nous savons déjà qu'une même voyelle peut subir
deux transformations différentes suivant qu'elle est à la
première syllabe d'un mot ou dans la syllabe tonique. On
ne s'étonnera donc pas que te latin proclitique ait donné le
français « te », et te latin accentué : « toi », de même que
les deux premiers e de « deberc » ont donné l'un e, l'autre
oi, dans le français « deyoir. »
§ 131. — Les pronoms ci-dessus n'ont cependant pas
tous donné deux formes. Les nominatifs (sauf ego) ne sont
représentés que par un seul mot français; il en est de
même des cas régimes du pluriel. Seuls, l'accusatif et le
datif singuliers ont deux formes ; mais ces deux formes
sjnt les mêmes pour l'accusatif et le datif, parce que l'ac-
cusatif et le datif latins se sont confondus en passant au
français.
11 faut remarquer en effet que Ve des pronoms latins me,
te, et le premier i de miki, tihi, doivent, d'après les lois de
la phonétique, être représentés en français par le même
son. (Voyez, dans là pho7ié trique, les tableaux de Vi bref et
de l'e long.)
D'autre part la seconde syllabe de 77iihi et de tibi devait
tomber ; mihi s'est donc confondu avec me, tibi avec te.
^ 132. — Miki et me ont donné mei, puis 7noi, comme
forme normale, et me comme forme proclitique. Tibi et
DES PRONOMS PERSONNELS. 73
te ont donné tei, puis toi, et te. Chacun de ces quatre mots
(me, moi, te, toi), se rattachant à la fois à l'accusatif et au
datif latin, doit pouvoir s'employer également comme ré-
gime direct et comme régime indirect sans préposition.
Nous disons en effet : « Il me rencontra », où me est régime
direct, et « il me parle », oii me est régime indirect. De
même pour te. On dit aussi : « Ecouie-moi, et rends-moii'
justice », donnant à moi successivement la fonction de
régime direct et celle de régime indirect sans prépo-
sition. — Les formes plus rares « mi, ti » peuvent s'expli-
quer par l'action de Vi final de mihi, tibi (§ 724). On trouve
d'ailleurs les mêmes formes en latin.
§ 133. — « Ego» a donné y'o, je, où l'on remarque le main-
tien de la voyelle de la seconde syllabe, comme dans l'article.
A côté de «jo,je», on trouve dans quelques textes la forme
gié (en une seule syllabe), qui provient de éc/o non proclitique.
§ 134. — Les pronoms des deux premières personnes se
déclinent donc au singulier :
l'« personne. S** personne.
Cas sujet : jo, je {quelquefois gié) tu
Proclitique. Proclitique
Cas régime direct :
Cas régime inclir.
mei, moi, nu me tei, loi, ti te
§ 135. — En latin, le pluriel des mêmes pronoms avait
une forme commune pour le nominatif et l'accusatif : nos,
vos. En outre, les lois phonétiques devaient amener la
confusion du datif « nobis,vobis » avec le nominatif-accusatif
« nos, vos. » Nous aurons donc en français une seule forme
pour les trois cas :
l'^o personne . 2'^ personne.
Cas sujet : \
Cas régime direct : nos, nous vos, vous.
Cas régime indirect : )
Clédat. 5
74 GRAMMAIRE DU VIELX FRANÇAIS.
LE FUONÛM DE LA TROISIÈME PERSONNE
§ 136. — Le pronom de la troisième personne dérive
du latin ille. Nous avons vu que ille était à la fois adjectif
et pronom. Ille adjectif a produit l'article français, et ille
pronom est devenu notre pronom personnel de la troi-
sième personne. Quant aux différences de forme entre
l'article et le pronom français, tous deux issus d'un même
mot latin, elles proviennent de ce que ille adjectif-article
était toujours proclitique, tandis que ille pronom ne
l'était que quelquefois, comme les autres pronoms per-
sonnels (§ 129). Quand le pronom ille était proclitique, il
a donné les mêmes formes que l'article : le la les ; mais il a
donné des formes spéciales quand il avait un accent tonique.
§ 137. — Voici la déclinaison du pronom français, rap-
prochée de celle du pronom latin :
SINGULIER.
Masculin.
Cas sujet : ille il
Casrég. dir.'. illum [el]
Casrég.ind.: *illui lui, 11
PLURIEL.
Cas sujet: illi il, ils
Casrég. dir.: illos els,eus, eux
Casrcg.ind.: illorum \or,\euT *illorum lor, leur
NEUTRE SINGULIER.
Cas sujet : illud [el], il
Pour ne pas compliquer ce tableau, nous n'y avons pas
compris les formes proclitiques, qui sont :
SINGULIER.
,. , l masculin et neutre : lo, le iillum, illud)
Cas régime direct j ^^„^.,^.,^ . i^ ^uiam)
PLURIEL.
Cas régime direct : 7nasculin et féminin : les (illos, illas).
Féminin.
illa
ele, elle •
illam
ele, elle
*iUei
lei, li
*illas ,
eles, elles
illas
eles, elles
DES PRONOMS PERONiNELS. 7K
Remarques. — 1° Singulier, cas régime direct : nous avons
mis el entre crochets parce que cette forme n'a pas per-
sisté. Lui servait et sert encore à la fois pour le régime direct
et le régime des prépositions, et pour le régime 'indirect
sans préposition. Au féminin lei avait aussi ces deux fonc-
tions. '
2° Pluriel, cas sujet : il a pris une s analogique quand la
vieille déclinaison a eu disparu et que tous les pluriels se sont
terminés par des s. Le peuple dit encore : « il ont. »
3° Pluriel, cas régime indirect : illôrum est le génitif pluriel
de ille (voyez ci-dessus § 101), et signifie par conséquent
« d'eux ». C'est encore le sens de « leur » employé comme ad-
jectif possessif. Mais, dès l'origine de notre langue, leur (lor) a
aussi pris, par extension, le sens de « à eux. »
4° Notre pronom neutre il {il faut, il est bon de...) ne vient
pas de illud, qui aurait donné el ; c'est le pronom masculin em-
ployé avec le sens neutre.
Pour les particularités phonétiques qu'offrent les divers cas
du pronom il, voy. § 126.
LE PRONOM RÉFLÉCHI
§ 138. — Le pronom réfléchi ne peut avoir que des cas
régimes. Ce pronom, des deux nombres, était en latin se
à l'accusatif, sibi au datif. Si on compare ces formes à
celles des pronoms des deux premières personnes, on verra
facilement que le français devait être :
Cas réqime direct: i . . .
Cas régime indirect : j '"' '^'' ''• " -P''o^«'^^î"e : se.
PRONOMS CONïRAGTi:S
§ 139. — De même que les articles le, les, les formes
proclitiques « le, les » du pronom personnel se combi-
naient dans l'ancienne langue avec certaines prépositions.
Du équivalait non seulement à de suivi de l'article, mais
aussi ù de suivi du pronom le; on disait : « il est temps du
faire », au lieu de : « il est temps de le faire. »
76 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
§ 140. — Les pronoms « le, les » se combinaient aussi
avec les autres pronoms personnels je, me, te, se, avec la
négation ne, avec le pronom relatif qui, avec l'adverbe af-
firmatif si. On disait: «-jel suivrai » pour «^e le suivrai »;
« jamais nel ou nés reverrez » pour « jamais vous tie le ou
ne les re verrez » ; « sis met en rang » (Chanson de Roland)
pour « si les met en rang », c'est-à-dire « ainsi il les met
en rang ». On trouve ?m au lieu de ne/ pour ne le, de
même que du au lieu de del pour de le : « nii ferez » signi-
fie « vous ne le ferez pas ».
§ 141. — Me est souvent réduit à m (même devant une
consonne), après si, ne : « sim, nein ».
Enfin le pronom se se combinait aussi avec certains
mots, et se réduisait alors à s. Or nous avons vu que les,
dans les combinaisons analogues, se réduit également à
s. Ainsi nés représente ne les (Voy.§ 140), ou nese;le sens
delà phrase peut seul indiquer laquelle de ces deux inter-
prétations il faut choisir. Ce sera ne se dans le vers suivant
de la Chanson de Roland :
Nés poet guarder que mais ne li ateignet.
Traduisez : « Il ne se peut garder que le mal ne l'at-
teigne. »
On trouve aussi guis pour qui se, sis pour si se.
CHAPITRE YI
DES ADJECTIFS ET PRONOMS POSSESSIFS
§ 142. — L'adjectif-pronom possessif était en latiit
meus (mon, mien), tuus (ton, tien), suus (son, sien) pour
les trois personnes du singulier, et noster (notre), vostc,
(votre) suus (leur) pour les trois personnes du pluriel.
DES ADJECTIFS ET PRONOMS POSSESSIFS.
77
Chacun de ces mots se déclinait comme l'adjectif « bonus ».
Nous allons les passer successivement en revue.
PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER
§ 143. — Les divers cas latins de « meus » ont produit
en français les formes suivantes :
Latin.
Cas sv jet: meus
Cas régime : meum
SINGULIER.
Masculin.
Français.
Forme non proclitique.
mes, mis
mon
SINGULIER.
Féminin.
Latin. Français.
mea
Cas sujet
Cas régime : meam )
PLURIEL.
Masculin.
Latin.
Cas sujet : mei
Cas régime : meos
Féminin.
Français.
mes
Latin.
Cas sujet : (mese) *meas
Cas régime : meas
NKUTRE SINGULIER
Latin.
Cas unique : meum
Forme non proclitique.
mêle, moie
Français.
mei, mi
mes
Forme non proclitiiiue.
mêles, moies
Français.
Forme non proclitique : mien.
§ 144. — Ces différentes formes offrent des singularités
phonéti(|iiPs que nous ne pouvons expliquer ici. L'adjectif
non proclitique mien, qui dérive, comme on le voit, d'un
'^ GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
accusatif singulier latin, s'est développé en français ; on
lui a donné un cas sujet en ajoutant une s, et on lui a
fait aussi un pluriel conforme a la déclinaison masculine
des noms et adjectifs : mien cas sujet, miens cas régime.
On a même refait sur mien une forme féminine mienne, qui
s'est substituée à meie, moie. Quant aux emplois divers de
« mon » et de « mien », nous en parlerons dans la syntaxe.
DEUXIÈME ET TROISIÈME PERSONNE DU SINGULIER
§ 145. — Tuus (ton, tien) se déclinait exactement
comme meus. Ces deux mots différaient par la voyelle du
radical, qui est u dans « twus » et e dans « meus. » Mais le
premier s'était assimilé au second, et on trouve « tes, tis »
en français, au cas sujet masculin singulier, comme si en
latin on avait dit « teus ». Pour d'autres cas on a deux
formes d'origines différentes, l'une se rattachant au radical
classique, l'autre au radical assimilé.
SINGULIER.
Masculin.
Formes non proclitiques.
Cas sujet : tes, tis
Cas régime: ton tuen {latiîi tuum) ; tien {latin "teum)
Féminin.
Formes non proclitiques.
Cas unique : ta tue ou toe [latin tuam) ; leie, toie [latin *team)
PLURIEL.
Masculin. Féminin.
Formes non proclitiques.
, . .. _ . ^ i tues OU tocs (latin tuas);
Cassu3et: te., ti Cas m«3»e : tes [ ,eies, toies (/afm *teas).
Cas régime: tes.
NEUTRE SINGULIER.
Cas sujet : ) ^ ,.,.
Cas régime: i ^'^^'"^^^ ''°" P^'oclUiques : lueu, tien.
DES ADJECTIFS ET PRONOMS POSSESSIFS. 79
§ 145 bis. — Situs (son, sien) a donné l'adjectif fran-
çais « ses, sis », qui a les mêmes formes que « tes, tis ».
SUNGULIER.
Masculin. Véminin.
Cas sujet : ses, sis "\
Cas rérjime: son /
Formes non proclitiques. l Formes non proclitiques.
• suen, sien ] sue, soe; seie, soie.
PLURIEL.
!ses
Formes non proclitiques,
sues, soes; seies, soies.
NEUTRE. SINGULIER.
Cas sujet : ( „ ....
r, ■ ■ \ Formes non proclitiques : suen, sien.
Cas régime : | ^ ^ '
§ 146. — On a fait aux adjectifs tien, sien une déclinaison
complète, comme à mieii (§ 144), et on leur a donné un
féminin « tienne, sienne, » qui s'est substitué à toie, soie.
PH KM 1ÈRE ET DEUXIÈME PERSONNE DU PLURIEL
i; 147. — Le lalin nosler se déclinait aussi sur le modèle
de bonus (bon), ou plus exactement comme ni;/er [noir,
Voyez ci-dessus § 92). Le français nostre offrait les formes
suivantes :
SINGULIER.
Masculin. Féminin. JScutre.
latin. Latin. Latin.
Cas suj .. noster i nostra ; nostrum ;
Casréy.-.nostrnm)''''^^''' nostram î '^°''^*^ nostrum i '"^^^''^
PLURIEL.
Masculin. Féminin.
Latin. Latin.
Cas suj..nostr\ nostre (nostraB)*nostras piostres,
C<t.« rt'y.: nostros nusUcs,noz, nos nostras (noz,nos.
80 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
On voit que le singulier se réduit à une seule forme,
nostre, pour les deux cas et les trois genres. Le féminin
ne se distingue pas du masculin et du neutre par Ve muet
correspondant à Va atone du latin ; car au masculin et au
neutre le groupe de consonnes str {noster, nos^rum) a pro-
duit aussi un e muet(Voy. § 15, l°et 3°). Au pluriel féminin
et au cas régime du pluriel masculin, « noz, nos » est une
forme abrégée de « nostres », sur laquelle, comme sur mien
et tien, on a refait toute une déclinaison; car on trouve
quelquefois no comme cas sujet pluriel, cas régime singu-
lier et féminin singulier, nos comme cas sujet singulier
(Voyez la syntaxe, § 415).
§ 148. — Le latin voster et le français vostre ont été
traités comme noster et nostre.
TROISIÈME PERSONiNE DU PLURIEL
§ 149. — Le latin suus, qui a produit « son », s'employait
aussi comme adjectif possessif de la troisième personne du
pluriel (au sens de /eur). Il a perdu cette valeur en français.
Mais pour exprimer l'idée de « leur » adjectif possessif,
les Latins se servaient également, dans des cas déterminés,
du génitif pluriel des pronoms démonstratifs, comme si en
français, au lieu de dire : « leur patrie », on disait : « la
patrie de ceux-là, d'eux ». Or, l'un de ces pronoms
démonstratifs latins était ille, dont le génitif pluriel était
illôrum; illôrum a produit le français « lor, leur » qui signifie
proprement d'eux (Voyez ci-dessus § 131, remarques, 3°).
§ 150. — Leur, équivalant à « d'eux », devait rester
invariable quel que fût le cas ou le nombre du substantif
auquel on le joignait. Mais on perdit vite la notion de
l'origine do ce mot. On l'assimila à un adjectif ordinaire,
en lui donnant une s au ])liuiel.
DU PRONOM RELATIF ET INTERR06ÂTIF. 81
CHAPITRE Vil
DU PRONOM RELATIF ET INTERROGATIF
§ 151. — Le pronom latin qui se déclinait comme =;uit :
SINGULIER.
Masculin.
Féminin.
Neutre.
Nominatif: qui
Accusatif : quem
Datif: cui
*que (qua3)
qiiam
cui
PLURIEL.
quod
quocl
cui
Masculin.
Féminin.
Nominatif : qui
Accusatif: quos
Datif: quibus
*qae (quœ)
quas
quibus.
^ 152. — Le nominatif pluriel était donc identique au
nominatif singulier. Cette identité des deux nombres pour
l'un fies cas a amené une assimilation pour les autres cas :
l'accusatif et le datif pluriel sont tombés, et les formes du
singulier ont été appliquées aux deux nombres.
5; 153. — Il y a eu d'autre part confusion phonétique ou
assimilation entre les formes du masculin et celles du
féminin, de telle sorte que le pronom relatif français a les
mêmes formes pour les deux nombres et les deux genres :
MASCULIN et FÉMININ, SINGULIER et PLURIEL.
Cas sujet : qui
Cas régime direct : forme proclitique : que
Cas régime indirect : cui, qui.
Le cas régime indirect « cui, qui, n a servi aussi, par ex-
tension, pour le régime direct et le régime des préposi-
tions. Nous l'employons encore nprès les prépositions.
5.
82 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
§ 154. — Le neutre diffère en pr.incipe du masculin-
féminin parce que le cas sujet devrait être que (latin quod)
comme le cas régime. Mais ce cas sujet neutre ne s'est
pas conservé. Toutefois nous en trouvons trace dans le
|iro verbe : « Fais ce que dois, advienne que pourra ».
Ailleurs il y a eu assimilation complète avec le mnsculin-
féminin, sauf cependant que la forme non proclitique du
cas régime neutre n'était pas « cui, qui», mais « quoi»,
dérivé de quid latin interrogatif : « ce à quoi il se prépare ».
§ 155. — Le pronom interrogatif latin était le même
que le pronom relatif. Toutefois le nominatif masculin était
le plus souvent quis au lieu de qui, et le neutre quid au
lieu de quod. Quis n'a rien donné en français; le cas sujet
masculin du pronom interrogatif ne diffère pas du même
cas du pronom relatif. Mais quid a produit deux formes,
l'une proclitique qui se confond avec le pronom relatif
neutre, que, l'autre, accentuée, qui est « qitei, quoi ».
Enfin au cas régime direct du masculin-féminin, le pro-
nom interrogatif n'a pas la forme proclitique que; on dit :
« Qui désiriez-vous comme voisin? » et non: « Que dési-
licz-vous comme voisin? »
CHAPITRE YIII
DES ADJECTIFS ET PRONOMS INDÉFINIS
§ 156. — Il y a peu de chose à dire pour la flexion des
adjectifs et pronoms indélinis. Ils se déclinent conune les
adjectifs ordinaires. Quelques-uns ont un douMe cas ré-
gime, analogue à celui d'icil, d'icisl et de il, et de môme
origine. Ainsi altre (autre, latin oller) fait au cas régime
singulier: allrc [alterum] et allvm {*ul(erui). i\uls (nullus)
fait nul et nului.
DU VERBE. 83
§ 157. — L'adjectif <oz, tôt [tout, latin *tottus)se décline
conformément aux règles ordinaires, sauf pour le cas sujet
du pluriel masculin, qui est tuit el non tôt, sous l'influence
de ïi final du latin toti (Voyez § 724).
^ 158. — <( Quelque » se composant de quel et de que,
quel devrait s'accorder en cas, en nombre et en genre, et
que rester invariable. C'est ce qui avait lieu dans l'ancienne
langue (Voyez ci-dessous § 426, au mot Quelque).
CHAPITRE IX
DU VERBE
NOTIONS PRÉLIMINAIRES
I. — Du rôle de l'analogie dans la formation des
verbes français.
^ 159. — Beaucoup des formes de nos verbes français
doivent leur origine à l'analogie ou à l'assimilation, qui
tend toujours à rendre la conjugaison moins compli(|uée,
en assimilant entre eux les temps et les personnes dans la
mesure compatible avec la distinction nécessaire de ces
temps et de ces personnes.
Nous avons déjà vu l'analogie à l'œuvre dans la décli-
naison, donnant par exemple une s au cas sujet singulier
de certains noms qui n'en avaient point en latin. Mais eile
agit bien plus encore sur la conjugaison, et le langage des
enfants peut nous donner une idée de son action inces-
sante. C'est par analogie que les enfants disent souvent
s'nssirc au lieu de s'asseoir, introduisant à l'infinitif Yi du
participe passé, et assimilant ce verbe à d'autres plus fa-
ciles à conjuguer, lui la inAme voyelle se retrouve à tous
les temps : ri, rire, /mi. nuire, etc. C'est encore par ana-
84 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
logis qu'ils disent « se taiser » au lieu de « se taire ».
Un grand nombre de formes de nos verbes dérivent de
fautes de ce genre, que l'usage a consacrées, et qui ont fait
disparaître les formes antérieures plus régulières, c'esl-à-
dire plus conformes à l'étymologie latine. Ainsi nous ver-
rons plus loin que l'indicatif présent du verbe aimer se
conjuguait : « j'aim, tu aimes, il aime, nous amons, vous
amez, ils aiment ». On a ajouté un e muet à la première
personne du singulier, par analogie avec les deux autres, et
on a changé en ai Va des deux premières personnes du
pluriel, en les assimilant aux quatre autres personnes du
même temps. Nous aimoiis, à la première personne du plu-
riel, a donc commencé par être un barbarisme, comme si
on disait : nous tienons, au lieu de nous tenons. L'usage
en a fait une forme régulière, et c'est l'ancienne forme
régulière qui serait aujourd'hui un barbarisme.
L'indicatif présent du verbe craindre était jadis :
je criem, tu criens, il crient, nous cremons, vous cremez,
ils criement, et ces formes n'étaient pas plus extraordi-
naires que « je m'assieds, nous nous asseyons », à côté de
l'infinitif « asseoir ». L'assimilation avec les verbes en
aindre, comme plaindre, qui avaient l'indicatif en « ains,
ai gnons », a produit la conjugaison actuelle de craindre.
Les formes anciennes du verbe asseoir ont persisté plus
longtemps, mais elles tendent à se simplifier, car on dit
aussi : « je m'assois, nous nous assoyons. » Les phéno-
mènes de ce genre abondent dans l'histoire de nos conju-
gaisons.
§ 160. — Il faut remarquer que l'analogie agit tantôt de
verbe à verbe, tantôt de temps à temps d'un même verbe,
tantôt de personne à personne d'un même temps. L'indi-
catif présent de craindre est un exemple du premier mode
d'action. L'indicatif présent û' aimer est un exemple du
DU VERBE. 85
troisième mode. Quant à l'action de temps à temps, nous
la trouverons dans le participe passé d'aimer, qui était
d'abord amé, et qui est devenu aimé par assimilation avec
les temps où on avait la diphtongue ai.
II. — Division des verbes en conjugaisons
La conjugaison en er et la conjugaison en re, oir, ir.
§ 161, — C'est seulement pour l'infinitif que nous avons
encore quatre terminaisons correspondant aux quatre
conjugaisons latines. Pour les autres temps, nous avons
conservé d'une part les principaux caractères de la con-
jugaison latine en are (français er) et d'autre part, nous
avons fondu en une seule les trois conjugaisons en ère,
_ere (Voyez page 10, note 1), ?>e (français oir, re, ir).
La conjugaison inchoative.
§ 162. — Toutefois il faut mettre à part les nombreux
verbes en ir qui ont le singulier de l'impératif en is et le
singulier de l'indicatif présent en is, is,it, et qui, i° au plu-
riel des mômes temps, 2° à l'imparfait de l'indicatif, 3° au
sulijonctif présent et 4° au participe présent, prennent la
syllabe iss entre le radical et les terminaisons ordinaires
communes à toutes, les conjugaisons. Ces verbes sont dits
inchoalifs (du latin inchoare, commencer) parce que la
syllabe latine ?sc *, d où dérive la syllabe française iss (et
is ou it au présent de l'indicatif et à l'impératif), donnait
aux verbes dans lesquels elle se plaçait le sens particu-
lier de commencer faction, entrer dans un état et non pas
1. En réalité, ce sont les consonnes vc qui avaient une valeur in-
choative. Kllcs s'ajoutaient à. la voyelle finale du radical dos verbes,
et cette voyelle n'était pas toujours i. Mais Vi suivi de se a fini par se
détacher du radical dont il faisait partie, et a formé avec se une syl-
labe mobile qui s'est ajoutée à. d"autres radicaux.
86 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
peulement « agir, être dans un état », comme les verbes
ordinaires.
§ 163. — Nous venons d'énumérer les temps dans les-
quels entre la syllabe inchoative, et nous n'y avons pas
fait figurer l'intinitif. En latin, l'inflnitif de ces verbes avait
la terminaison —ère (à laquelle correspond la terminaison
française re) précédée de la syllabe inchoative. Les verbes
inchoatifs devraient donc être des verbes en re, c'est-à-dire
en istre si l'on ajoute la syllabe inchoative et si l'on
intercale le t euphonique (Voyez ci-dessous § 213). Iscere
latin doit en effet damner htre français. Mais au lieu de
« istre », nous trouvons pour tous ces verbes la flexion ir,
sans syllabe inchoative. Sur ce point le français se sépare
donc du latin.
i; 164. — Quant au participe passé et au prétérit, l'idée
particulière qu'ils expriment (action accomplie) est incon-
ciliable avec la signification de la syllabe inchoative (action
qui commence). On ne s'étonnera donc pas que ces temps
n'aient pas la syllabe inchoative.
§ 165. — Enfin le futur et le conditionnel et l'impar-
fait du subjonctif n'ont pas non plus cette syllabe, parce
qu'ils dérivent d'autres temps qui ne l'ont pas, les deux
premiers se formant sur l'infinitif et le troisième sur le
prétérit.
Au premier abord, l'imparfait du ^subjonctif a l'appa-
rence inchoative, car il se termine en isse, isses, issons, etc.,
comme le présent, dont il ne difi'ère qu'à la troisième per-
sonne du singulier : qu'il finît au lieu de qu'il finisse. Mais
c'est une apparence trompeuse. La terminaison de l'impar-
fait du subjonctif de ces verbes n'a pas la même origine
que celle du présent : la syllabe inchoative n'y est pour rien.
C'est la terminaison régulière qui, dans toutes les conju-
gaisons, s'ajoute au prétérit de l'indicatif pour former
DU VERBE. 87
l'imparfait du subjonctif (que j'aimasse, que je rendisse, que
je voulusse).
Résumé. — Les deux conjugaisons vivantes.
s; 166. — En résumé, il y a en français trois conjugai-
sons : la première comprend les verbes en er : la seconde :
les verbes inchoatifs en ir; la troisième : les verbes en re et
eu oir et les verbes non inchoatifs en ir. Sur environ
■^(000 verbes français, la première conjugaison en compte
à peu près 3i00, la seconde un peu plus de 300, et la troi-
sième un peu moins du même nombre. Dans la troisième
conjugaison, la moitié environ des verbes a l'infinitif en
re. l'autre moitié se partage à peu près entre les verbes en
oir et ceux en ir non inchoatifs.
s5 167. — On voit que la conjugaison en er et la conju-
ix.iison inehoative sont les plus importantes. Ce sont aussi
It's seules vivantes, pour employer une excellente expres-
sion proposée par M. Ghabaneau. De tout temps on afabri-
(jué des verbes et on en fabriquera encore sur le modèle de
I hanterai de /?««% tandis qu'on n'a pas augmenté le nombre
des verbes en re et en oir, ni des non inchoatifs en ir, que
le latin nous avait transmis (sauf toutefois en ajoutant des
préfixes à des verbes déjà existants).
Il serait facile de citer de nombreux verbes en er qui
datent de notre siècle et même des dernières années. Le
verbe télégraphier n'est pas bien vieux, et le verbe télé-
pltoner, plus récent encore, et qui n'a pas, si l'on veut,
acquis droit de cité, arrivera certainement à s'introduire
dans l'usage général. Les verbes nouveaux en ir sont plus
rares : M. Alphonse Daudet a employé aveulir (rendre
veule) dans un de ses romans; l'avenir seul nous apprendra
si ce mot est destiné à devenir tout à fait français; l'usage
en décidera. Ce qui pourra nuire au succès de ce verbe,
88 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
c'est qu'il est formé avec un adjectif qui tend à dispa-
raître delà langue et que beaucoup de personnes ne com-
prennent déjà plus.
LES VARIATIONS DU RADICAL DES VERBES
§ 168. — Parmi les variations du radical des verbes,
nous n'étudierons ici que celles qui ont le caractère de
flexions, c'est-à-dire qui contribuent, avec les flexions pro-
prement dites ou terminaisons, à différencier les temps et
les personnes. Souvent d'ailleurs ces variations se rat-
tachent plus ou moins directement aux flexions latines.
Les différentes formes du radical du verbe tenir [ten, tien,
tin) ne servent pas moins que les terminaisons qui s'y ajou-
tent, à caractériser les temps et personnes de ce verbe.
Quant aux changements successifs d'un même radical, qui
affectent également toutes les personnes et tous les temps,
comme le changement de solld latin, du verbe solidare,cVa-
bord en sold, puis en soud, radical du verbe français souder,
ce sont desphénomènespurement phonétiques dont nousn'a-
vons pas à nous occuper dans cette partie de la grammaire.
§ 168 bis. — Parmi les variations « flexionnelles » du ra-
dical, nous négligerons jusqu'au moment où nous parle-
rons des flexions proprement dites de chaque temps : 1° les
formes du prétérit, de l'imparfait du subjonctif et du parti-
cipe passé dans les verbes qui présentent, à ces temps, des
particularités exceptionnelles; 2° les formes c{ui ne s'ap-
pliquent qu'à un seul temps, et à ce point de vue nous as-
similerons le iïitur et le conditionncd à un temps unique.
I. — Variations dues au traitement différent des
voyelles latines toniques et des mêmes voyelles
atones. Radical tonique et radical atone.
§ 169. — Un sait qu'en français, comme en l'tin,rac-
DU VERBE. 89
cent tonique est tantôt sur le radical, la partie permanente
du verbe, et tantôt sur la flexion, la terminaison. Le radi-
cal de pointer étant « port », l'accent est sur le radical dans
je porte, ils portent, etc. Il est sur la terminaison dans :
porter, portons, etc. Un certain nombre de verbes appar-
tenant à toutes les conjugaisons sont dits irréguliers parce
que la voyelle du radical n'est pas la même quand elle a
l'accent tonique et quand elle est atone. Ainsi le radical de
mourir est meur dans le premier cas (il meurt, que tu
meures, etc.) et mour dans le second (mourir, mourant,
nous mourons, etc.). De même « bwvant » et « je bois »,
« recevoir » et « je reçois », « tenir » et « je t?ens », « appa-
roir » et « il appert », etc.
Ces verbes ont donc un radical tonique et un radical
atone qui diffèrent l'un de l'autre.
§ 170. — Le radical tonique se trouve 1° aux trois per-
sonnes du singulier et à la troisième personne du pluriel
des présents de l'indicatif et du subjonctif; 2° à l'impératif
singulier; 3° à l'infinitif des verbes en re. C'est en effet à
ces différents temps et personnes que l'accent, d'après
l'origine latine, est sur le radical du verbe.
§ 171. — Le radical atone se trouve à tous les autres
temps et personnes. Toutefois il y a des verbes qui ont
aussi l'accent sur le radical au prétérit de l'indicatif et au
participe passé; mais souvent dans ces verbes le radical,
à ces temps, diffère à la fois du radical tonique ordinaire et
du radical atone; ainsi le radical tonique normal de tenir
étant tien (il tient) et le radical atone ten (nous tenons),
le radical spécial du prétérit est tin (il tint). J'ai déjtà dit
que les formes exceptionnf'lles du prétérit et du participe
passé seront expliquées à propos de chacun de ces temps.
v^ 172. — Il n'y avait, dans le latin, aucune différence
entre le radical tonique des verbes et le radical atone.
90 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Ainsi mourir était « *?»on're », et il meurt : « *m6r'ii. »
La voyelle du radical était toujours o. Mais cet o était atone
dans *morire et tonique dans *inôrit. Or très souvent les
voyelles latines, en passant dans le français, ont subi une
transformation différente suivant qu'elles étaient toniques
ou atones. L'o tonique est devenu eu, Yo atone de la pre-
mière syllabe des mots est devenu ou : de là « mouriv,
mour^ni, mourons, etc. » et « meurs, meure, etc. », « mou-
roir, mouvBXii » et « il meut ». Ainsi dans les verbes à radi-
cal variable, quand le radical tonique a eu, le radical atone
a ou. De même, il y a alternance entre oi ou ié tonique et
e atone (e muet ou é) : acquérir et acquiers, venir et
viens, recevoir et recois. On disait aussi : « il hoii » et be-
vant, bevons » ; l'e muet s'est changé en u dans le radical
atone par une exception particulière à ce verbe.
^ 173. — L'ancienne langue possédait plus de verbes à
double radical que la langue actuelle.
Ainsi demeurer, pleurer, prouver, trouver se conjugaient
comme mourir et mouvoir :
Demourer, demourant, clcmouré, nous demourons, je démoli-
rais, etc. ; et tu demeures, il demeure, etc.
Ploiirer, plourant, nous plourons, etc., et pleure, il pleure, etc.
Prouver, prouvé, vous prouvez, el il preuve, que tu preuves.
Trouver, trouvant, je trouvais, et ils treuvent, treuve.
Les différentes formes de chacun de ces verbes se sont
assimilées entre elles, mais tantôt c'est eu qui a prévalu, et
tantôt ou. On a dit « demeurer, pleurer » comme on disait
« il demeure, il pleure », et « il prouve, il trouve » comme
on disait « prouver, trouver ».
De même, on conjuguait lever comme tenir, et me7ier et
peser comme recevoir :
Lever, levant, levons, et il liiive, liève, etc.
Mener, mené, menez, et moine (d'abord meine).
Peser, pesant, pesez, el il poise (d'abord il ptise).
DU VERBE. 91
Ici encore l'analogie a- rendu la conjugaison plus uni-
forme; mais l'assimilation n'est complète qu'en apparence,
car en réalité le radical tonique de ces verbes diffère tou-
jours du radical atone : le premier est lèv, mèn, pès, le
second lev, men, pcs. C'est ainsi que tous les verbes en
eler, eter, ever, ont encore un double radical.
Le verbe voir se conjuguait comme recevoir, mener, peser.
On disait en effet : veoir (infinitif), Memit (participe pré-
senti, veons(l'"'' pers. plur. de l'indicatif présent etdel'im-
pératif), et tu vois, il voit (d'abord tu veis, ilveit). Le radi-
cal atone était donc ve, et le radical tonique voi; mais un
y eu]3honique a dû s'introduire dans « veant, veons », et
l'analogie avec le radical tonique « voi » en a fait rapi-
dement : « voyant^ voyons. « A l'infinitif il y a eu contrac-
tion de veoir en voir. lien résulte que partout aujourd'hui
dans la conjugaison de ce verbe (sauf aux prétérit, impar-
fait du subjonctif et participe passé, sur lesquels nous
reviendrons) on a oy ou oi pour représenter la voyelle
du radical, et cette même diphtongue se retrouve dans la
flexion de l'infinitif qui s'est substituée à la voyelle radi-
cale de ce temps.
Dans prier le radical tonique était ;?r/, et le radical atone
proi (d'abord prei). On disait donc : proier, proions, etc.,
et prie, ils prient, etc.
Dans aimer le radical tonique était aim, et le radical
aloneam.L'un et l'autre correspondent au radicallatin am,
t-ar Va latin devant une nasale se change cwai lorsqu'il est
Ionique, et reste a lorsqu'il est atone. On disait donc :
amer, amez, amons, etc., et aime, il aime, etc.
Dans les verbes actuels à radical double on ne trouve
plus cette alternance entre a et ai. On ne trouve pas non
pbis l'alternance entre z et oi que nous avons remarquée
dans l'ancien verbe prier, ni l'alternance inverse (oi et /)
^2 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
que l'ancienne conjugaison offrait aussi quelquefois.
§ 174. — Le verbe asseoir réunit, dans l'état actuel de
la langue, les formes anciennes avec radical alterné, et les
formes plus récentes, dues à l'assimilation.
L'infinitif de ce verbe se prononçait autrefois en trois
syllabes : as-se-oir. As étant le préfixe, se était le radical
atone. La voyelle de ce radical a disparu à l'infinitif: car,
bien qu'on écrive encore asseoir, on prononce assoir (Com-
parez voir, ci-dessus § 173). Partout ailleurs la voyelle du
radical atone n'a pas disparu ; elle s'est développée au
contraire; il y a eu intercalation d'un y euphonique (Com-
parez encore ce que nous avons dit de voir). Au lieu de
s'asse-ant, nous nous asse-ons, on a dit : s'asseyant, nous
nous asseyons. Et par le changement habituel de ey en oy,
on a aujourd'hui : assoyant, assoyons. Mais les formes
intermédiaires par ey continuent à être conjointement en
usage. Quant au radical tonique, il avait ié au lieu de e. De
là « ils^assied », que l'on emploie encore, mais qui tend h
céder la place à la forme assimilée « il s^assoit », qui dérive,
par analogie, de « assoyons, asseoir ».
§ 175. — Quelquefois la langue a hésité entre les deux
radicaux, et on trouve, à la même époque, le verbe entiè-
rement conjugué de deux façons. Au xvii'^ sircle preuver
et prouver étaient tous deux en usage. Puis le second a
fini par l'emporter.
§ 176. — Dans tous les exemples que nous venons de
citer, le radical n'a qu'une syllabe. La complication peut
être bien plus grande quand il en a plusieurs, comme dans
manduc-are (manger). Dans toutes les formes de ce verbe
où l'accent est sur la flexion, la voyelle u du radical rnan-
duc doit tomber d'après les lois générales de phonétique;
c'est ainsi (jue manducâre donne manger, manducùtis :
manyez, etc. (Voyez § 14). Mais dans les formes où l'accent
DU VERBE. 95
est sur le radical, comme Vu est long, l'accent porte pr -
Gisement sur cet u, qui, dès lors, doit se conserver. C'est
ainsi que mandûcat a donné : {il) manjue * (indicatif pré-
sent), mandûca : manjue (impératif), etc. On disait donc :
mange?', mangeant, mangé, nous mangeons, je mangeais,
je mangeai, mais au singulier de l'indicatif présent et de
l'impératif: tu manjues, il manjue, ils manjuent, manjue.
§ 176 bis. — De même le verbe adjutâre (d'où vient
aider) avait un radical de deux syllabes, adjut. Dans ce
verbe ad a été traité non comme préfixe, mais comme pre-
mière syllabe du mot (voyez § 17, remarque II). Il en ré-
sulte que adjutâre, adjutàntem, adjutàmus, ontdonné aider,
aidant, nous aidons, etc., tandis que adjûta, adjûtat, etc.,
donnaient : aiue (impératif), il aiue (indicatif présent), etc.
Le verbe parler (*parabolâre) faisait aussi : tu paroles,
ilsparolent, etc., et par la7it, vous parlez, je parlais, etc.
Ainsi le radical tonique de manger, aider, parler, était
manju, aiu, paroi, et le radical atone des mêmes verbes :
mang, aid, pari.
§ 176 ter. — Dans les pages suivantes nous aurons à si-
gnaler les modifications que subit le radical normal des
verbes (tonique ou atoué), sous des influences diverses. Il
importe donc de pouvoir déterminer le radical normal
de chaque verbe. Pour ceux qui n'ont pas une connais-
sance suffisante du vocabulaire latin et des lois de la
phonétique, nous donnerons le moyen empirique suivant :
en prenant l'imparfait d'un verbe quelconque et en sup-
primant la flexion ais, on obtient le radical atone. En sub-
stituant, quand il y a lieu, à la voyelle ou à la diphtongue
du radical ainsi obtenu, la voyelle ou la diphtongue radi-
1. Rigoureusement il faudrait mandue ; mais une première assimi-
lation a substitue très ancionnemonl au d de cette forme et des sem-
blaljles le y doux ou j des formes telles que man<jer.
94 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
cale que l'on trouve aux deuxième et troisième personnes
de l'indicatif présent, on a le radical tonique. Ainsi pour
le verbe « mouvoir », l'imparfait « mouvais » nous donne
le radical atone mouv. Substituons à ïou de mouv la di-
phtongue eu des deuxième et troisième personnes de lin-
dicalif présent, nous aurons le radical tonique meuv, qui
perd son v, comme nous le verrons, devant les consonnes
de flexion.
II. — Variations dues à la présence, dans la flexion
latine, d'un e ou i consonnifiable.
§ 177. — J'appelle e ou i consonnifiable tout eou i latin
suivi d'une autre voyelle (Voyez ci-dessous § 723). Tous
les verbes de la quatrième conjugaison et une partie de
ceux de la troisième avaient un i consonnifiable * dans la
flexion ; 4° à la première personne du singulier et à la troi-
sième personne du pluriel de l'indicatif présent; 2° à
toutes les personnes du subjonctif présent; 3° à l'impar-
fait de l'indicatif; 4° au participe présent et au gérondif.
Nous donnerons des exemples de ces flexions spéciales
quand nous parlerons de chacun de ces temps. Nous ne
signalons ici que le fait lui-même dans sa généralité, avec
les conséquences qu'il a eues sur la forme du radical.
§ 178. — Les verbes de la deuxième conjugaison latine
avaient aussi une consonnifiable dans la flexion : 1° à la
première personne de l'indicatif présent ; 2" à toutes les
personnes du subjonctif,
§ 179. — Enfin plusieurs verbes de la première conjugai-
son latine avaient reçu uneoui consonnifiable, dans le latin
populaire, à ces différents temps ou à quelques-uns d'entre
eux, par assimilation partielle avec les autres conjugaisons.
1. Cet i faisait partie du radical priuiitif dans les verbes de la qua-
trième conjuj^aison.
DU VliUUE. 9o
§ 180. — L'e ou i consoniiifîîole a eu pour effet, parli-
culièrement dans les verbes ôout le radical se tcrmiuait
par une seule consonne, demodiQcr ce radical. Générale-
ment la voyelle du radical s'est transformée, sous cette
influence, en une diphtongue terminée par un i (ou y). Cet
effet n'est pas sensible lorsque le radical contenait déjà
normalement une diphtongue de ce genre, comme on le
verra par les exemples.
§ 181. — On ne peut formuler aucune règle permet-
tant de déterminer à priori quels soni les verbes latin»; qui
avaient e ou i consonnifiable dans la flexion. D'ailleurs, le
latin populaire, comme nous l'avons fait remarquer (§ 179),
avait augmenté arbitrairement le nombre de ces verbes. La
pratique seule des anciens textes peut les faire connaître.
Nous en donnerons des exemples que nous grouperons
d'après la consonne finale du radical latin.
Radical terminé par un d.
§ 182. — D'après les lois phonétiques, lorsque le radi-
cal d'un verbe était terminé par une dentale seule, la den-
tale est tombée; toutefois on la trouve encore dans les
textes les plus anciens, et elle s'est souvent combinée avec
les flexions françaises commençant par une consonne.
Sous ces réserves, le radical français de ces verbes se
termine par une voyelle. Nous allons voir comment cette
voyelle s'est modifiée sous l'influence d'un e ou i conson-
nifiable.
§ 183. — Audire [ouir, anciennement odir, o'ir). Norma-
lement le radical latin aud est devenu en français od^ puis
0 [pu devant une voyelle). Mais sous l'influence de Xi con-
sonnifiable on a eu, à la première personne de l'indicatif
présent, « ]oi » (j'entends), tandis qu'on disait : tu os, il ot,
nous oons, vous ocz. Au subjonctif présent on a eu : <> que
96 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
i'oie ou oye, que tu oies ou oyes, etc. ; au participe présent:
« o/ant ou oj/ant », tandis qu'on disait à l'infinitif oïr, puis
oMïr, et au participe passé oï, puis ouï. Par analogie avec
la première personne de l'indicatif présent, la diphtongue
oi s'est introduite plus tard aux autres personnes de ce
môme temps, et on a conjugué : « tu ois, il oit, nous
oî/ons, etc. » On a des exemples de l'analogie inverse : a ils
oent » au lieu de « ils oyent », « j'oais, j'ouais » au lieu de
« j'oyais ».
§ 184. — Videre {voir, anciennement vedeir, veeir,
veoir). Nous avons dit (§ 173) que le radical tonique de
veoir était vol (anciennement vei) et le radical atone ve,
Videre avait un e consonnifiable au subjonctif présent et
à la première personne de l'indicatif présent. Or, à la pre-
mière personne de l'indicatif présent et à toutes les per-
sonnes du subjonctif présent, sauf les deux premières du
pluriel, le verbe français doit avoir son radical tonique,
vol (d'abord vei), qui contient un i semi-voyelle, et où dès
lors l'influence de l'e consonnifiable n'est pas sensible (§180).
On retrouve cette influence aux deux premières personnes
du pluriel du subjonctif présent, qui doivent avoir le radical
atone ve, auquel s'est ajouté un i semi-voyelle provenant
de l'e consonnifiable : « veions, vey-ons, voyons; veiez,
\eyp/i, voyez. » Nous écrivons aujourd'hui ces deux per-
sonnes avec un y et un i (voyions, voyiez) pour les distin-
guer des mêmes personnes de l'indicatif présent, voyons^
voyez, où la diphtongue oi a une autre origine. La forme
ancienne du pluriel de l'indicatif présent était veons, veez
avec le radical atone ve suivi des flexions ordinaires. C'est
par euphonie et analogie avec le radical tonique qu'on a
dit ensuite voyons, voyez (§ 173).
La môme remarque s'applique au participe présent,
voyant, qui a été d'abord vcant., à l'imparfait de l'indicatif,
DU VERBE. 97
voyais, qui a été d'abord veois. Ainsi la diphtongue oi ou oy
que l'on trouve dans presque toutes les formes actuelles
du verbe voh\ a une quadruple origine : elle peut venir,
comme dans « il voit », de la transformation régulière de
la voyelle radicale tonique du latin, ou, comme dans voir
(ve-oir), de la transformation régulière de la voyelle toni-
que de flexion ; ou bien elle se rattache à la voyelle radi-
cale atone du latin, moditiée soit par Ve consonnifiable
latin (aux deux premières personnes du pluriel du subjonc-
tif présent) soit par l'analogie avec le radical tonique (au
participe présent, à l'imparfait).
Radical terminé par une labiale.
§ 185. — Le p on ie b terminant le radical latin s'est
régulièrement changé en v. Mais toute trace de la labiale
latine a le plus souvent disparu dans les formes qui ont
subi l'influence de Ve ou i consonnifiable.
§ 186. — Avoir vient du latin habére; le radical français
av représente le radical latin hab. Habére avait un e con-
sonnifiable au subjonctif présent et à la première personne
de l'indicatif présent. Gete a changé l'a duradical en ai, et
fait disparaître la labiale : « j'ai, que j'aie, que tu aies, que
nous ayons, etc. »
Le participe présent à' habére avait aussi pris, dans le
latin populaire, une flexion avec e ou i consonnifiable
(*habientem) ; c'est ainsi qu'on peut expliquer la l'orme
française ay-ant. Le participe présent classique (habenteni)
aurait donné ayant.
§ 187. — Debere, d'où vient devoir, avait un e conson-
nifiable aux mêmes temps et personnes que habére. Mais le
radical tonique de ce verbe étant « deiv, doiv, » et conte-
nant un i semi-voyelle, l'influence de Ve consonnifiable ne
peut se manifosler sur ce radical que par la chule de la
Clldai. 6
98 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
labiale. On trouve en effet anciennement : « que je deie ou
doie, que tu deies, doies, etc. » Le u a été ajouté ensuite aux
différentes personnes de ce temps par analogie avec les
autres temps du même verbe, et on a conjugué : que je
doive, etc. Aux deux premières personnes du pluriel du
subjonctif présent, on devrait avoir le radical atone dev
modifié par l'adjonction d'un i semi-voyelle et la chute de
la labiale : dey-ons, puis doy-on?, deyez, puis doyez. Ces
personnes ont aussi subi une transformation analogique ;
on a repris le radical atone pur dev, en y ajoutant les
flexions ordinaires du subjonctif, ions, iez.
§ 188. — Savoir vient du latin sapere, qui avait un i
consozmifiable à tous les temps et personnes énumérés
dans le § 177. A la première personne de l'indicatif pré-
sent, cet i a produit le changement de l'a du radical latin
en ai, je sai (ensuite sais. Voyez § 265). Au subjonctif et
au participe présent ce même i s'est consonnifié en ch.
De là les formes: «sachant, que je sache, que tu saches, etc. »
La consonniûcation de Yi a fait que l'a du radical latin
s'est trouvé suivi de deux consonnes (p -f- i consonne) et
n'a pas subi le changement ordinaire des a toniques en é.
En effet, c'est le radical atone de savoir qui est sau; le radi-
cal tonique de ce verbe est sév, que l'on retrouve (sauf la
chute du V devant la consonne de flexion, voyez § 266)
dans « tu ses, il set » aujourd'hui écrits « tu sais, il sait »,
et dans « ils se'uent » devenu «ils savent » par analogie.
On aurait donc au subjonctif : « que je sèche », si le ch,
s'ajoutant à la labiale qui terminait le radical latin, n'avait
maintenu l'a conformément aux lois de la'phonétique.
Nous venons de voir que la troisième personne du plu-
riel de l'indicatif présent était anciennement sévent ; on
n'y retrouve pas l'influence de Vi consonnifiable, à moins
que séucnt n'ait été précédé d'une forme saivent. L'impar-
DU VERBE. 9:)
fait, « je savais », ne porte pas non plus la marque de Yi
consonniQable qu'il avait en latin. Sai., de la deuxirme et
de la troisième personne du singulier de l'indicatif pré-
sent (sais, sait, jadis ses, séV), représente partiellement
l'ancien radical tonique sév. Sai\ de l'imparfait et du plu-
riel de l'indicatif présent, est le radical atone régulier. Les
formes du prétérit et du participe passé seront expliquées
à part.
Radical terminé par une 1.
§ 189. — Dans les verbes dont le radical était terminé
par une /, l'e ou l'^consonnitiable a eu pour effet de mouil-
ler cette /.
§ 190. — Ainsi le verbe tressaillir (transsalire) faisait à
l'indicatif présent : « je tressaiï » et « ils tressa^V/ent ». Les
autres personnes de ce temps n'avaient pas à l'origine 1'/
mouillée, parce qu'elles n'avaient pas dans la flexion latine
un i consonnitiable : « tu tressa/s, il tressa/t, nous ti'essa-
/ons, vous tressa/ez. » Mais l'analogie a d'abord mouillé
17 des deux premières personnes du pluriel, « nous tres-
sailloriA, vous tressaillez. » Puis, comme la première per-
sonnedu singulier ressemblait, saufl'e final, à la première
personne des verbes tels que travailler de la conjugaison
en er, on a complété la ressemblance en disant : « je tres-
saille » au lieu de « jetressail », et on a dit de même aux
deux autres personnes : « tu tressaille?, il tressailli'. >>
L'imparfait « je tressaï7/ais », le subjonctif « que je très-
saille », et le participe présent « tressa///ant », sont des
formes très régulières, puisque, à. ces différents temps, le
latin avait un / consonnitiable. Mais les autres temps du
même verbe, y ci)m[)ris linilnitif, n'ont reçu 1'/ mouillée
que par analogie.
§ 191. — Le verbe valerc (valoir) avait l'c consonniûa-
iOO GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
ble au subjonctif et à la première personne de l'indicatif
présent. De là « je vail » à côté de « tu vais » (ensuite tu
vaux) et « il valt » (ensuite il vaut). De là aussi : « que je
vaille, que tu vailles, etc. » nous? avons conservé 17
mouillée au subjonctif, mais à l'indicatif présent nous
disons « je vaux », par analogie avec « tu vaux ».
§ 192. — Le verbe * volere (vouloir) avait pris, dans le
latin populaire, un i consonnifiable à la première per-
sonne de l'indicatif présent et au subjonctif. Aussi en
vieux français, la première personne de l'indicatif présent
était : « je veuil » (écrit voil, vueil, etc.) C'est par analogie
avec la seconde personne qu'on a dit ensuite : « je veux ».
De même au subjonctif présent on a eu, avec 1'/ mouillée:
« que je veuille (* voliam), que tu veuilles, etc. » Aux deux
premières personnes du pluriel 1'/ consonniûable aurait dû
avoir pour effet, non seulement de mouiller 17, mais de
changer en ui la voyelle du radical atone : «. que nous
vuillions. » Les formes « veuillions » et « voulions »,
entre lesquelles on a aujourd'hui le choix, sont des formes
analogiques qui se rattachent, la première aux autres
personnes du même temps, la seconde à la même per-
sonne de l'indicatif présent. Toutefois, il n'est pas impos-
sible que l'une de ces deux formes soit réellement étymo-
logique.
Radical terminé par r ou n.
§ 193. — Le verbe *morire, qui a donné mourir, avait
un i consonniilable à tous Ifs temps et personnes énumé-
rés § 177. Mais c'est seulement au subjonctif et à la pre-
mière personne de l'indicatif présent qu'on trouve des tra-
ces de l'action de ^^. Dans les textes anciens, la première
personne de l'indicatif présent de ce verbe est tantôt mwir,
tantôt moerc, miierc, ou moerg, niuerg. Et le subjonctif
DU VERBE. iO<
esttantôt«que jemiiire,que tumuires, etc. », tantôt « que
jo moerge. » Or, quand il est soustrait à l'influence d'un i
consonnifiable, Yo tonique de ce verbe devient oe, ne, eu, (tu
moers, muers, meurs). Ilfautdonc voir dans la diphtongue
ui de muîr et de muire, et dans la gutturale de moerc ou
moer^ei de moerge, deux transformations différentes du ra-
dical, dues toutes les deux ùrintluence de ^^ consonnifiable.
§ 194. — Les verbes venir (venire) et tenir (* tenire) ont
fait pour la même raison, à la première personne de Tin-
dicalif présent : « je vienc ou vieng, ou je vie/gn, — je tienc
ou tieng, ou je tieign », et au subjonctif « que je vienge ou
que je vieigne, que je tienge ou que je iieigne ». .
Radical terminé par un c ou un t.
§ 195. — « Pouvoir » dérive du latin * potere. Le t final
du radical latin étant tombé, pot latin est devenu, suivant
qu'il était tonique ou atone, poe, pue, peu (il peut), ou po,
poM (pouvoir). Quant au v « de pouvoir » et autres formes
semblables, il ne fait partie ni du radical ni de la flexion,
c'est un V euphonique (Voy. § 219).
Le verbe latin posse ou * potere était formé du radical /5o?
et du verbe esse {* essere) =étre. L'indicatif présent d'esse
étant swn à la première personne du singulier, posse de-
vait faire potsum à la même personne. Cette forme était
devenue possum en latin classique et pocsum en latin popu-
laire. Or Vo de pocsum s'est changé en ui sous rinflucnce
de la gutturale qui le suivait (Voy. § 745, 12"). De là le
français puis, d'où dérive, par voie d'analogie, le subjonc-
tif présent puisse. Quant à la forme «je peux », elle a été
créée parimitalion delaseconde personne du mêmetemps.
§ 196. — Faire dérive de facere, radical fac. Or, /ac,
d'après les lois de la phonétique, (jue a soit tonique ou
atone, doit donner également /"«< en français (il /ait, faive,
vous /<5j(tes). Mais quand le c est accompagné d'un i con-
6.
102 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
sonnifiable, le radical se modifie de deux façons diffé-
rentes, suivant qu'il est tonique ou atone : fac tonique
devient faz, faç, et fac atone devient fais.
Facere avait en latin un i consonniûable à tous les
temps et personnes indiqués § 177. Par conséquent, la
première personne de l'indicatif présent a dû être faz^
l'imparfait : je faissih, tu faisais, etc. ; le participe présent :
faisant; et le subjonctif : « que je face, que tu faces, qu'il
face, que nous /disions, que vous faisiez, qu'ils faceni. »
Parmi ces formes, faisais et faisant existent encore; « fais »
a remplacé faz, par analogie avec la deuxième personne ;
on a modifié l'orthographe de face qu'on écrit maintenant
fasse, et on a substitué, dans le même subjonctif, à « faisions,
faisiez », les formes analogiques « fassions, fassiez », par
assimilation avec les autres personnes du même temps. La
troisième personne du pluriel de l'indicatif présent avait 1'^
consonnifîable dans le latin classique [faciunt), mais l'avait
certainement perdu dans le latin populaire; car la forme
facunt (Voyez § 270) peut seule expliquer le français font.
§ 197. — Plaire et taire se conjuguaient comme faire.
Mais les ressemblances de ces trois conjugaisons ne sont
attribuables à Ve ou i consonnifîable que pour la première
personne de l'indicatif présent et pour le subjonctif; car
aux autres temps fa<Ve et plaire n'avaient pasl'e consonni-
ûable. (Voyez ci-dessous § 203.) On disait à l'indicatif pré-
sent :« je p/az, je fa- », et au subjonctif: « quejejo/ace, que
je tace ; que nousp/a/sions, que vous taisiez. » Les formes
des différentes personnes du subjonctif ont été assimilées en-
tre elles, mais ce sont les formes du pluriel qui l'ont emporté,
et non celles du singulier comme pour le verbe faire.
Formes exceptionnelles.
§ 198. — Un certain nombre de verbes de la première
DU VERBE. 10;ï
conjugaison en er ont, dans l'ancienne langue, pour la
première personne du singulier de l'indicatif et pour le
subjonctif présent, des formes spéciales qui ne peuvent
s'expliquer que par l'influence d'un e ou d'un / consonni-
fialjle qui a dû entrer dans la conjugaison populaire de ces
verbes. C'est ainsi que le verbe donner fait à la première
personne de l'indicatif présent : «je dxdns ou doins », et au
subjonctif : « que je donge, duinse ou doin»e. » De même,
pour la première personne de l'indicatif présent du verbe
trouver, on a « je truis. »
i; 199. — Il faut vraisemblablement rattacher aussi à
Tinlluence d'un /consonnifîabledu latin populaire la forme
« je vois », du verbe aller, devenue ensuite « je vais », à côté
de « tu vas, il va », et le subjonctif « que je voise », au sens
de « que j'aille. »
Traeea de toutes ces formes dans la conjugaison actuelle.
'^ 200. — L'assimilation a fait disiiaraître la plupart des
traces de l'e ou < consonuiliable des flexions latines. Nous
avons seulement conservé :
1° Quelques premières personnes de l'indieatif présent,
comme ']e jmis,]'ai, je sai{s);
2° Les subjonctifs présents des mêmes verbes {puisse,
aie, sache) et de quelques autres : que je vaille, que je
veuille ;
3° Les participes présents ayant, sachant ;
4° Des conjugaisons tout entières, où, à l'inverse du
phénomène le plus ordinaire, les formes qui avaient subi
l'influence de \e ou i consonni fiable se sont introduites
partout par assimilation : tressaillir.
Il faut ajouter que c'est à Ve ou /' consonnifiable que
nous devons l'i des flexions ions, iez du subjonctif. (Voyez
§ 279.)
104 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
III. — Variations dues aux traitements divers
du c final du radical.
§ 201. — Le c latin, seul entre deux voyelles, a subi
des traitements fort divers, suivant les voyelles qui le
précédaient ou qu'il précédait. Il en résulte dans la con-
jugaison de certains verbes des variations de radical as-
sez importantes.
§ 202. — Ainsi, partout où il est devant e ou i tonique,
ou devant e posttonique sauf devant la terminaison ère
atone de l'infinitif, le c a produit en français un i semi-
voyelle suivi d'une s, tandis que, devant i posttonique et
devant ère atone, il a seulement produit i semi-vo3'elle.
§203. — Or, les verbes de la deuxième conjugaison la-
tine avaient toutes leurs flexions commençant par un e ^.
Ceux d'entre eux où cet e était précédé d'un c auront donc
un radical français terminé par is. C'est ce qui est arrivé
pour les verbe luire, nuire, plaire, taire, dont le radical,
sauf à l'infinitif, et en réservant toujours le prétérit de
l'indicatif, l'imparfait du subjonctif et le participe passé
(voyez § 168 bis), est en français luis, nuis, plais, tais.
Aussi à la troisième personne de l'indicatif présent, ces
verbes faisaient-ils : « il luisi, il /?*//st, ilplaisi, ils taisl. »
Pour la première personne du mémo temps, voj'ez ci-des-
sus § 197. A la deuxième personne Ys du radical se con-
fond avec Vs de flexion. Au subjonctif présent ces mêmes
verbes faisaient : que je luise, que je nuise, que ie plaise,
que je taise. (Voyez toutefois § 197.)
§ 204. — Au contraire, pnrmi les temps latins qui ont
produit des temps français, l'iuiparfait et le participe pré-
sent seuls avaient, dans lesverbes latins de la troisième con-
jugaison, les flexions exigée:i pour le changement du e précé-
1. Cet e terminait le radical primitif
DU VERBE. 105
dent en ts. Ceux de ces verbes dont le radical latin finissait
par un c n'auront donc un radical français terminé par h
qu'au participe présent et à l'imparfait. On dira : « con-
duisant, je conduhdX's, », mais « je conduis il conduii. »
C'est par analogie qu'on a dit, aux deux premières person-
nes du pluriel de l'indicatif présent : « ronduison'S,, con-
duisez » au lieu de « conduimes^ conduiie^ », formes qu'ap-
pelait fétymologie. Au subjonctif du même verbe, on a en
principe une troisième variété de radical; car, la flexion
latine commençant par un a, le c se trouve entre un u long
et un a, et, dans ce cas spécial, il doit complètement tom-
ber. Le subjonctif étymologique est donc: « quejeco/*-
duG, que tu co7idues, etc. », formes que l'analogie a rem-
placées d'abord par condiùp, puis par conduise.
§ 205. — Pour la même raison, le verbe dire faisait au
participe présent et à l'imparfait « disant, disB.\s », mais
ailleurs : « je di, il dit, vous diles, que je die, que tu
dies, etc. »
§ 206. — Le verbe facere (faire) appartient à une caté-
gorie spéciale de verbes de la troisième conjugaison latine.
La terminaison habituelle is de son radical en français
s'explique par la double influence du c et de Vi consonni-
fîable (Voyez§196). Al'indicatif présent de ce verbe (sauf
à la première personne du singulier), le radical doit être
fai : « il fali, vous faites. » La première personne du plu-
riel « faisons » est analogique.
IV. — Verbes français en « aindre, eindre,
oindre ».
§ 207. — Les verbes français en aindre, eindre, oindre,
dérivent de verbes latins dont le radical se termine par
ang, ung, ing. Le g final a produit un double effet : 1° il
a transformé les voyelles a, u, i en les dij)lilongucs ai,
106 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
oi, ei; 2° il a mouillé l'n. Mais la mouillure de Vn
n'est sensible aujourd'hui que dans les formes oîi le radi-
cal est suivi d'une voyelle : « ils/)/a?^nent,/)o/5'nant, etc. »
Partout ailleurs Yn elle-même a disparu de la prononcia-
tion, en produisant la nasalisation de la voyelle précé-
dente : « il /)/amt,.yomdre, etc. » Quant au d de l'inûnitif
et du futur, nous l'expliquerons § 213.
v^ 208. — he's,\Qvhe's, geindre ai craindre n'ont été rangés
parmi les verbes en « aindre, eindre » que par analogie.
Leur radical latin se termine par m et non par ng. Ces
verbes devraient avoir, et ont eu en vieux français, comme
radical atone, gem, crem, et comme radical tonique giem,
criem. On disait « geniànl, cre»?îant » au lieu de geigymniy
craignoxiiy « il gemoW, il cremoM^ que je gième, que je
criéme, etc. » (Voyez § 159.) Pour la forme étymologique
de l'inflnitif de ces verbes, voyez ci-dessous § 217.
"V. — De la vocalisation de 1' « 1 » dans les formes
verbales.
§ 209. — Nous avons déjà vu, dans les chapitres de
l'orthographe et du nom, que VI (mouillée ou pure) de
l'ancienne langue se maintenait en général lorsqu'elle
terminait le mot ou lorsqu'elle était suivie d'une voyelle,
mais qu'elle se vocalisait en ii lorsqu'elle était suivie d'une
consonne : cheval et travail sont restés cheval et travail^
valeur est resté valeur; mais chevals et trava'ils sont de-
venus chevaus (chevaux) et (ravaus (travaux), falcher est
devenu faucher. L'application de cette loi de phonétique
modifie singulièrement la physionomie de la conjugaison
dans les verbes dont le radical se terminait par cette con-
sonne (simple ou redoublée, pure ou mouillée), du moins
dans les verbes en re, oir et dans les non-inchoatifs en
ir; car dans les verbes en er, et dans les inchoalifs en ir,
DU VERBE. 107
a consonne qui termine le radical est toujours placée
levant une voyelle.
§ 210. — Pour les verbes en re la consonne terminant
e radical se trouvait suivie d'une autre consonne : 1** à
.'infinitif, au futur et au conditionnel, devant r des flexions
"€, rai, rais; 2° aux deuxièmes et troisièmes personnes de
.'indicatif présent, devant s et t.
Or dans moudre, la consonne finale du radical est /
latin mol-ere), que l'on retrouve dans mow/ons, moulez.
Helte / s'est maintenue partout où elle était suivie d'une
royelle, mais elle a disparu par vocalisation et confusion
ivec la voyelle ou, dans mowdre, moudra.i, moudrais, tu
nous (aujourd'hui écrit mouds), il moui (aujourd'hui écrit
rnoud). Le d de « mourfre, mouf/rai » est euphonique
^Voyez § 213). On l'a introduit par confusion dans : « tu
nriouf/s, il moue?. »
§ 211. — Pour les verbes en oir et en ir (non inchoa-
tifs), la consonne terminant le radical se trouvait suivie
d'une autre consonne aux mêmes temps que ci-dessus,
moins l'infinitif (dont la flexion commence par une voyelle:
oir, ir), c'est-à-dire au futur, au conditionnel et au sin-
gulier de l'indicatif.
Valoir, falloir, ayant le radical terminé par une /, cette
l s'est vocalisée en u et a formé diphtongue avec l'a qui
précédait : i" dans vaut, faut ; 2° dans vaudrait, faudrait;
3° dansuaurfm, faudra; et dans les différentes personnes de
ces temps (celles du singuher seulement pour l'indicatif).
Dans vouloir, qui est un verbe à voyelle du radical
variable, 1'/ s'est confondue avec la diphtongue ou du
radical atone dans voudrai, voudrais (au lieu de uou/drai,
uow/drais); elle s'est confondue avec la diphtongue eu
du radical tunique au singulier de lindicalif « il vcul «
au heu de : il vculi.
108 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Faillir faisait à l'indicatif « il faut », comme falloir, qui
remonte d'ailleurs au même verbe latin fallere. Le futur
était aussi : je faudrai, qu'on remplace aujourd'hui par
je faillirai , forme refaite sur l'infinitif.
Assaillir et tressaillir faisaient jadis : il assaut, il tres-
saut, il assandra, il tressaudru. Le futur et le conditionnel
ont été refaits sur l'infinilif, et le singulier de l'indicatif,
où l'on a rétabli 1'^ mouillée de la première personne, et où
l'on a ajouté un e muet, ressemble aujourd'hui à un verbe
de la première conjugaison, à travailler par exemple (Voyez
ci-dessus § 190).
§ 212. — Ainsi, dans la conjugaison ancienne des verbes
dont le radical se termine par « /, //, ill, » il arrive que,
au futur, au conditionnel et au singulier de l'indicatif (et
à l'infinitif pour les verbes en re), cette / ou ces / sont
remplacées par un u, qui s'ajoute à la voyelle précédente
ou se confond avec elle.
VI. — Des consonnes euphoniques introduites
dans la conjugaison.
§ 213. — Toutes les fois que, dans la transformation
d'un mot latin en mot français, une s, une n ou une / s'est
trouvée rapprochée d'une r, il s'est introduit un d après n
ou /, et un / après s, pour faciliter la prononciation. C'est
ainsi que le latin gén[e)rum a donné gendre, etc. Ce fait
s'est produit dans les verbes, après un radical terminé par
l, s ou n, devant une flexion commençant par une r, c'est-
à-dire devant les flexions du futur et du conditionnel {rai,
rais) et devant celle de l'infinitif des verbes en re.
Le radical de môlere, d'où vient moudre, était mol,
devenu moul en français. A la suite de la chute régulière
de la voyelle atone e, qui séparait en latin le radical molàe
la terminaison re {mol[e)re), on a eu moire, qui a été trans-
DU VERBE. 109
formé en moldre, mouldre, puis moudre, par l'introduction
d'un d euphonique entre / et r.
Dans absôlvere, VI était séparée de Vr par une consonne
et une voyelle qui sont tombées l'une et l'autre : absôl{ve)re.
Dès lors un d euphonique s'est introduit dans la forme
française : absoldre, absoudre.
Pour la même raison côns[ue)re a donné cousrfre;
nà.s{ce)re, nais^re ; cogn6s{ce)re, connois^re ; crés[ce)re,
croisfre; plân{gé)re, plainc?re; fin{ge)re, feinrfre, etc.; et
au futur : cousdrai, absoudrai, etc.
§ 214. — Il faut remarquer que le rf ou le ï s'est main-
tenu même après la vocalisation ou la suppression de la
première consonne dont il facilitait la prononciation.
Aujourd'hui on dit moudre et coudre; la consonne finale
du radical (/, s) est tombée, mais le d est resté.
Quand on veut, d'après l'infinitif actuel, retrouver le
véritable radical de ces verbes, il faut donc, non seule-
ment supprimer la dentale euphonique en même temps
que la flexion re, mais encore rétabhr l'ancienne consonne
qui précédait cette dentale et la rendait utile : / dans
moudre, s dure {ss) dans croître, s douce dans coudre :
moul, croiss, cous. C'est ce radical ainsi complété que l'on
trouvera dans les autres formes de ces verbes : « wou/ant,
croissais, coi<sons, etc. »
§ 215. — Les verbes venir, tenir, valoir, falloir, etc.,
ont aussi une dentale euphonique au futur et au condition-
nel : « tiendrai, vienc?rai, faurfrai, vaur/rai. »
§ 216. — On peut dire d'une façon générale que,
toutes les fois qu'on a, soit au futur et au conditionnel
seuls, soit à ces deux temps et à l'intinitif, un d ou un t,
qui ne se retrouve pas dans les autres formes du même
veî-be, cette dentale n'appartient pas au radical latin. I)
n'y a d'exception que pour prendre (latin préndere), qui
Clédat. 7
no GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
perd sa denlale étymologique à tous les temps autres que
l'infinitif, le futur et le conditionnel, précisément par ana-
logie avec les verbes où cette dentale est euphonique.
§ 217. — Dans les verbes dérivés des latins gém{e)re
(geindre) et trém{e)re (craindre), on devait avoir, d'après les
lois phonétiques, non un d euphonique, mais un b; car
c'est un b qui s'intercale ordinairement entre une m et
une liquide. Mais les infinitifs «^î'emère ongembre, criembre
ou crembre », ont été de bonne heure remplacés par gem-
dre, a'eind7'e [enmile craindre, par une modification pure-
ment graphique), par analogie avec les verbes en aindre,
eindre, dérivés des verbes latins en angere, ingère (Voy.
§ 208).
§218. — Nous avons déjà indiqué le rôle de ly eu-
phonique §§ 173 et 174.
§ 219. — Un u euphonique s'est introduit dans toutes
les formes de l'ancien verbe po-oir, pou-oir, où le radical
{peu tonique, ou pou atone) était suivi d'une voyelle :
pouvoir, pouvant, ils peuvent.
LES FLEXIONS DU VERBE
LA FLEXION OnS DES PREMIÈRES PERSONNES DU PLURIEL.
§ 220. — On trouve la flexion ons à la première per-
sonne du pluriel de presque tous les temps de toutes les
conjugaisons. Elle a été substituée à des flexions latines
très diverses, dont quelques-unes ont laissé des traces
dans l'ancienne langue, mais qui ont fini par disparaître.
Cette flexion a été empruntée à la première personne du
pluriel de l'indicatif présent du verbe * ezsere (être), qui
est sûmus en latin, sommes en français. De sommes, on a
tiré ommes, bientôt contracté en ons, qui est devenu la
flexion par excellence de la première personne du pluriel.
DU VERBE. m
LES FLEXIONS DE CHAQUE TEMPS.
Nous parlerons d'abord des temps des modes imper-
sonnels, c'est-à-dire de l'infinitif et des participes, puis
des présents de l'indicatif et du subjonctif et de l'impar-
fait de l'indicatif, après lesquels nous pourrons placer le
futur, le conditionnel et l'impératif Le prétérit de l'in-
dicatif, et l'imparfait du subjonctif, qui en dérive, viendront
ensuite. Nous dirons aussi quelques mots du temps archaï-
que dérivé du plus-que-parfait latin, et nous terminerons
par la conjugaison du verbe e7re, qui mérite une place à part
à cause des irrégularités qu'elle renferme. Nous ne croyons
pas nécessaire de justifier l'ordre que nous venons d'indi-
quer; on verra qu'il repose sur la parenté des divers
temps.
I. — Infinitif.
§ 221. — Les Latins avaient quatre conjugaisons, aux-
quelles correspondent les quatre terminaisons de nos infi-
nitifs :
er (latin dre), dans chanter de cantéire; quelquefois
on avait ier au lieu de er : aider était jadis aidier.
ir (latin ire) dans ouïr de audïre.
re (de rendre) et oir (d'avoir), qui viennent également
d'une terminaison latine en ère : reddere (rendre), hahere
(a\'oir); mais dans le premier verbe latin l'accent tonique
est sur le radical : rédd-ere, tandis que dans le second
il est sur le premier e de la Uexion : hab-ére.
§ 222. — La flexion latine ère, pare tonique, s'est sou-
vent confondue dans le langage populaire avec la flexion
^cre par e atone (avec accent sur le radical). Il en est
réaullé que des verbes qui, d'après leur élymologie, de-
vraient être en oir, sont en re, ou inversement, et quel-
quefois les deux formes coexistent. Suùmoncre a donné
H2 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
semondre (qui dérive de la prononcication populaire sub-
mônere par e atone), au lieu de semonoir qu'on attendrait
d'après le latin classique submonére ; cddere a donné cheoir,
puis choir (de la prononciation populaire cadére par e to-
nique), au lieu de chiére; ardére a donné ardoir (vieux
mot qui signifie « brûler »), mais on trouve aussi ardre,
dérivé de *drdere.
§ 223. — D'autre part, dans un bon nombre de verbes,
la terminaison latine ire a été substituée à l'une ou l'autre
des terminaisons en ère. De là le verbe courir (de *currire
au lieu de cwrere), à côté duquel on trouve la forme
régulière courre, conservée dans plusieurs locutions telles
que « chasse à courre ». On a aussi querre et quérir.
§ 224. — La terminaison française ir peut encore dé-
river directement (sans l'intermédiaire d'une transforma-
tion populaire en ire) du latin ère. Ainsi placére a donné
directement plaisir (ancien infinitif, devenu depuis long-
temps substantif) et non plaisoir; Ve tonique latin ne s'est
pas changé en oi, mais en i, par suite de l'influence exer-
cée par le c sur la transformation de la tonique (Voyez
dans la phonétique, le tableau de ïe long tonique, 7°). Ces
cas sont rares d'ailleurs.
§ 225. — En résumé, la flexion française ir vient géné-
ralement de la flexion du latin classique ire. Mais, par
exception, elle peut dériver de la flexion ère placée dans
des conditions déterminées, ou bien encore elle peut cor-
respondre à un ère ou à un _L.ere, transformé par le latin
populaire en ire.
Chacune des flexions françaises en oir et en re peut
correspondre à l'une ou l'autre des flexions latines en ère.
Enfin la flexion er se ramène toujours au latin are.
§ 226. — Dans les infinitifs choir et voir, toute trace de
la voyelle du radical a disparu; car si on supprime la
DU VERBE. 113
flexion oir, il reste pour tout radical ch ou v. La forme
ancienne de ces infinitifs était ckeoir et veoir (plus ancien-
nement chadeir et vedeir).
Nous avons un infinitif en uir monosyllabique, c'est
fuir. Mais on prononçait jadis en deux syllabes ; finr.
Le radical est fu et la flexion de l'infinitif ir.
§ 227. — On comprend que les verbes en re où la
flexion atone re était précédée d'un i [i-re], aient pu se con-
fondre avec les verbes en ir. C'est ce qui est arrivé pour les
verbes dérivés àe*collegere et de benedicere. Légère ayant
donné lire, et dicere : dire, collégere et benedicere auraient
dû donner ciieillire et bénire. L'assimilation avec les verbes
en ir a produit cueillir et béîiir (anciennement béneir).
A côté de beneir on trouve aussi bene'istre, qui se rattache
à une prononciation du latin benedicere par c doux, comme
nous le prononçons aujourd'hui.
§ 228. — Le u final du radical est tombé devant la
flexion 7'e de l'infinitif dans boi7'e (anciennement boivre) et
dans écrire (anciennement escrivre).
II. — Participe présent et gérondif.
§ 229. — Le mot « gérondif » ayant été jusqu'à présent
peu employé dans les grammaires françaises, il est né-
cessaire de l'expliquer. En français, le gérondif a la même
forme que le participe présent, et cette identité de forme
a été cause de la confusion des deux temps sous un même
nom.
Mais le participe présent doit être, par définition, un
adjectif verbal, donnant au nom avec lequel il s'accorde la
qualité d'agent de l'action exprimée par le verbe ; il doit
pouvoir être remplacé par le verbe à un temps de mode
personnel, précédé du pronom relatif : « parlant », parti-
cipe présent, équivaut à « qui part » ou « qui parlait ». Au
114 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
contraire, lorsqu'on dit : « il nous a remerciés en partant »,
il est évident que « partant » ne peut pas être remplacé
par « qui parlait », ne s'accorde avec aucun nom, et ex-
prime une idée toute différente. Il n'a plus la valeur d'un
adjectif, comme le vrai participe présent, mais celle d'un
substantif exprimant l'action même du verbe, comme l'in-
finitif,• c'est en quelque sorte le cas régime de l'infinitif. Ce
cas régime ne s'emploie d'ailleurs, dans la langue actuelle,
qu'après la préposition en ; nous verrons, dans les notions de
syntaxe, que l'emploi en était moins restreint dans le vieux
français. Plusieurs patois se servent aujourd'hui de l'infi-
nitif, même après en, et disent : « en partir », au lieu de
« en partant ».
§ 230. — En latin le gérondif se distinguait du participe
présent par la forme non moins que par le sens. Gomme
en français, le gérondif servait de cas régime à l'infinitif, et
il avait les différentes terminaisons des cas régimes des
noms et adjectifs. L'un de ces cas (en o) donnait au géron-
dif la valeur du gérondif français précédé de la préposition
en, valeur que notre gérondif a conservée dans quelques
locutions comme « chemin faisant », qui équivaut à « en
faisant chemin ».
§ 231. — Le gérondif français dérive soit de ce cas en
0, soit de l'accusatif (en um). Ces deux cas s'étaient d'ail-
leurs confondus dans le latin populaire : cantândo et can-
tàndum ne diffèrent que par des lettres qui, d'après les
lois de la plionétique, doivent tomber.
Le gérondif de la conjugaison latine en are (français er)
était en « andum,ando » devenu ant dans le français parle
changement du d enf et par la chute de la finale atone. Or,
le participe présent de la môme conjugaison était en ân-
tem; em final devant régulièrement tomber, elle t devant
les conserver intact, le participe présent s'est confondu
DU VERBE. 115
avec le gérondif. Cantantem, participe présent, et cantan-
dum, gérondif, ont donné une forme unique : chantsint,
qu'on pourrait appeler gérondif-participe.
§ 232. — Pour les autres conjugaisons latines, le gé-
rondif était en endum et le participe présent en entem.
Nous devrions donc avoir des gérondifs-participes en ent.
Mais de bonne heure la flexion a7it, de la conjugaison en
er, a été appliquée à tous les verbes ; d'oil il résulte que les
difl"érentes conjugaisons forment leur gérondif-participe
de la même façon, en ajoutant ant au radical (au radical
suivi de la syllabe iss pour les verbes inchoatifs).
III. — Participe passé.
Participes en è, i, des verbes en er, ir.
§ 233. — En latin, le participe passé de la conjugaison
— are était en àtum, et celui de la conjugaison — ire en
îtian. Àtum ayant donné la flexion é (plus anciennement
et), et itum la flexion i, les verbes français en er (latin are)
auront le participe passe en é [ic quand l'inQnitif est en ier),
et ceux en ir (latin ire) l'auront en /.
§ 234. — Toutefois, parmi les verbes en ir, les inchoa-
tifs seuls ont toujours le participe en i. Les non inchoatifs
ont quelquefois emprunté la flexion de ce temps à d'autres
conjugaisons. D'autre part, la flexion i a été appliquée à
des verbes qui n'avaient pas l'infinitif en ir.
§ 235. — Ainsi les verbes en er ont le participe passé
en é, les inchoatifs l'ont en i; la troisième conjugaison
française, composée des débris de trois conjugaisons la-
tines, et comprenant des verbes en oîV, ir, re, a quelquefois
le participe passé en % (suivi de suivre, senti de sentir),
mais elle offre d'autres formes que nous allons étudier
et qui se raltachcnl aux deux conjugaisons latines en ère.
116 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Participes en t.
§ 236. — Les verbes de la conjugaison latine en ère
avaient le participe passé en itum comme ceux en ire,
mais avec l'accent sur la syllabe radicale qui précédait :
débitum de debere {devoir), et non pas debitum comme
dans finîtum, qui a donné fini. Ceux de la conjugaison
en 1ère ajoutaient simplement tum au radical : fâctum, de
fdcere {faire).
Ces deux formes, àéhitum et fâc^wm, ne diffèrent entre
elles que par Yi atone de àéhitum, qui doit tomber en
français. Il en résulte que, pour ces deux conjugaisons, le
participe passé sera le même. Il se composera régulière-
ment du radical suivi d'un t, seul reste des flexions latines
« itum, tum ». C'est ainsi que faire a pour participe passé
fait, et que le participe passé théorique de devoir est det
(ou doit) 1 qui a été remplacé par une autre forme, mais
dont il reste encore dans la langue le féminin, devenu sub-
stantif : dette .
Parmi les participes de ce genre, on peut citer :
ceint
de
ceindre
teint
—
teindre
plaint
—
plaindre
joint
—
joindre
oint
—
oindre
conduit
—
conduire
dit
—
dire
écrit
d'
écrire
trait
de
traire.
§ 237. — Le u final du radical est tombé devant le t de
I. La forme doit se compose du radical tonique ordinaire doiv,
moins le l' final, et plus le t de flexion. Sur la chute de la labiale finale
du radical ilevant le t, voyez § 2:57. Dans dot on a un radical tonique
modifié par l'influence des deux consonnes i'f de deb{i)tum (voyez § 72tj).
DU VERBE. 117
flexion dans écrit, le radical de ce verbe étant écriv (Voyez
î^ 228).
§ 238. — A propos du participe passé des verbes en
aindre, eindre, oindre, il faut se rappeler que le d de l'infi-
nitif ne fait pas partie du radical et ne se trouvait pas dans
les verbes latins (§ 213). D'ailleurs, lorsque le radical se
terminait réellement par un d, ce d tombait devant le t du
participe. Ainsi les participes passés en t des verbes
tendre, vendre, rendre, pendre, perdre, verbes dont le d
n'est pas euphonique, mais étymologique, seraient tent,
mnt,rent,pent,pert; les féminins de ces participes existent
avec la valeur de substantifs : tente, vente, rente, pente,
perte. Mais tous ces verbes ont reçu un participe passé en
u dont nous verrons bientôt l'origine.
§ 239. — Quelques verbes latins en ire avaient par ex-
ception leur participe passé en fwm, comme ceux en_Lere :
on disait apér-tum (et non aperitum), d'aper-ire (ouvrir),
copér-tuni, de coper-ire (couvrir). Ces verbes ont en fran-
çais un double radical. Au participe passé, l'accent étant
sur Ye de per, cette voyelle s'est maintenue, et le radical
se compose de deux syllabes : ouver, couver ; en ajoutant
le t de flexion, on obtient ouvert, couvert. Mais à tous les
autres temps, que l'accent soit sur le radical ou sur ta
terminaison, il ne porte jamais sur l'e de per, qui est
tomljc partout ; de telle sorte qu'à tous les autres temps
le radical n'a qu'une syllabe : ouvr, couvr.
§ 240. — Un autre participe irrégulier en t, apparte-
nant à un verbe en ir, est celui de mourir : mort. Le parti-
cipe latin était môrtuwn; Vo tonique, étant suivi en latin
de deux consonnes, a dû rester o [mort) tandis que, dans
les autres formes du môme verbe, il est devenu, suivant la
place de l'accent, eu, ou : mourir, 7/tevire (Voyez § 172).
§ 241. — Le participe du verbe naître, « né », a été
7.
H8 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
aussi, à l'origine, un participe en t : net. Le t est tombé
comme dans les participes passés des verbes en er, qui ont
été successivement en et puis en é : chantét, puis chanté.
Mais entre ces participes et celui de naître, il y a cette dif-
férence que Vé de chanté appartient à la flexion, tandis que
le de de né appartient au radical. Naître vient du latin
nasc-ere dont le participe passé était na-tum. Le radical
nasc a donné le français nais (ou naiss) que l'on retrouve à
presque tous les temps. Le radical na du participe passé a
donné le français né auquel s'ajoutait jadis un t de flexion.
Participes en u.
§ 242. — Un certain nombre de verbes latins en —ère
avaient le radical terminé par un u, qui se prononçait
comme une consonne à l'infinitif, et qui, redevenant
voyelle au participe passé, prenait l'accent. Ainsi bâttu-
ere (battre) faisait au participe hatlûtuni, d'oii battu; côn-
siiere (coudre) faisait consûtum, d'oij cousu. Cette terminai-
son ûlum, probablement mise en relief par son analogie
avec les terminaisons cltumetitum^a. été donnée à quantité
de verbes dont le participe régulier était tout différent. Le
participe français en u, qui en dérive, s'applique à tous
les verbes en oir, sauf asseoir, à quelques verbes ir
(courir, tenir, venir, vêtir), et à beaucoup de verbes en re,
tels que boire, connaître, croître, lire, croire, moudre.
§ 243. — En principe la terminaison u doit simplement
s'ajouter au radical du verbe, et, pour les verbes qui ont
double radical, au radical atone. Ajoutez u au radical val
de valoir, vous avez valu; ajoutez u au radical atone voul
de vouloir, vous avez voulu, etc. Il en est de même, sou-
vent malgré les apparences, pour la plupart des autres
verbes.
DU VERBE. H9
1. Verbes en « oir ».
§ 244. — Dans savoir, le radical atone est sav, qui cor-
respond à sap latin. Or, devant Vu tonique de la flexion,
le p latin doit tomber etl'a se changer en o, puis en e. De
là le participe passé sou, seii, enfin su par contraction.
Ainsi, dans l'ancien verbe savoi?', le radical spécial auquel
s'ajoute Vu du participe est «so, se » au lieu do sav. Aujour-
d'hui la flexion u s'est substituée à la voyelle du radical,
et le mot n'a plus qu'une syllabe. Le participe passé du
verbe avoir s'explique de la même manière; nous l'écri-
vons eu, au lieu de u, par une tradition qui remonte au
temps OLi on prononçait réellement eu. Il a été aussi oii.
Recevoir, devoir, mouvoir, pouvoir, ont fait, pour des rai-
sons analogues : deû, poil et peu, moïieimeû. Dans devoir
et mouvoir il y a eu chute de la labiale du radical (è et v
latins) devant la flexion u, comme dans savoir. Dans pou-
voir (anciennement pooir, pouoir), le participe passé n'a
pas pris le v euphonique.
§ 245. — Le cas de choir et de voir est encore plus
simple. Ces deux verbes ont été cheoir et veoir, formes
auxquelles correspondent les anciens participes passés
ckeû et veii, qui sont devenus chu et vu quand les infinitifs
devenaient choir et voir.
2. Verbes en « re ».
§ 246. — Dans croire, le radical atone est cre (on disait
j<-idis créons, créant, au lieu de croyons, croyant). Si l'on y
ajoute la flexion u, on a l'ancien participe passé creii, deve-
nu cru par contraction. Dans boire, le radical atone est bev
(devenu buv dans buvons, buvez, etc. Voyez § 172) qui dé-
rive du latin bib; la labiale latine b étant tombée devant
I'm de flexion, le participe passé sera beû, aujourd'liui bu.
120 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
§ 247. — Quant aux verbes croître, paraître, connaître,
et autres, ils ont fait au participe passé « creû, pareii, con-
neû » par analogie avec les nombreux participes en eu qui
déiivent directement du latin. Ainsi, dans ces verbes, la
voyelle e de eu a été substituée à la voyelle ou diphtongue
du radical, quelle qu'elle fût.
§ 248. — Le participe vécu, du verhe vivre, est tout à fait
irrégulier. Il se rattache au radical spécial que l'on trouve
au [u'étérit de ce verbe {vix), radical auquel on a ajouté
ïu de flexion (Voyez §335).
Participes en s.
§ 249. — Des verbes latins des deux conjugaisons en
ère avaient le participe passé en sum, souvent avec modi-
fication du radical.
§250. — Parmi les verbes en oir, avoir » devrait faire au
participe passé vis (du latin visum) ; mais cette forme, que
l'on trouve dans l'ancienne langue comme substantif, avec
le sens de visage, et d'où vient d'ailleurs le mot visage,
avait été remplacée, dès l'origine, comme participe passé
du verbe voir, par une forme analogique en ûtum, d'où
"ient le participe veû, vu.
§ 251. — Le vieux verbe remanoir fakâii régulièrement
au participe passé remés (remansum). La suppression de
Vn et le changement de l'a du radical en e s'expliquent par
les lois phonétiques.
§ 252. — Le seul verbe actuel en air qui ait le participe
passé en s, est seoir (s'asseoM*) qui fait : sis (assis). Encore
cette forme ne dérive-t-elle pas directement du participe
latin {sessw7i); elle est due à une analogie avec d'autres
participes tels que occiswn {d'occidere, en français occire)
qui a donné occis (anciennement ocis). C'est à la même
analogie, et aussi à l'inlluence du prétérit de l'indicatif^
DU VERBE. 12t
qu'on doit les participes: ynis [admettre), pris [&& prendre) ,
quis (de guerre ou quérir. Voyez § 223). Les participes
passés de ces verbes, s'ils étaient venus directement
du latin, eussent été bien différents; au lieu de mis on
aurait mes, forme que l'on rencontre en vieux français
avec la valeur d'un substantif et le sens de « envoyé,
messager ».
§ 253. — Le verbe clore a un participe passé en s, clos,
qui dérive directement du latin. Il en est de même du vieux
verbe ardre (brûler), qui faisait ars.
§ 254. — Enfin, par une analogie inverse de celle que
nous avons plusieurs fois signalée, le participe latin en
ûtum du verbe absolvere [asoldre, asoudre, absoudre) a été
remplacé par un participe en s : français asols, asous,
absous. Le féminin devrait être ahsouse ; c'est par une
influence savante (à cause du t d'absolutum), ou par ana-
logie avecles participes en t, qu'on dit : absoute.
Participes exceptionnels en i et en eit.
§ 255. — 11 nous reste à parler des quelques verbes
français en re qui ont le participe passé en i.
Suivre, qu'on trouve aussi sous la forme asivlr, suivir»,
a le participe passé qui convenait à cette seconde forme.
A\iire et Inire n'avaient pas de participe passé en latin
classique. Pour le premier on trouve au moyen âge un
participe en u : « neû ». Tous les deux ont aujourd'hui le
participe en i comme des verbes en ir. En réalité, ces par-
ticipes sont sans flexion, carl'i qui les termine fait partie
du radical du verbe.
On en peut dire autant de rire, qui fait ri, au lieu de ris
qu'appelleraient le latin risu7n et l'analogie avec occis, de
occire.
Suffire devrait avoir au participe un l comme confire :
122 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
(( suffit ». Ce verbe a subi aussi une fausse assimilation
avec les verbes en ir, et le participe passé a été réduit au
radical suffi.
§ 256. — On trouve dans l'ancienne langue quelques
participes passés en eit qui ont longtemps embarrassé les
romanistes : colleit à côté de coilli, du verbe coillir (cueil-
lir), chaeit à côté de chai'c, du verbe chacir (cheoir,
choir), etc. Colleit vient directement du participe latin
colléctum : col représente le préfixe (c'est le préfixe com
de comprendre, avec assimilation de Vm à la première con-
sonne du radical); lei est le radical, et t la flexion. C'est
donc un participe ordinaire en t. A l'infinitif de ce verbe,
la voyelle du radical était i, et non ei ; et cet i s'était con-
fondu avec Vi de la flexion des verbes ir (Voyez ci-des-
sus § 227). Partout ailleurs la voyelle du radical était
tombée, par exception aux lois générales de phonétique,
et c'était l'ancien préfixe, devenu coil et cueil, qui jouait
le rôle de radical. A côté de ce nouveau radical, Veit du
participe colleit ressemblait à une flexion. C'est par suite
de cette ressemblance, que la syllabe eit a été ajoutée
comme flexion au radical d'autres verbes, tels que chaeir.
Résumé.
§ 257. — En résumé : 1° Verbes français en re. —
Les verbes latins correspondant à cette terminaison avaient
le participe passé en tum et sum, et exceptiojmellement en
ûlum. Cette dernière terminaison (en français xi) a singu-
lièrement empiété sur les deux autres. Elle s'applique au-
jourd'hui à près de la moitié des verbes français en re.
Parmi les autres, la plupart ont le participe en t (latin
lum), quelques-uns en s (latin sum) ; enfin un petit nombre
de verbes, dont la voyelle radicale est i et précède immé-
diatement la terminaison re, ont été confondus, à cause de
DU VERBE. 123
cette voyelle, avec les verbes en ir, dont ils ne diffèrent à
l'infinitif que par l'e muet final, et ont aujourd'hui le par-
ticipe en i.
2" Verbes en oir. — Ces verbes, sauf asseoir, ont le par-
ticipe en u, qu'ils doivent à une assimilation.
3° Verbes non inchoatifs en ir (participes latins en itum,
sum, tum). — La plupart de ces verbes ont le participe en i,
conformcment à la flexion itum du latin. Quelques-uns ont
la flexion ii, si commune pour les verbes en re et en oir.
Ouvrir, couvrir, souffrir et offrir ont le participe en t.
Enfin un seul de ces verbes a le participe en s, et encore
appartenait-il, en latin, aune autre conjugaison; c'est ^'t/e-
rir (et ses composés) : conquis.
IV. — Présent de l'indicatif.
Conjugaison en er.
§ 258. — Le présent de l'indicatif de la première con-
jugaison ofi^rait en latin les formes suivantes :
pôrt-o (je porte)
p(')rt-as (tu portes)
pôrt-at (il porte)
port-àmus (nous portons)
port-âtis (vous portez)
p6rt-aul (ils portent).
§ 259. — La partie invariable, commune à toutes les
personnes, est port, qui a persisté en français sans aucun
changement. Quant aux flexions, d'après les lois delà pho-
nétique, Vo atone de la première personne du singulier et
l i atone de la deuxième personne du pluriel doivent tom-
ber; l'a atone des deuxième et troisième personnes du
singulier et de la troisième personne du pluriel doit
être représenté par yin e muet; les consonnes doivent
persister sans modifications, sauf le changement de t-s, de
124 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
la deuxième personne du pluriel, en;:; l'a tonique de la
deuxième personne du pluriel doit se changer en é (en ié
dans les verbes en m\ § 221); enfin la flexion de la pre-
mière personne du pluriel doit être remplacée parla syllabe
ons, dont nous avons expliqué l'origine (§220).
§ 260. — L'ancienne conjugaison de ce verbe à l'indi-
catif présent était donc en français : »
je port
lu port-es
il port-et
nous port-ons
vous port-ez
il port-ent.
Cette conjugaison n'a subi que deux modifications :
1° le l final de la troisième personne du singulier est tombé
de très bonne heure; 2° plus tard on a ajouté un e muet à
la première personne du singulier, pour l'assimiler aux
deux suivantes.
Conjugaison en re, oir, ir.
§ 261. — Les autres conjugaisons latines avaient, au
même temps, les formes suivantes :
2« CONJUGAISON (ère). 4^ conjugaison (ire).
déb-eo (je dois) dùrm-io (je dors)
déb-es (tu dois) durm-is (lu dors)
déb-et (il doit) dôrm-it (il dort)
deb-[émus] (nous devons) dorm-[imus] (nous dormons)
deb-étis (vous devez) dorm-itis (vous dormez)
déb-ent (ils doivent) dôrm-iunt (ils dorment).
3« CONJUGAISON (J_ere).
véud-o (je vends) sàp-io (je sais)
vénd-is (tu vends) sâp-is (tu sais)
véud-it (il vend) sâp-it (il sait)
vénd-inius (nous vendons) s;ip-iuius (nous savons)
vénd-itis (vous vendez) sàp-itis (vous savez)
vénd-uut (ils vendent) sâp-iunt (ils savent).
DU VERBE. 125
§ 262. — Comme on le voit par le tableau ci-dessus, les
trois Conjugaisons latines dont nous nous occupons se dis-
tinguaient nettement les unes des autres à presque toutes
les personnes de l'indicatif présent. Ces différences ont
disparu en français, surtout parce qu'elles affectaient prin-
cipalement des voyelles atones, qui sont tombées.
§ 263. — Ainsi à la première personne du singulier la
ilexion est constituée uniquement par les voyelles atones
0, eo, io, qui ont disparu, de sorte qu'en principe la pre-
mière personne du singulier de l'indicatif présent est
constituée en français, dans les verbes en re, oir, et en ir
non inchoatifs, par le radical tonique sans aucune flexion :
je part, je vend.
§ 264. — Toutefois le radical peut être modifié, sous
différentes influences, à cette première personne. Nous
avons vu ci-dessus les eff"ets produits dans certains verbes,
dans savoir notamment, par l'e ou i consonniûable des
flexions eo, io. Dans d'autres verbes, la consonne finale
du radical a pu subir une mutation spéciale, parce que,
faute de flexion, elle se trouvait terminer le mot; elle a pu
même tomber complètement. Ainsi le radical tonique de
recevoir esireçoiv (ils reçoive;?^, etc.) ; il devient reçoif à la
première personne de l'indicatif présent.
§ 265. — C'est à une époque relativement récente qu'on
a assimilé la première personne à la seconde dans tous les
verbes, et qu'on a écrit : je parts, je vends, je reçois, je
dois, etc.
§ 266. — Dans les flexions latines « es, is, et, it », les
voyelles atones, e, i, doivent disparaître. Ces flexions se
réduisent donc uniformément à s pour la seconde personne
du singulier, «pour la troisième personne. L's et le t s'ajou-
tent au radical tonique des verbes, quelquefois légèrement
moditié par euphonie. Ainsi les labiales qui terminent les
126 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
radicaux toniques doiv (de devoir), rform (de dormir), sév
(de savoir), disparaissent devant les consonnes de flexion :
tu dois efil doit, tu do7's et il do7H, tu ses (sais) et il sét (sait).
D'autre part, quand la consonne finale du radical est un d
ou un t, elle forme un z avec Ys de la deuxième personne,
et elle se confond avec le t de la troisième. Le radical de
vendre étant « vend », et celui de partir étant « pai^t », on
a : « tu venz (puis tu vens), tu parz (puis tu pars), il vent,
il part ». L'orthographe « tu vends, il vend » est récente.
§ 267. — Si les règles ordinaires de la phonétique ex-
pliquent fort bien la fusion des deuxième, troisième et
quatrième conjugaisons latines en une seule, au singulier
de l'indicatif présent, il n'en est pas de même au pluriel.
Pour le pluriel, c'est l'analogie qui aura le rôle prépon-
dérant.
Si nous prenons d'abord la première personne du pluriel,
il faut remarquer que l'accent est sur la flexion dans
deb-[émus] et dans do7i7î-[imus], et sur le radical dans
vénd-imus et sâp-imus. Nous avons mis les flexions accen-
tuées entre crochets, pour indiquer que les formes fran-
çaises ne viennent pas des formes latines correspondantes.
Nous savons déjà que la flexion uniforme « ons » a été
substituée aux difl'ércntes flexions accentuée ^ de la pre-
mière personne du pluriel (§ 220).
Mais pour les verbes de la troisième conjugaison latine
(véndimus, skpijniis), l'accent tonique restant sur le radi-
cal, au lieu de passer sur la flexion, nous devrions avoir
en français des formes accentuées sur le radical, telles que :
« nous venmes, nous sames ». De môme, et pour la môme
raison, nous devrions avoir à la deuxième personne du
pluriel : « vous ventes, vous sates ». Une assimilation très
ancienne a supprimé ces formes, et on a dit : « nous ven-
dons, nous savons, vous vendez, vous savez » par analogie
DU VERBE. 127
a\'«c « nous devons, nous dormons, vous devez, vous dor-
mez ». Seuls les verbes dire Qi faire ont encore l'accent
sur le radical à la seconde personne du pluriel : vous faites,
vous dites.
§ 268. — La flexion ez appelle une explication. Elle est
identique à la flexion correspondante des verbes en er
(vous portez). Et cependant les flexions latines étaient fort
difîérentes : àtis (première conjugaison), étis (deuxième
conjugaison), itis (quatrième conjugaison). Seul « âtis » a
pu produire « ez » . Etis n'a pu donner que eiz, plus tard
oiz, et itis : iz. Certains dialectes de l'Est ont en effet con-
servé trois flexions différentes pour les trois conjugaisons.
Ailleurs elles ont été réduites à deux : eiz et ez. La pre-
mière appartenait en propre aux verbes dont l'infinitif
était en eir (oir); auo?r étant un de ces verbes, et l'indicatif
présent à'avoir servant à former le futur, le futur de tous
les verbes avait aussi la seconde personne du pluriel en
eiz. Mais l'assimilation s'est complétée assez vite et elle a
abouti à une deuxième personne du pluriel terminée uni-
formément en ez dans tous les verbes.
§ 269. — A la troisième personne du pluriel [à^hent,
àovmiunt, vendwn^, sapmnf) nous avons partout des
voyelles atones (e, iu, u), qui, placées devant deux con-
sonnes (nt), ne doivent pas tomber complètement. Elles
sont représentées dans les formes françaises par un e muet
(doivent, dorment, vendent, sévent). On remarquera qu'il
n'y a pas de différence, pour cette personne, entre les ver-
be=; français en re, oir, ir, et ceux en er.
!^ 270. — Quand la voyelle du radical latin était un a,
et n'était séparée de la lermiruiisou imt que par ime con-
sonne destinée à tomber devant elle (e, b, d), cet a a formé
la diphtongue au avec I'm de la terminaison, et cette
dii)lilongue s'est changée en o comme dans un graml
128 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
nombre d'autres mots. Ainsi vadere (d'où vient l'indicatif
présent de notre verbe a//e?^) faisait à la troisième personne
du pluriel de l'indicatif présent : va{d)unt, qui est devenu
V07U. De même * habunt (forme populaire au lieu du classi-
que habent) a donné ont, et * facunt (au lieu du classique
faciunt) a donné font.
Conjugaison inchoative
§ 271. — On peut prendre comme type de la conjugai-
son inchoative le verbe gemiscere, dont les formes étaient,
à l'indicatif présent :
gemisco, en français je gérais
gemiscis — tu gémis
gemiscit — il gémist, gémit
gem[isc-imus] — nous gémissons
gemfiscitis] — vous gémissez
gemiscunt — ils gémissent.
§ 272. — Les explications que nous avons données pour
les verbes latins en ère nous dispensent d'entrer dans de
longs détails à propos de la conjugaison inchoative. Le c
latin disparaît à toutes les personnes. La première per-
sonne française s'est terminée dès l'origine par une s, qui
est, comme on le voit, étymologique : gemisco. L'accent
tonique latin restant sur la même syllabe à toutes les per-
sonnes, on devrait avoir, en français, aux deux premières
personnes du pluriel : nous gémismes, vous gémistes. Ces
formes ont été modifiées par l'analogie, comme celles du
verbe vendre et autres semblables (§ 267).
V. — Présent du subjonctif.
Conjugaison en er.
§ 273. — Le présent du subjonctif des verbes latins en
are se conjuguait comme suit :
DU VERBE. 429
pôrt-em (que je porte)
p6rt-es (que tu portes)
pùrt-et (qu'il porte)
port-émus (que nous portions)
port-étis (que vous portiez)
pôrt-ent (qu'ils portent). '
§ 274. — D'après les lois générales et particulières de
la phonétique, la flexion de la première personne du sin-
gulier devait tomber entièrement, et il ne devait rester que
l's pour la deuxième et le t pour la troisième (le t, dans le
cas du verbe porter, devait se confondre avec le t final du
radical). Le subjonctif du verbe porter devrait donc être
au singulier : « que je port, que tu porz (ports), qu'il port.
Mais de bonne heure, le subjonctif de la conjugaison en
are a été assimilé à celui des autres conjugaisons (voyez
§ 276 et suivants), et il en est résulté que, pour les verbes
en er, le singulier du subjonctif présent et le singulier de
l'indicatif présent se sont trouvés identiques : port-e,
port-es, port-e.
Aux deux premières personnes du pluriel, on a substi-
tué aux flexions étym9logiques {eins qu'aurait donné
émus, eiz de étis) les terminaisons ans, ez, et plus tard i072S
et iez, qu'on empruntait aux verbes des autres conjugaisons
latines (Voyez ci-dessous § 279). Quant à la troisième
personne du pluriel, le latin portent a donné régulière-
ment le français portent, sans le secours d'aucune assi-
milation.
§ 275. — Parmi les exemples anciens des formes éty-
mologiques du subjonctif présent dans la conjugaison en
er, nous signalerons notamment des troisièmes personnes
du singulier en^, sans e muet : culzt du verbe cu/c/w'er (cou-
cher), demeint du verbe démener, dans la Glianson de Ro-
land. Jusqu'au xvii° siècle on a dit : Dieu vous gart!
130 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS,
Conjugaison en re, oir, ir.
§ 276. — Dans les autres conjugaisons latines, le sub-
jonctif présent offrait les formes suivantes :
2® CONJUGAISON (ère).
respônd-eam (que je réponde)
respônd-eas (que lu répondes)
resp6nd-eat (qu'il réponde)
respond-eâmus (que nous répondions)
respond-eâtis (que vous répondiez)
respùnd-eant (qu'ils répondent).
3^ CONJUGAISON (_L ère).
vénd-am (que je vende)
vénd-as (que tu vendes)
vénd-at (qa'il vende)
vend-âmus (que nous vendions)
vend-âtis (que vous vendiez)
vénd-aiit (qu'ils vendent)
recip-iam (que je reçoive)
recip-ias (que tu reçoives)
recip-iat (qu'il reçoive)
recip-iâmus (que nous recevions);
recip-iâtis (que vous receviez)
recip-iant (qu'ils reçoivent).
4" CONJUGAISON (ire).
pârt-iam (que je parte)
pârt-ias (que tu parles)
pârt-iat (qu'il parte)
parl-iâmus (que nous partions)
part-idtis (que vous partiez)
pàrt-iaut (qu'ils partent).
§ 277. — Sur ces quatre types de flexions, deux étaient
identiques dans le latin classique (parliam, recipiam),
et un troisième (respondeam) s'était identifié aux deux
premiers dans le latin populaire, l'e placé devant une
DU VERBE. 131
voyelle s'étant changé en i : respondeam = respondmw.
Nous choisirons donc l'un de ces trois types, partiam, et
tout ce que nous dirons de partiam s'appliquera à res-
pondeam et à recipiam.
§ 278. — Si l'on compare partiam à vendam on verra
que, au point de vue de la flexion, ces deux subjonctifs
ne difl'èrent que par une lettre, Vide paitiajn, qui est un /'
atone, et qui doit tomber, sauf certaines réserves limitées
à des verbes déterminés (voyez § 177 et suivants). Donc,
en principe, les flexions iam de partiam et amde vendam
doivent produire la même flexion française, un e muet. 11
suffît d'ajouter une au radical du verbe, pour avoir la pre-
mière personne du singulier du subjonctif présent : « que
je part-e,que je vend-e. » De même, à la deuxième et à la
troisième personne du singulier, ias et as produiront es
français, iat et at : et (par un e muet), puis e. Enfin à la
troisième personne du pluriel iant et ant donneront eut.
§ 279. — Aux deux premières personnes du pluriel, Vi
atone se trouve avant la voyelle tonique de « part-iâmus,
part-iâtis » et précède immédiatement cette voyelle. Or,
d'après les lois phonétiques, Vi atone doit exercer une in-
fluence sur l'a tonique qui suit. En règle générale, l'a toni-
que suivi d'une m se change en ai, et non suivi d'une m il
se change en é ; mais par exception, dans les deux cas,
quand il est précédé d'un i, il se change en ié.
Ainsi :
venddmus devait produire vendnins
vcnddtis — vendez
partiâmus — partiens
partidtis — partiez.
On a substitué aux flexions « ains, iens », de la première
personne, la terminaison uniforme ons, tjui tendait à s'in-
troduire partout; mais on a respecté l'i de « partieus », si
132 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
bien que vendains (forme théorique) est devenu vendons, et
partiens (forme dont on a de nombreux exemples) est de-
venu partions. On a donc, d'un côté, « vendons, vendez »,
comme à l'indicatif présent, et d'un autre côté « partions,
partiez ». C'est ainsi du moins que l'on peut expliquer les
premières et deuxièmes personnes du subjonctif en ans, ez,
que l'on trouve dans les anciens textes au lieu de ions,
iez. De très bonne heure il y a eu assimilation, dans les
deux sens, et on a dit : vendions, vendiez, et partons,
partez ; mais ce sont les flexions ions et iez qui l'ont
emporté.
Les flexions subjonctives des deuxième, troisième et
quatrième conjugaisons latines se sont donc confondues,
et nous avons vu qu'elles ont été aussi introduites dans
les verbes dérivés de la première conjugaison.
VI. — Imparfait de l'indicatif.
§ 280. — Les verbes latins avaient l'imparfait en àbam,
ébam ou iebam. Mais les imparfaits en iébam ont été traités
comme ceux en ébam, sous réserve de l'action de Vi sur le
radical (§ 190), ou bien ces imparfaits s'étaient contractés
en îbam. Les trois terminaisons du latin étaient donc : àbam
(verbes en are), ébam (verbes en ère et en _Lere), îbam
(verbes en /re). Elles ont produit des imparfaits en éve,
oie, ive. On trouve aussi une flexion oe, qui correspond,
comme éve, à àbam.
Imparfaits en éve et en oe.
§ 281. — Le verbe latin cantare (chanter) faisait à l'im-
parfait ;
cantâbam (je chantais)
cuntdbas (tu chantais)
cantdbat (il chantait)
DU VERBE. 133
cantabdmus (nous chantions)
cantabdtis (vous chantiez)
cantàbant (ils chantaient).
§ 282. — D'après les lois de la phonétique, ïa toni-
que latin doit se changer en é, Va atone de la flexion
doit être représenté par un e muet, et le b qui suit
la tonique doit se changer en v entre les deux voyelles
(comparez faham qui donne fève). Les formes françaises
doivent donc être : je chantéve, tu chantéves, il chantévet,
chantéve, il(s) chantévent. Aux deux premières personnes
du pluriel, le b, placé avant la tonique, est tombé ; l'e muet
produit par Va atone du milieu du mot s'est trouvé dès
lors en hiatus devant la tonique, et s'est changé en i. Can-
tabdmus est donc devenu chantiens (d'abord en trois syl-
labes) et cantabdtis : chantiez. Puis, à la première personne
du pluriel, on a remplacé ens par la terminaison habi-
tuelle ons, d'oii : chantions. L'imparrait dérivé de la pre-
mière conjugaison latine devrait donc être :
SINGULIER. PLURIEL.
chantéve chantiens, chantions
chantéves chantiez
chantévet, chantéve chantévent.
§ 283. — De ces anciennes formes, le français n'a que
les deux premières personnes du pluriel, dont les flexions,
comme nous allons le voir, sont communes à toutes les con-
jugaisons. L'imparfait en éve a existé et s'est conservé
dans certains patois, mais le français proprement dit a rem-
placé les flexions issues de âbam, par celles qui dérivaient
de ébam (§ 285;.
§ 283 bis. — On trouve aussi, pour ces mêmes verbes,
particuhèremcnt dans la région nord-ouest de la France,
les flexions suivantes, où l'a tonique s'est changé en o
Clédat, 8
134 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
SOUS l'influence de la consonne labiale posttonique h.
SINGUUER.
chantoe
chanloes
chantûut, chantot
PLURIEL.
chantions
chantiez
chantoent.
Imparfaits en oie.
§ 284. — Vendere (vendre) faisait à l'imparfait :
vendébam
vendébas
vendébat
vendebâmus
vendebâtis
vendébant
(je vendais)
(tu vendais)
(il vendait)
(nous vendions)
(vous vendiez)
(ils vendaient).
§ 285. — Ici le b est tombé à toutes les personnes, Ye
tonique s'est changé régulièrement en ei, puis oi, et Ve
muet produit par l'a atone est tombé de bonne heure à la
troisième personne du singulier. Enfin aux deux premières
personnes du pluriel, on a les flexions iens (puis ions) et
iez, que nous avons déjà trouvées dans les imparfaits en éve
et en oe. Soit qu'on les tire directement de ebâmus, ebâtis,
soit qu'on les rattache par l'analogie aux verbes des con-
jugaisons en are ou ire, ces flexions du pluriel présentent
des modifications phonétiques exceptionnelles.
Les formes françaises dérivées de l'imparfait latin en
ébam, sont donc :
SINGULIER.
vendeie, vendoie
vendeies, vendoies
vendeit, vendoit
PLURIEL.
vendiens, vendions
vendiez
vendeient, vendoient.
§ 286. — Plus tard, l'e muet issu de l'a atone latin est
tombé successivement à la deuxième et à la première per-
DU VERBE. 133
sonne du singulier : vendais, vendoi. Puis la première per-
sonne a pris une s finale par analogie avec la seconde.
Enfin oi s'est partout changé en ai.
Imparfaits en ive.
§ 287. — L'imparfait contracte du verbe latin dormire
(dormir) était :
dormîbam (je dormais)
dormibas (tu dormais)
dormibat (il dormait)
dormibdmus (nous dormions)
dormibdtis (vous dormiez)
donnibant (ils dormaient).
§ 288. — Les formes françaises correspondantes doivent
être :
SINGULIER. PLURIEL.
dormive dormions, dormions
dormives dormiez
dormivet, dormive dormivent.
§289. — Ces flexions existent encore dans certains
patois. Mais le dialecte de l'Ile-de-France les a remplacées
dès l'origine par les flexions dérivées de l'imparfait en
ébam, qui sont ainsi devenues communes à tous les verbes
français.
VII. — Futur et conditionneL
Formation du futur et du conditionnel.
§ 290. — Les Latins n'avaient pas de temps spécial
pour exprimer l'idée du conditionnel ; ils se servaient gé-
néralement, à ceteflet, du subjonctif. Quant au futur latin,
il n'a point passé en français. Il avait été remplacé dans le
latin populaire par une péri[)lir.ic(' formée de l'infinitif du
verbe et de l'indicatif présent de l'auxiliaire haùco (j'ai).
136 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
On disait : cantate habeo, mot-à-mot en français chan-
ter ai, c'est-à-dire fai à chanter. Puis, de très bonne
heure, dès le latin populaire, l'auxiliaire s'est soudé à
l'infinitif du verbe, et on a dit : cantaràbeo, d'où le fran-
çais chanterai.
§ 291. — Le futur français se compose donc de l'infini-
tif du verbe, plus ou moins modifié, et soudé à l'indicatif
présent de l'auxiliaire avoir :
chanter-ai
chanter-as
chanter-a
chanter- ons
chanter-ez
chanter-ont.
Comme on le voiL, aux deux premières personnes du
pluriel, le radical de l'auxiliaire est supprimé .• Oîis au lieu
de avons, ez au lieu de avez.
^ 292. —Le conditionnel est formé de même avec l'im-
parfait du même auxiliaire, ou du moins avec les désinence?
de cet imparfait : chanterais, chanlera«s, chanterais, etc.
Le sens primitif de « je chanterais » est donc : « j'avais à
chanter, je devais chanter ». C'est encore la valeur du con-
ditionnel dans les locutions telles que : « je savais qu'il chan-
terait », c'est-à-dire «je savais qu'il devait chanter ».
Ce n'est pas ici le lieu d'examiner comment les diffé-
rentes significations de notre conditionnel sont sorties de
cette valeur première ^
§ 293. — Le futur a donc les désinences de l'indicatif pré-
sent du verbe avoir, et le conditionnel celles de l'imparfait.
Ces désinences ont été suffisamment exphquées ci-dessus.
Mais il nous reste à signaler les modifications que peut su-
1. Voyez sur ce point VAnnuaii'e de ta Faculté des Lettres de Lyon,
vol. 1, fascicalo 2, payes 77 et suiv.
DU VERBE. 137
liir l'infinilif dans la formation du fiiiur et du conditionnel.
§ 294. — L'a tonique de canikre est représenté en fran-
çais par l'e fermé déchanter. Mais dans cmî^amAeo, ce même
a devient atone, et comme il n'est pas à la première syllabe
du mot, il doit se transformer en e muet, conformément aux
lois que nous avons données (§ 15, i"). Dans la formation
du futur de la première conjugaison, Vé de l'infinitif devient
onc muet : chanter (prononcé chanté), mais chanterai.
§ 294 bis. — Les te.Ues du moyen âge offrent souvent,
pour la première conjugaison, des exemples de futurs
contractes, oh l'e muet est supprimé : donraiei même dor-
rai (par assimilation de Vn à l'r) pour donnerai, menrai et
merrai pour mènerai, lairrai pour laisserai. Nous avons
encore une contraction semblable dans : enven-ai.
295. — L'e tonique des verbes latins en e're est de-
venu oi en français : debére = devoir. Ce même e, étant
atone dans deberâbeo, doit tomber ; et en effet on n'en
trouve pas trace dans devrai. De la terminaison oir de
l'inlinitif, il ne reste donc au futur que la consonne r. Avoir
devrait faire et a fait « avrai », qui est devenu aurai par le
changement du v en u, comme dans saurai de savoir. On
trouve quelquefois les formes euphoniques deverai, avérai.
§ 296. — Les verbes en rc changent au futur l'e final
Je rintinitif en ai. On a seulement quelques exemples
de formes toiles que prenderai, metterai, perderai, ven-
derai, avec un e euphonique (ou, peut être, amené par
l'analogie avec les futurs de la première conjugaison).
§ 297. — Quant aux verbes en ir, Vi de l'infinitif doit
régulièrement tomber au futur, car l'i de audire (français :
ouir) est atone dans audiràbeo, et doit disparaître pour la
même raison que l'e de haberkbeo, en français aurai. Le
futur de ouir est donc orrai. De même courir fait courrai,
mourir : mourrai, venir : vendrai, tenir : tendrai. Ces deux
138 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
derniers futurs, où l'on remarque le d euphonique que
nous avons déjà signalé § 215, ont subi une légère modi-
fication : on a substitué a Ve de vendrai, tendrai, la diphton-
gue ie du singuUer de l'indicatif (Voy. § 302).
§ 298. — Mais dans un certain nombre de verbes en
tV, comme mentir, dormir, souffrir couvrir, Vi de l'infinitif,
devenu atone au futur, n'a pas pu tomber complète-
ment, à cause des groupes de consonnes, dont la pronon-
ciation ofl'rait difficulté. Dans ce cas, d'après Ja règle gé-
nérale, Yi devrait être remplacé par un e muet, et on aurait
alors : menterai, donnerai. Mais, sous l'influence de l'infi-
nitif, Vi latin s'est maintenu, et nous disons : dormirai,
souffrirai, etc.
§ 299. — Enfin, même en dehors de la protection des
groupes de consonnes, Vi de l'infinitif de tous les verbes
inchoatifs se maintient au futur, vraisemblablement parce
que ces verbes ont un i à toutes les personnes de tous
les autres temps.
Redoublement de Vr.
§ 300. ^ Certains futurs et conditionnels se terminent
en rrai, vrais, au lieu de rai, rais. Les infinitifs courir et
mourir ayant deux r, il est naturel de les retrouver au
futur : courrai, 7nourrai. Mais les deux r de verrai, cherrai
(de choi)'), pourrai, demandent une autre explication. Les
infinitifs de ces verbes ont été successivement vedeir,
vceir, veoir, voir, — chadeir, chaeir, cheoir, choir — po~
deir, poeir, pooir, pouoir, pouvoir. Le d des formes les
plus anciennes dérive du ^ ou du c? des mots latins cadere,
videre, * potere, et se trouvait aussi dans les formes
les plus anciennes du futur. Le futur primitif de ces
verbes était en drai; puis la première consonne s'est assi-
milée à la seconde, phénomène fréquent dans la phoné-
DU VERBE. 130
tique de toutes les langues, et les futurs en drai sont deve-
nus des futurs en rrai. Ajoutez orrai, de ouir (jadis odir).
§ 301. — Il y a dans la langue des futurs en drai qui ne
sont pas devenus en rrai, parce que cette terminaison élait
précédée d'une consonne (perdrai, fa/drai, vo/drai), cir-
constance qui a protégé le d, même après que la consonne
précédente a été vocalisée et a disparu, comme dans fau-
drai, voudrai.
Pour le futur de vouloir on trouve aussi la forme vour-
rai, qui s'explique par l'assimilation de la consonne finale
du radical {voul) à Vr de la flexion {rai), tandis que dans
voudrai il y a eu intercalation d'un d euphonique entre
les deux consonnes (Voy. § 213 et 214).
Substitution exceptionnelle, au futur et au conditionnel,
du radical tonique au radical atone.
§ 302. — Au futur et au conditionnel, on devrait tou-
jours avoir la voyelle du radical atone. (Pour la défini-
tion du radical atone, voyez § 169 et suivants.) Mais
dans quelques verbes on a substitué à cette voyelle la
voyelle ou la diphtongue du radical tonique ; on dit ^ien-
drai, viendrai au lieu de tendrai, vendrai (qui se confon-
daientaveclesfuturs des xerhQ^vendre, tendre), boirai (sous
l'influence de l'intinitif 6o<re), au lieu de l'ancien bevrai.
L'ancien futur de asseoir était jasserrai; on dit aujour-
d'hui : j'assoirai ou Rassiérai, avec l'un ou l'autre des ra-
dicaux toniques entre lesquels on hésite pour la conju-
gaison de ce verbe (Voyez ci-dessus § 174j.
VIII. — Impératif.
§ 303. — L'impératif latin n'avait que deux personnes,
la deuxième du singulier et la deuxième du pluriel.
Notre impératif singulier dérive de l'impératif singulier
140 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
latin, excepté dans les verbes avoir, être, savoir, vouloir,
où il est tiré du subjonctif.
§ 304. — Or l'impératif latin était en a pour la conju-
gaison en are, et en e ou en i pour les autres : cdnta, réddc,
senti. Les voyelles atones tombant, excepté l'a qui doit
être représenté par un e muet, il en résulte que l'impé-
ratif de la première conjugaison française (qui correspond
à la conjugaison latine en are) se terminera par un e muet
{chante) et que l'impératif des autres verbes se réduira au
radical sans flexion. Nous écrivons aujourd'hui « rends,
sens », c'est-à-dire que nous ajoutons une s au radical (quel-
quefois avec suppression de la consonne finale, comme
dans sens, pars). Cette s est mise là par analogie avec les
secondes personnes des autres temps ; mais on ne la trou-
vait pas dans l'ancienne langue, pas plus qu'en latin ; on
disait et on écrivait : i^end (ou re/i/), sent, part.
§ 305. — Les verbes inchoatifs ont l'impératif en is, ter-
minaison dérivée régulièrement du latin isce.
§ 306. — En dehors de la première conjugaison, on
trouve l'impératif en e muet lorsque le radical du verbe
se termine par des consonnes appelant une voyelle d'ap-
pui : ouvre, offre, etc.
§307. — Quant àla deuxième personne dupluriel, elle est
identique, dans nos verbes, à la même personne de l'indica-
tif présent. Elle ne vient pas de l'impératif latin, qui aurait
donné une forme identique au participe passé; càr portàte
(impératif) el portdtum (participe passé) doivent aboutir à
la même forme française, porté. Nous avons aussi une
première personne du pluriel, qui est identique à la même
personne de l'indicatif présent *.
1. .Mais il faut se rappclei* quo lo subjonctif avait deux formes pour
les deux premières personnes du pluriel: ions, iez^ et aussi, comme
riudicatif, 07is, ez. Ou peut donc supposer que l'impératif se rattache
DU VERBE. 141
§ 308. — Les quatre verbes qui dérivent leur impé-
ratif singulier du subjonctif empruntent au même temps
les personnes du pluriel :
soyons ayons veuillons sachons
soyez ayez veuillez sachez.
Toutefois, dans les deux derniers, on remarquera la sup-
pression de Yi des terminaisons subjonctives lojis, iez
(Voyez la note du § 307).
IX. — Prétérit de l'indicatif.
s; 309. — Le prétérit de l'indicatif se termine en latin
comme suit :
SINGULIER. PLURIEL.
{^'^ iper sonne : l_i _1 imus, *imus
2® personne.* isli _1 sti isùis, _L slis
3« IKr sonne. ■ J_\[. (érunl), *_1 erant, _1 runt.
Ces terminaisons sont précédées de la syllabe av pour
les verbes en are et de iv pour les verbes en ire. Les pre-
miers ont donc au prétérit la flexion avi, et les seconds, la
flexion ivi. Quant aux verbes en ère ou _l_ere., ils ont des
prétérits très divers, en évi, en ui, en si, ou simplement
en i; quand le prétérit est en i ou en si, il arrive souvent
que la voyelle thi radical n'est pas la même qu'aux au-
tres temps du même verbe : f2icio (je fais), feci (je fis).
Prétérit français en ai.
§ 310. — Le prétérit latin en ûvi a donné le prétérit
au subjonctif plutôt qu'à l'indicatif, ce qui expliquerait bien les excep-
tions signalées § 308. Toutefois les verbes faire et dire fout à la
deuxième i)ersonne du pluriol de l'impératif : faites kX. dites, et ces
formes appartiennent exclusivement à liiidicatif présent.
142 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
français en ai, qui s'applique à tous les verbes de la conju-
gaison en er :
SINGULIER . PLURIEL.
eantdvi chantai cantdvimus chantâmes, chantasmes
cantdsti chantas cantdstis chantastes
cantdvit chantât, chanta cantdrunt chantèrent, chantèrent.
§ 311. — L'a tonique de la flexion s'est changé régu-
lièrement en é à la troisième personne du pluriel ; il est
devenu ai à la première personne du singulier, sous l'in-
fluence de ri atone qui termine le mot (Voyez § 724) ; il
est resté a aux deuxièmes personnes des deux nombres
parce qu'il était suivi de deux consonnes (Voy. § 726). Le
maintien de l'a à la troisième personne du singulier et à
la première personne du pluriel s'explique par la chute
ancienne de Yi (cantâv(i)t, cantâv(i)mus) ou par l'influence
analogique des personnes voisines. L's de chantastes s'est
introduite par analogie dans la première personne du
même nombre : « chantasmes. »
Prétérit français en i.
§ 312. — Le prétérit français en i, dérivé du prétérit
en ivi, s'applique à tous les verbes inchoatifs et à i^resque
tous les autres verbes en ?>, et par extension à plusieurs
verbes en re ou même en oir [choir dans l'ancienne langue) :
SINGULIER. PLURIEL.
dormivi dormi dormivimus dormimes
dormisli dormis donnistis dormistes
dovmivit dormit *dormirunt dormirent.
La première personne du singulier a pris ensuite une s
par analogie avec la seconde : je dormis.
Prétérits français dérivés des prétérits latins en evi, ui.
§ 313. — Le prét('rit en évi n'a pas laissé de traces en
DU VERRE. 143
français. Il s'était vraisemblablement confondu avec le
prétérit en ui. Tout au plus peut-on lui accorder une cer-
taine influence sur la formation de ceux des prétérits fran-
çais en us qui ont toujours eu l'accent sur la désinence.
§ 314. — Comme type de prétérit en ni, nous pren-
drons début du verbe debére (devoir) :
SINGULIER.
déhui qui a donné: dui
delûisti — deûs
débuit — deut, dut
PLURIEL.
debûimus qui adonné: deûmes, deûsmes
debûistis — deùstes
débuerunt — deurent, durent.
§ 315. — On remarquera d'abord qu'aux secondes
personnes du singulier et du pluriel, l'accent tonique, qui
devrait être sur le premier i de debiâsti et de debûistis (§ 13^
note 2), a glissé sur Vu qui précède, ou du moins Vu atone
s'est uni à Vi tonique et a formé une diphtongue, mï, qui
s'est ensuite réduite à u. A la troisième personne du pluriel,
l'accent tonique devrait être régulièrement sur le second
e de débuerunt ; mais la langue populaire l'a reculé sur la
voyelle du radical, parce que c'est la place qu'il occupe à
la troisième personne du singulier, et que, dans tous les
autres temps, l'accent tonique a la même place aux troi-
sièmes personnes des deux nombres.
Deûs, deûsmes, deûstes se sont contractés plus tard en
dus, — dusmes, puis dûmes, — dusles, puis dûtes. Enfln ia
première personne du singuliej- s'est assimilée à la seconde :
« je deus, dus » au lieu de « je dui ».
On pourrait croire à priori que ui de debui et u de dé-
buit et débuerunt se sont sim[)lemcnt subslilucs à Ve to-
nique. En réalité, il n'y a pas eu substitution, mais coaibi-
144 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
naison : ui du français dui, u de dut et durent, sont le pro-
duit de la combinaison de Ve tonique latin avec les voyelles
atones ui ou u.
§ 316. — Quand la voyelle tonique était a, la même com-
binaison a produit non pas « ui, u », mais « oi, o ». Le pré-
térit du verbe habére (avoir) nous en offre l'exemple :
SINGULIER.
hàbiii qui a donné oi * [eus par assimilation avec la 2« pars.)
habûisti — oùs, eus, eus
fidbuit — ot<f, oi (eî<< par assimilation).
PLURIEL.
habûlmus qui a donné oùmes, eùsmes, eûmes
habilistis — oùstes, eùstes, eûtes
hdbuerunt — ourent, orent {eurent par assimilaliou).
Dans habûisti, habûimus, habùistis, Va de la première
syllabe s'est changé en o sous l'influence du b ou de Vu
tonique, et cet o est ensuite devenu e.
§ 317. — Sur le modèle de « oi,eûs» se conjuguaient les
prétérits de :
savoir :
je soi,
lu seùs, etc.
taire:
toi
teiis
plaire :
ploi
pleûs
pouvoir .
poi
peùs.
Seiis, teiis, pleiis, peils se sont contractés en sus, tus,
plus, pus. On devrait aussi écrire us pour le verbe avoir;
mais ce verbe a conservé l'orthographe archaïque eus. La
même observation s'applique à toutes les personnes de
$31, toi, ploi, poi d'une part, et de oi d'autre part.
§ 318. — Sur le modèle de « dui, deûs » se conjuguaient
les prétérits de beaucoup de verbes qui n'avaient pas, dans
1. Il importe de remarquer que oi, dans les anciens textes, peut être
aussi la première personne du singulier de l'indicatif présent du verbe
ouh: De môme ot peut signùler « il eut » ou « il entend ».
DU VERBE. 145
le latin classique, le prétérit en ui. Ces verbes avaient donc
subi une assimilation dans la langue populaire :
croire :
je
crui,
tu
creils, etc.
boire :
bui
beùs
croître :
recevoir .
crui
reçui
creils
receûs
lire :
lui
leiis.
Pour crescere (croître), qui a le parfait classique en vi
(crévi), il n'est pas nécessaire de supposer une forme po-
pulaire en ui : la parenté de Vie et du v suffit à expliquer
que C7'évi ait donné le même résultat qu'un prétérit en ui.
§ 319. — Dans tous les exemples que nous venons de
citer, la flexion latine ui était séparée de la voyelle du ra-
dical par une consonne qui est tombée. Dans ténui, prété-
rit de tenére (tenir), la consonne intermédiaire n'est pas
tombée, et Vu atone n'a exercé aucune influence sur la
modification delà voyelle tonique. La forme française dé-
rivée de ténui est « tinc », où. le changement del'e tonique
en i est dû à l'influence de Vi final du mot latin. De même
*vénui, prétérit populaire de venire (venir), a donné vinc.
Les troisièmes personnes de ces deux prétérits sont vint,
tint, pour le singulier, vinrent, tinrent (aussi vindrent, tin-
drent, avec un d euphonique), pour le pluriel. D'après les
lois phonétiques, ces troisièmes personnes du singulier et
du pluriel ne devraient pas avoir i comme voyelle tonique.
Mais elles ont subi l'analogie de la première du singulier.
Aux autres personnes de ces mômes temps, c'est Vi et non
Vu des flexions uisti, uistis, uimus, qui s'est maintenu : tu
venis (et non tu venus), tu tenis, nous venismes, nous ienis-
mes, vous venistes, vous tenistes. Il est facile de comprendre
comment l'analogie a ensuite opéré sur ces formes, changé
tenis et venis en tins, vins, remplacé le c de vinc, tinc, par
Vs habituelle, etc.
Clédat. "
146 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
§ 320. — Dans d'autres verbes, où la flexion latine ut
était séparée de la voyelle du radical par une consonne
qui n'est pas tombée, l'accent tonique s'est porté sur la
flexion à toutes les personnes.
Au lieu de conjuguer:
On a dit:
vcllui (je valus)
valût
valûisti
valûisti
vdluit
valûit
val ùi mus
valûimus
valùislis
valùisLis
mluerunt
valûerunt.
n est résulté, en français,
la conjugaison sui^
SINGULIER.
PLURIEL.
Je valut [valus par assimilation) nous valûmes
Tu valus
vous valustes
Il valut
ils valurent.
Pour la même raison, molui de molere (moudre) a donné :
je molui, moului, tumolus, moulus, etc. Les prétérits de fal-
loir, mourir, courir, se conjuguent de même.
§ 321. — Le prétérit de vouloir se conjugue aujourd'hui
comme celui de valoir. Mais on trouve dans l'ancienne
langue « je voil, il volt », et, à la troisième personne «lu
pluriel, (i volrent, voldrent, voudrent ». Ces formes déii-
vent des formes latines accentuées sur le radical : vôlui,
wûluit, vôluerunt. On a pour le même verbe un autre pré-
térit qui paraît remonter à un prétérit latin en si, tel que
volsi: « je vols, tu volsis, il volst, vous volsistes. »
§ 322. — En général, les verbes français qui ont le pré-
térit en us ont le participe passé en u.
Prétérits dérivés des prétérits latins en si.
§ 323. — Le prétérit du verbe ardere (vieux français
DU VERBE. 147
ardre ou ardoir, qui signifient brûler) se conjuguait ainsi
en latin :
SINGULIER. PLURIEL.
i'^ 'personne : ârsi (ârsimus) arsimus
1<^ -personne : arsisti arsistis
3* personne : ârsit *ârserunt.
Le déplacement de l'accent tonique à la première per-
sonne du pluriel s'explique par une assimilation avec les
autres prétérits et tous les autres temps, où l'accent occupe
la même place aux deux premières personnes du pluriel.
§ 324. — Le prétérit français était :
SL^'GUUER.
PLURIEL.
J'ars
nous arsimes, arsismes
tu arsis
vous ursistes
il arst
ils arstrent.
§ 325. Sur le modèle de « ars, arsis » se conjuguaient
les prétérits des verbes :
sourdre (surgere) : sors,sorsis,sorst,Qic.{^véiév\i\s.i\n:*sursi)
conduire (conducere) : conduis, conduisis, conduist (prétérit la-
tin : conduxi= conducsi)
prendre (prendere) : pris, pî'esis, prist (prétérit Jalin: *prensi)
dire (dicere) : dis, desis, dist (prétérit latin : dixi).
etc.
§ 326. — On remarquera que, dans le prétérit de prendre,
l'e du radical latin {prénsi) s'est changé en i sous l'influence
de Vi final (Je pris), et cet i radical s'est ensuite introduit
par analogie aux troisièmes personnes du singulier et du
pluriel, qui n'étaient pas soumises à l'action d'un i final.
Quant à la deuxième personne du singulier et aux deux
premières du pluriel, où le radical est atone, elles ont
régulièrement un e : « presis, presistes ». Cette alternance
de Vi et de l'e se retrouve aux mêmes personnes dans le
prétérit du verbe dire {dis, desis, etc.).
148 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
§ 327. — Pour tous ces verbes, on trouve des troisièmes
personnes du pluriel en strent : distrent, conduisirent,
pristrent, etc. Le ? a été introduit par euphonie entre l'a?
(ou s) et IV du latin : dix[e)runt, condux[e)runt, etc. Mais
l'euphonie pouvait aussi être obtenue par la suppression
de l'une ou l'autre des deux consonnes primitives ; on
pouvait dire : sent ou rent, au lieu de strent. Ces terminai-
sons se rencontrent en effet, et c'est la seconde qui s'est
conservée dans le français proprement dit : ils dirent,
prirent, conduirent (remplacé ensuite par condui-
sirent).
§ 328. — Après avoir dit « j'ars, tu arsis, — je conduis, tu
conduisis », on a dit, en assimilant la première personne
à la seconde, et par imitation du prétérit des verbes en ir :
« ]arsi (ou arsis), tu arsis, — je conduisi (ou condui-
sis), iu co7iduisis », et aussi, par conséquent: « il arsit
(au lieu de arst), ils arsirent, — il conduisit, ils condui-
sirent ».
§ 329. — Il semble qu'on aurait dû avoir de même :
« je desis » pour le verbe rf/re, « je presis » pour le verbe
prendre. Mais ces verbes ont subi une autre assimilation.
On les a rapprochés du prétérit du verbe voir, qui est :
« je vi, tu veis » (Voy. § 334). Par analogie avec « tu veïs »,
on a dit : « tu preis » au lieu de « tu presis », et « tu deïs »
au lieu de « tu desis ». Et toutes ces formes se sont ensuite
contractées en : « tu vis, tu pris, tu dis. » Au pluriel, on
a eu aussi : « nous preïmes, nous deimes » puis « nous
primes, nous dimes », et « vous preistes, vous déistes »
puis « vous pristes, vous distes ». ^
§ 330. — Le verbe prendre a une autre forme de
prétérit, qui est «je prins ». On a nasalisé la voyelle de
« je pris », par imitation des formes d'autres temps où la
voyelle tonique de ce verbe est nasalisée (prendre, il
DU VERBE. 149
prend, etc.). On peut aussi voir dans « je prins » l'in-
fluence des prétérits de venir et de tenir.
§ 331. — Parmi les verbes qui ont le prétérit latin
en si, et qui ont subi l'analogie de « tu veïs », il faut ran-
ger : rire (prétérit latin risi), qui a fait « tu reis » puis « tu
ris », au lieu de « tu resis » ; — occire (prétérit latin *occi-
si), qui a fait « tu oceïs » ; — mettre (prétérit latin misi),
qui a fait : « tu meïs; » — asseoir (prétérit latin * assesi),
qui a fait : « tu asseïs » ; — quérir (prétérit latin qusesii),
qui a fait : « tu queis ».
§ 332. — Les verbes en aindre, eindre, oindre, avaient
chez les latins le prétérit en xi, et auraient dût être traités,
pour ce temps, comme conduire. Prenons comme exemple
le \erhe plaindre {\aX\n plange^^e, i[ir éléril plmixi). Le pré-
térit de plaindre était en vieux français : « je plains, tu
plainsis, il plainst, nous plainsimes, vous plainsistes, ils
plainstrent ou plainrent. » L'assimilation ordinaireaurait dû
produire ensuite : « je plainsis, il plainsit, ils plainsirent. »
Ces flexions ont été en effet substituées aux anciennes,
mais le radical a été en outre modifié, et rapproché du
radical de « plaignons, plaignent, plaignais ». On a dit :
« Je plaignes, tu plaignis, etc. »
§ 333. — On a aussi modifié le radical au prétérit du
verbe écrire, qui est devenu escriv/s au lieu de escresïs.
Prétérits dérivés des prétérits latins en i.
§ 334. — Le type des prétérits en i est celui du verbe
videre (voir) :
vieil a donné vî (veis, vis, par assimilation)
vidisti — veïs, veis, vis
vidit — vit
vidimiis — vevnes, veismes, vismcs
vHistis — velstes, vistes
viderunt — virent.
loO GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
§ 335. — Les prétérits de nascere (naître) et vivere
(vivre) doivent être considérés comme étant en i, et non
en si. Car *nâxi, qui équivaut à ndksi, était devenu, par
une métatlîèse dont on a d'autres exemples *, nàski. De
même vîxi était devenu viski. Les secondes personnes
« naskisti, viskisti » ont donné en français nasquis, vesquis.
Par analogie, ou a dit aussi : « je nasquis, il nasquit, ils
nasquirent, » et « je vesquis, il vesquit, ils vesquirent. »
Ces formes analogiques se sont produites de très bonne
heure. On a ensuite, pour le prétérit de vivre, substitué la
flexion us à la flexion is.
§ 336. — Le prétérit du verbe faccre (faire) était aussi
en i : feci. Mais sous l'influence de Vi terminant le mot, le
caproduitune s, en même temps que l'e tonique se changeait
en i ; la première personne de ce prétérit était donc en fran-
çais « fis », forme tout à fait semblable à pris, mis, dis, etc.
On en a tiré, par analogie, les troisièmes personnes fist et
firent. Quant à la deuxième personne du singulier et aux
deux premières du pluriel, elles ont subi l'analogie du pré-
térit de voir, et sont ainsi devenues : fe'ls, feimes, feistes.
Prétérits se rattachant à dedi.
§ 337. — Le verbe latin dare, qui signifiait donner, et
qui n'a pas laissé de mot français, faisait au prétérit e?ec?t. Ce
prétérit aurait produit en français les formes suivantes :
dédi (je) di (et non dié, à cause de Vi final)
dcdisti (tu) dcîs, dis
dédit (il) diet
dedîmiis (nous) dames, dîmes
dcdistis (vous) dcîstes, distes
déderunt (ils) diérent.
1. Lazare, prononcé /a/ware, a donné iaisser. Le même mot, prononcé
laskarc, a donné tascher.
DU VERBE. ISl
§ 338. — Or, si le simple dare a disparu, des composés
tels que perdere [= perdare) ont produit des verbes
français. En latin classique, perdere faisait au prétérit
pnrdidi ; mais le peuple disait perdédi, rétablissant dans
le composé les formes du simple. On comprend dès lors
que le prétérit français de perdre ait pu être : « je perdt,
tu perdes, il perdiez, nous perd/mes, vous perdisses, ils
\)(\Tàiérent . » En somme, ce sont les mêmes flexions que
pour les verbes en ér, sauf aux deux troisièmes personnes:
perdee^, perd/ere?7f. Mais, par analogie a\ec perdiet, on a
dit aussi, à la deuxième personne du singulier, perdies.
Ces flexions se retrouvent dans plusieurs verbes dérivés de
verbes latins en dere (français dre) : respondiet (de respon-
dre), descendiet (de descendre), espMidiet (de espandre\
entendiet (de entendre), etc. Elles ont même été appliquées
à d'autres verbes, par exemple à rompre qui a fait rom-
piet. Tous ces prétérits ont été ensuite assimilés à ceux
des verbes en ir.
X. — Imparfait du subjonctif.
§ 339. — L'imparfait du subjonctif français dérive da
plus-que-parfait latin ; or le plus-que-parfait du subjonc-
tif latin se formait sur le prétérit de l'indicatif. Il doit
donc y avoir un rapport direct, en français, entre le pré-
térit de l'indicatif et l'imparfait du subjonctif.
§ 340. — En effet, pour avoir l'imparfait du subjonctif,
il suffit de cbanger :
Pour la première conjugaison : ai du prétérit en asse ,
pour les autres conjugaisons : us ou is du prétérit en usse
ou en isse.
^ 340 his. — Pour les verbes qui, dans l'ancienne lan-
gue, avaient à la deuxième personne du prétérit une syl-
labe de plus qu'à la première (pris, presis; vi, veïs, etc.),
152 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
rimparfait du subjonctif se rattache à la deuxième per-
sonne du prétérit, et s'est modifié comme elle : pt'esisse,
puis preisse, puis/)r/sse,' veïsse, puis visse, etc.
§ 341. — Les flexions de personnes, pour le plus-que-
parfait du subjonctif latin (imparfait français), étaient les
mêmes à toutes les conjugaisons. Prenons pour exemple
un verbe de la conjugaison en are:
cantdssem a donné chantasse
cantdsses — chantasses
cantdsset — chantast, chantât
cantassémus — chantassions
cantassétis — chantassiez
cantdssent — chantassent.
Les flexions de personnes sont donc en français : e, es, t,
ions^ iez, eut.
Remplacez Va de asse, asses, etc., par un u ou un r, sui-
vant que le verbe a le prétérit en us ou en is, et vous aurez
les différentes conjugaisons :
Valoir, prétérit valus, imparfait du subjonctif: valusse,
valusses, valust [puis valût), valussions, valussiez, valussent.
Ouïr, prétérit ouïs, imparfait du subjonctif : ouïsse,
ouïsses, ouïst, ouissio7is, ouissiez, ouïssent.
§342. — Aux deux premières personnes du pluriel, les ter-
minaisons « ions, iez » ne dériventpas du latinémws, étis, mais
ont été empruntées au présent du subjonctif. Quant à Ve
muet des deux premières personnes du singulier, il est aussi
le produit d'une analogie avec le subjonctif présent, à moins
qu'on ne l'explique à la deuxième personne par le groupe
des trois s, et à la première par l'analogie de la seconde.
XI. — Le temps archaïque dérivé du plus-que-
parfait latin.
§ 343. — Nous exprimons l'idée du plus-que-parfait par
DU VERBE. 1K3
un temps composé du participe passé et de l'auxiliaire
avoir à l'imparfait. Les latins exprimaient la même idée
à l'aide d'un temps simple, qui a passé d'abord dans le
français, mai? qui en a bientôt disparu. Ce temps français
avait d'ailleurs perdu le sens du plus-que-parfait ; il paraît
avoir fait double emploi avec le prétérit.
§ 344. — Pour avoir la forme du plus-que-parfait latin,
il suffit de prendre la première personne du prétérit, de
substituer er à i, et d'ajouter, comme flexions de personnes,
les terminaisons de l'imparfait : am, as, a^ pour le singulier;
amus, atis, ant, pour le pluriel. Ainsi aux prétérits en àvi
correspondent des plus-que-parfaits en clveram, avéras, etc.,
aux parfaits en si, des plus-que-parfaits en seram, etc.
§ 345. — Il y a une personne du prétérit dont la flexion
se rapproche de la flexion correspondante du plus-que-
parfait, au point de se confondre avec elle ; c'est la troi-
sième du pluriel. Ainsi le verbe dicere (dire) faisait à cette
personne * dixerunt pour le prétérit, et dixcrant pour le
plus-que-parfait. Or l'aetl'Matones de «dixcrant, dixerunt»
doivent être également représentés par un e muet français .
On aura donc en français, dans les deux cas, « dirent ».
i; 346. — Ainsi la troisième personne du pluriel du
temps produit par le plus-que-parfait latin se termine en
renf, correspondant au latin 7'ant, et de cette personne on
peut facilement déduire les autres. Si rent correspond à rant,
A la f"^ personne du singulier re correspondra à ram
— 2" — — res — ras
— 3" — — ret, re — rat
— 1"^^ personne du pluiiel 7'ons — r[amus]
— 2" — — rez — ratis.
^ 347. — En résumé, on aura la troisième personne du
pluriel de ce temps archaïque en prenant la même per-
sonne du prétérit, et on aura les autres personnes du même
134 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
temps en substituant à rent, suivant les personnes, re, res,
■>'et^ 7'ons ou rez. « Jefire » est le plus-que-parfait de faire.
LA CONJUGAISON DU VERBE « ÊTRE »
Infinitif.
§ 348. — L'infinitif du verbe « être » était en latin clas-
sique ésse. C'était le seul infinitif ne se terminant pas en re.
Mais le latin populaire avait fait disparaître cette anoma-
lie, en disant : éssere. C'est de « éssere » que vient le fran-
çais « estre », puis « être ».
Participe présent et participe passé.
§ 349. — Les participes de notre verbe être dérivent
des participes du verbe latin stare, dont le sens propre
était : « se tenir debout. » Slantem a donné estant, puis
étant; statum : esté, puis été. Il faut remarquer que stare
avait produit le verbe français ester, qui s'est conservé jus-
qu'à nos jours dans la langue juridique, et que les parti-
cipes « estant, esté » appartenaient à la fois à ce verbe ester
et au verbe eslre. Les participes de ces deux verbes sont
distincts aujourd'hui, parce que Vs s'est maintenue, sous
une influence savante, dans l'orthographe et dans la pro-
nonciation de toutes les formes du verbe ester [estant, esté),
tandis qu'elle est tombée dans les formes du verbe être
[étant, été).
Indicatif présent .
§ 350. — L'indicatif présent du verbe ésse était en latin :
SINGULIER. PLURIKL.
sum (Je .suis) sûmus (nous sommes)
es (lu es) cdis (vous êtes)
est (il est) sunt (ils sont).
DU VERBE. 133
§ 351. — A la première personne du singulier, le latin
populaire disait aussi « sui », par analogie avec le parfait
« fui » (Voyez ci-dessous § 360). C'est de cette forme que
vient le français suis, dabord sut. L's finale a été ajou-
tée à l'époque oîi on l'a donné une s aux premières per-
sonnes de l'indicatif présent, par analogie avec les se-
condes (§ 265).
Les autres personnes sont, en vieux français, es, est, somes
ou sommes, estes, sont. A la seconde personne du singulier,
on trouve quelquefois ies au lieu de es.
Subjonctif présent.
§ 352. — En latin classique, le subjonctif présent du
verbe esse offrait les formes suivantes : sim (que je sois),
sis (que tu sois), sit, simus, sitis, sint. Mais, en latin popu-
laire, on disait « *siam » au lieu de « sim », par analogie
avec les nombreux subjonctifs en am. On conjuguait
donc :
SINGt!LIP:R.
fo personne siam qui a donné seie, soie
2^ — sîas — seies, soies
3® — siat — seiet, seit, soit
PLURTFX.
4" personne sidmjis qui a donné seiens, soiens, soijons
2"^ — sidtis — seiez, soyez
3" — siant — seient, soient.
L'e muet des formes du singulier a disparu, comme dans
les flexions de l'imparfait (§ 286), et la première personne
a été assimilée à la seconde.
Imparfait de l'indicatif . i
§ 353. — L'imparfait de l'indicatif était en latin :
lo6 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
SINGULIER.
1''^ personne éram qui a donné iére,ère
2^ — éras — ières, ères
r,^ . ^ i ièj'et, ière, iert
\ prêt, ère, ert.
PLURIEL.
3^ personne érant qui a donné iérent.
La première et la seconde personne du pluriel étaient
trdrnus, erâtis, et ont dû donner des formes françaises telles
que erons, erez, ou erions, eriez, avec les flexions ordinaires
de l'imparfait; mais on n'en rencontre pas d'exemple.
§ 354. — En même temps que ]ière ou j'ère, on disait
aussi : « yesteie, estot'e, tu esteies, estoies, etc. » Ce sont
les formes d'oii dérive notre imparfait actuel. Elles n'ont
pas été empruntées à l'imparfait du verbe ester, comme
on l'a cru longtemps, mais elles ont été créées d'après le
radical est de l'infinitif estre, auquel on a ajouté les
flexions ordinaires de l'imparfait.
Futur et conditionnel,
§ 355. — Le futur était en latin :
SINGULIER.
1" personne éro qui a donné ier
2« — éris — iers
3® — érit — iert, ert
PLURIEL.
1" personne érimus qui a donné ermes
2« — érit i s — ertes
3^ — érunt — iérent.
On aura remarqué (§ 353) que la troisième personne du
singulier de l'imparfait était aussi quelquefois iert ou ert.
DU VERBE. 137
D'autre part, on trouve aussi ières, comme à l'imparfait, au
Jieu de iers, pour la seconde personne du futur.
§ 356. — Le futur populaire, composé de l'infinitif
*essere et de habeo, esscrâbeo, aurait dû donner en français
estrai. On trouve en effet cette forme, et aussi esterai.
L'une et l'autre peuvent d'ailleurs être rattachées au futur
d'ester.
§ 357. — Enfin un troisième futur, le plus usité, est
celui qui s'est conservé : serai, seras, etc. On y a vu une
dérivation irrégulière de esserdbeo, avec chute exception-
nelle de la première syllabe. Plusieurs autres explications
ont été proposées ; aucune ne nous paraît satisfaisante.
§ 358. — Les conditionnels, qui correspondent aux fu-
turs estimai et serai, sont : estreie, estroie, qui serait devenu
étrais, s'il s'était conservé, et sereie, seroie, devenu serais.
Impératif, '
§ 359. — L'impératif « sois, soyons, soyez » est em-
prunté au subjonctif.
Prétérit de l'indicatif et imparfait du subjonctif
§ 360. — Si l'on prend les flexions des prétérits en ui,
et si on les fait précéder d'une f, on obtient le parfait du
verbe esse: « fui, fuisti, fuit, fuimus, fuistis, fuerunt ». Les
formes françaises correspondantes sont :
SINGULIER.
PLURIEL.
je fui
nous fumes
tu fus
vous fustcs
i\fut
ils furent.
§ 361. — Le plus-que-parfait du subjonctif étnit en
latin : fiiisscm, fuisses, etc., formes qui ont produit l'im-
parfait français : fusse, fusses, fust, etc.
158 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
CHAPITRE X
DES MOTS INVARIABLES
§ 362. — Dans la partie de la grammaire consacrée aux
flexions, il n'y a pas lieu, en principe, de parler des mots
invariables, puisque ces mots sont, par définition, privés de
flexions. Toutefois un certain nombre d'entre eux ont une
terminaison commune caractéinstique, qui équivaut à une
flexion; d'autres sont composés de mots variables et ont
participé, dans une certaine mesure, à la variabilité des
mots composants. Telle est la nature des faits que nous
devons signaler ici en quelques mots.
L's adverbiale.
§ 363. — Beaucoup d'adverbes français se terminent
par une s que ne justifie pas toujours leur étymologie;
ainsi onques, qui vient de miquam, ores qui vient de ad-
horam. On a dit que cette s avait été empruntée à quelques
adverbes dérivés d'adjectifs latins au datif pluriel et où,
par conséquent, l's était étymologique, comme volotitiers
de voluntariis. Quelle que soit la valeur de l'explication,
il faut considérer cette s comme une sorte de flexion adver-
biale, que la langue populaire a souvent ajoutée aux
adverbes de toute origine.
Modifications intérieures subies par les adverbes en ment.
§ 364. — Nous avons dit (§ 10) que les adverbes en mem
se composaient d'adjectifs au féminin, soudés au mot 7nent,
qui signifie : « d'une manière. » Or, nous avons vu que, à
l'origine, beaucoup d'adjectifs ne prenaient pas d'c au fémi-
nin. 11 en résultait des adverbes tels que : loyalmenl ou
DES MOTS INVARIABLES. ili9
loyaument, gramment (grand-ment), etc. Lorsque ces
adjectifs ont reçu, par analogie, une forme féminine avec
e muet, on a introduit ce nouveau féminin dans les adverbes
en ment, et on a dit : « loyalement, grandement. » Toute-
fois nous disons encore : plaisamment (plaisant- ment) et non
plaisantement ; savamment (savant-ment), et non savan-
tement, etc.
Formes contractes où entre l'adverbe en.
§ 365. — L'adverbe en s'était combiné avec certains
mots, et avait produit ainsi des formes contractes, telles
que sin pour si en (ainsi en), quin pour qui en.
L'interjection hélas!
§ 366. — « Hélas! » se compose de l'interjection hcf et
de l'adjectif las. Entendez : « Hé ! Las (malheureux) que je
suis! » On ne s'étonnera donc pas de trouver la forme
féminine hélasse, mise dans la bouche d'une femme.
Aujourd'hui, las, dans cet emploi, est devenu invariable.
On le trouve aussi joint à d'autres interjections que « hé » '■
h a la s!
SYNTAXE
§ 367. — La première partie de la grammaire étudie
les flexions de la langue en elles-mêmes. La syntaxe (mot
qui signifie arrangement) examine :
d° L'emploi des flexions et des mots invariables; c'est la
syntaxe particulière ;
2° L'ordre des mots dans les propositions et des propo-
sitions dans le discours ; c'est la syntaxe générale.
§ 368. — On doit aussi faire entrer dans la syntaxe l'é-
tude des locutions dites idiotismes. Ce sont celles qui ne sau-
raient être traduites littéralement dans une langue étran-
gère, parce que les mots qui les composent ont pris, lors-
qu'ils sont réunis, une valeur particulière qu'ils n'ont plus
lorsqu'on les emploie avec d'autres mots. Ces locutions
changent de nom suivant les langues : en latin ce sont des
latinismes, en grec des héllénismes, en français des galli-
cismes. Nous parlerons donc en troisième lieu des vieux
gallicismes.
PREMIERE PARTIE
SYNTAXE PARTICULIÈRE
REMARQUES COMMUNES AUX NOMS, ADJECTIFS
ET PRONOMS ; EMPLOI DES CAS
I. — Cas sujet et cas régime.
§ 369. — Se mettent au cas sujet : 1° le sujet et l'attri-
but; 2° les articles ou adjectifs qui se rapportent au sujet
ou à l'attribut.
Se mettent au cas régime : 1° le régime, qu'il dépende
du verbe ou d'un autre mot, et par conséquent après toutes
les prépositions; 2" les articles ou adjectifs qui se rap-
portent au régime.
On disait : « mes amis est arrivez, mais «j'ai rencontré
mon ami », ou «j'ai écrit à mon ami »; «mi ami sont arrivé»,
mais : «j'ai rencontré mes amis )),ou « j'ai écrit âmes amis. »
§ 370. — Voici quelques exemples pour chaque cas :
Cas sujet singulier.
Chanson de Roland: « Guenes li quens s'en vait a sun
ostel. » Traduisez : « Ganelon le comte s'en va à son
hôtel. »
Cas régime singulier.
Ibidem : « Par le puign tint le cunte Guenelun. » En fran-
çais moderne : « Par le poing il tenait le comte Ganelon. »
Ibidem : « Cil out fiance del cunle Guenelun. » En fran-
çais moderne : « Celui-ci reçut la f<ji du comte Ganelon. »
162 . GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Cas sujet pluriel.
Joinville : « Tuit H baron de France furent si troublci... »
Traduisez : « Tous les barons de France furent si trou-
blés... »
Cas régime pluriel.
Chanson de Roland : « Ses barons mandet, » c'est-à-dire :
« Il mande ses barons. »
Joinville : Dariere li ne demoura de touz chevaliers ne de
toîiz serjans, que Messires Geffroysde Sergines. » Traduisez :
« Derrière lui il ne demeura de tous[les) chevaliers et de tous
(les) sergents que Monseigneur Geoffroy de Sargines. »
Le commencement d'un psaume célèbre, « Le Seigneur
dit à mon Seigneur, » doit être traduit, en vieux français :
« Ll Sii^e dist à mon Seigneur. »
§ 371. — Le cas sujet s'employait encore là où les latins
auraient mis le vocatif, c'est-à-dire pour adresser la parole
à quelqu'un :
Chanson de Roland : « Ço dist li reis : Gitenes, venez
ovant. » Traduisez : « Le roi dit : Ganelon, avancez. »
Joinville: « Chiers sire, je vous faiz à savoir... » Tra-
duisez : « Cher seigneur, je vous fais savoir... »
Chanson d'Aliscans : « Dist à ses homnes : Segneur, or
i parra... » Traduisez: « Il dit à ses hommes: Seigneurs,
maintenant on verra... »
Le cas sujet-vocatif « sire », qui est devenu un substantif
indépendant, est resté toutefois jusqu'à nos jours vocatif de
seigneur quand on s'adresse à un souverain. Corneille :
« \hl sire, écoutez-nous. )>
II — Ellipse des prépositions de et à devant le cas
régime.
S 372. — Devant le cas régime, l'ancienne langue sup-
SYNTAXE DU NOM. 163
prim ait souvent le de possessif. On disait : « Li fils Pierre,
li homme le roi, » pour « le fils de Pierre, les hommes du
roi. »
Chanson de Roland : « Gefreiz d'Anjou, le m gunfanu-
niers. » Traduisez : « Geoffroi d'Anjou, du roi gonfalonier,
gonfalonier du roi. »
Joinville: « Après la bataille le conte de Flandres... »
Traduisez : « Après le corps de bataille du comte de
Flandres... »
Nous disons encore : « Hôtel-Dieu, Fête-Dieu, » pour
« hôtel de Dieu, fête de Dieu. »
§ 373. — On pouvait aussi supprimer devant le cas ré-
gime la préposition à marquant le régime indirect :
Chanson de Roland: « Ne placet Deu, ne ses seinz ne ses
angles... » Traduisez : « Ne plaise à Dieu, ni à ses saints ni
à ses anges... »
Joinville : « Pour mes chevaliers donner à mangier. »
Traduisez mot à mot : « Pour à mes chevaliers donner à
manger; » c'est-à-dire : « Pour donner à manger à mes
chevaliers. »
Nous disons encore : « Dieu merci, » c'est-à-dire « merci
à Dieu, j'en dis merci à Dieu. »
CHAPITRE PREMIER
SYNTAXE DU NOM
GENRE FRANÇAIS DES NOMS NEUTRES EN LATIN
§ 374. — C'est le masculin qui est considéré, en français,
comme représentant le neutre latin. Aussi les mots neutres
latins que les savants et lettrés ont jnlroduits dans la
langue française sont-ils tous masculins : signe, animal.
164 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
cadavre, etc. Mais nous avons vu que, parmi les mots popu-
laires àér'wés des neutres latins, quelques-uns étaient fémi-
nins : joie, arme, etc. (§ 60). Le mot évangile était aussi
féminin, et Boileau l'emploie encore avec ce genre :
L'évangile au chrétien ne dit en aucun lieu :
Sois dévot; elle dit : sois doux, simple, équitable.
Mais sous une influence savante, ce mot, qui était neutre
en grec et en latin, a pris le genre français correspondant,
le masculin.
NOMS FÉMININS DE LA DEUXIÈME DÉCLINAISON
LATINE
§ 375. — Les noms féminins de la deuxième déclinai-
son latine, qui presque tous étaient des noms d'arbres,
sont devenus masculins en français : orme, frêne, pin,
myrte, etc.
NOMS LATINS EN « OR, OREM »
§ 376. — Presque tous les noms latins en or, orem, sont
masculins. Ils ont produit cependant des mots français qui
sont tous féminins à l'origine. Ces mots se terminent en
eur, sauf amour : honneur, humeur, valeur, ardeur, etc.
Au xvi^ siècle, on leur a rendu le genre qu'ils avaient en
latin ; mais le féminin a définitivement prévalu, sauf pour
honneur, labeur et amour. Encore « amour » est-il féminin
au pluriel.
RÈGLE GÉNÉRALE DU GENRE PRIMITIF DES NOMS
EN FRANÇAIS — C.\USES DE VARIATION
§ 377. — Ces réserves faites, on peut dire que les noms
français ont conserve en principe le genre des noms latins
correspondants. Quant aux mots de formation française.
SYNTAXE DU NOM. 165
ils ont pris le genre des mots de formation latine qui
avaient, le même suffixe.
§ 378. — Mais un bon nombre de mots français qui, à
l'origine, étaient masculins, sont devenus féminins, ou
vice versa, et les uns ont conservé leur nouveau genre, les
autres ont vu reparaître l'ancien. Souvent on trouve le
môme nom employé tantôt comme masculin, tantôt comme
féminin, sans qu'on puisse en général établir une diffé-
rence de sens entre les deux emplois ; quelques-uns sont
restés dans la langue actuelle avec les deux genres, mais
on a séparé les genres par des nuances de signification
(couple), ou bien l'un des deux est réservé au pluriel,
l'autre au singulier (orgue, délice).
§ 379. — Cette variabilité de genre, quelquefois encore
inexpliquée, est en grande partie attribuable aux termi-
naisons : on était tenté de faire masculins les noms fémi-
nins qui ne se terminaient pas par un e muet, et de faire
féminins les masculins qui avaient une terminaison fémi-
nine. Et les mots qui étaient le plus exposés à changer de
genre étaient ceux qui commençaient par une voyelle,
parce que devant ces mots, qu'ils soient masculins ou
féminins, l'article défini ou indéfini et l'adjectif démons-
tratif ou possessif ont la même prononciation, sinon tou-
jours la même forme. Comparez : l'ouvrage et l'oreille, un
ouvrage et une oreille (un' oreille), cet ouvrage et cette
oreille (cet' oreille), son ouvrage et son oreille. Les mots
commençant par des consoimcs étaient protégés contre le
cliangement de genre par la différence des articles et des
adjectifs démonstratifs : le bois, la foi, etc.
§ 380. — Enfin certains noms féminins ont pu devenir
masculins sous l'influence de l'idée neutre ou masculine
• lu'ils exprimaient. L'ancienne langue disait « la men-
songe » . Mais ce mot exprime le fait de mentir, « le men-
166 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
tir » comme on dirait, si mentir pouvait s'employer sub-
stantivement. De là le changement de genre. De même
personnes, été fait masculin quand on a voulu désigner un
homme, aigle est devenu masculin quand on a voulu dési-
gner l'animal mâle ou l'animal sans distinction de sexe.
LISTE DE NOMS A GENRE VARIABLE
§ 381. — Nous donnons ci-après, par ordre alphabé-
tique, une liste de noms qui se trouvent dans les textes du
moyen âge avec un genre différent du genre actuel :
— Affaire. Ce mot, qui se compose de la préposition à et de
rinflnitif faire, a été d'abord masculin :
Vilkhardouin : « Vous avez empris le plus grant a faire et le
j>\\is perilleus que onques mais gent entrepreïssent. «
— Amour est toujours féminin au moyen âge (Voyez ci-
dessus § 376) :
Chanson de Berthe: « De mauvaise maraslre est Vamour moût
petite, »
— Art est quelquefois féminin (genre latin) :
Roman de Roland : « Barbarins est e mult de maies arz. »
Mot à mot : « Il est de Barbarie et beaucoup de mauvaises
arts, » c'est-à-dire « de très mécbantes mœurs. »
— Comté. Il y avait au moyen âge deux formes pour ce mol:
conté (suffixe lalin dtum) .éiail masculin, et conleé (suffixe latin
itdtem) était féminin. Le genre de contcé a été souvent attribué
à conté. C'est ainsi que nous disons encore : « la Franche-
Comté. »
— Dent est quelquefois masculin (genre latin):
Chanson des Saxons : « Les danz menus et blanz. »
— Doute (substantif verbal de douter) est souvent féminin :
Joinville: « Car nulle templacion ne nulle douce je n'ai dou
sacrement de l'autel. » Traduisez: «Car je n'ai nulle tentation
ni nul doute sur le sacrement de l'autel. »
— Duché est souvent féminin, pour la même raison que
comté.
— Espace (neutre en latin) est souvent féminin :
Froissart : « Quand on l'eut regardé une espace, « C'est-
SYNTAXE DU NOM. 167
à-dire : <■<■ Quand on l'eut regardé un espace de temps. »
— Exemple (neutre en latin) est féminin sous la forme essam-
ple dans la Chanson de Roland : « Malvaise essample n'en sera
ja de mei. » C'est-à-dire : « Mauvais exemple ne viendra jamais
de moi. »
— Fourmi est le plus souvent masculin :
Brunetto Lutino : « For/)u's est pelite chose ; mais il est de
grant porveance. » Mot à mot : « Le fourmi est petite chose,
mais il est de grande prévoyance. »
— Guide était féminin dans l'ancienne langue (et l'est en-
core dans le sens de lanière de cuir) :
Commynes : « On demanda la guide à ceux qui conduisoient
les enseignes... et chascun respondit: Je n'en ai point. »
Le mot est aussi féminin au xvii« siècle. Voyez Molière (Sga-
narelle) :
« La guide des pécheurs est encore un bon livre. »
Dans le sens de « homme qui guide », l'ancienne langue em-
ployait tantôt le féminin guide, tantôt un mot masculin qui
était guis (cas régime : guion).
— Honneur. Comme « amour», honneur est du féminin au
moyen âge:
Roman de Berthe : « Quand de si haute honneur, je suis cheiie
en la boue. »
— Image (féminin en latin) se (rouve quelquefois masculin :
Oresme : a Sachent les autres faire beaux images. »
— Labeur. Comme « amour » et « honneur », labeur est du
féminin au moyen âge (Voyez § 376),
Chrétien de Troyes : « la n'iert perie ina labours; » c'esl-
à-dire : « Mon labeur ne sera point perdu. »
— Malice est quelquefois masculin :
FroissaiH: « Et tant fit par son subtil malice et engin que... »
— Mensonge a été d'abord féminin :
Cornmyncs : « Une plus belle mensonge. » Le peuple dit en-
core « une mensonge ».
— Mérite est féminin à l'origine :
Jean de Meung: « Pechié porte sa peine et bienfait sa mérite. »
— Miracle (neutre en latin) est souvent féminin :
Joinville : « Là où il fait moult bêles miracles. »
— Mœurs est quelquefois masculin (coinme en lalin) :
Eustache Deschamps : « Les meurs mauvais de sa condicion. »
168 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
— Paroi est quelquefois masculin (genre latin) :
Livre des Rois : « Les pareiz furent cuverz de tables de cè-
dre. » Mot à mot : « Les parois furent couverts... »
— Poison (féminin en latin) a été longtemps féminin, et
l'est encore dans la langue populaire :
Roman de Renart : « Car je vos ai la poison quise. » Mot à
mot : « Car je vous ai la poison cherchée. i> Poison a ici le sens
de « potion ». Ces deux mots dérivent d'ailleurs du même mot
latin (potionem), l'un par voie populaire, l'autre par voie sa-
vante.
— Rencontre est d'abord masculin :
Froissart : « En ce dur rencontre. «
— Reproche est souvent féminin.
Texte cité par Du Cange : « EL ycelles reproces et oppositions
veulent poursuir. »
— Rien est féminin à l'origine, et signifie chose, comme res
en latin:
Châtelain de Coud : « La douce rien qui fausse amie a nom; »
c'est-à-dire : « La douce chose qui a nom fausse amie. »
§ 382. — Nous avons dû faire un choix de mots, pour
ne pas grossir cette liste outre mesure. On pourrait y
ajouter entre autres : âge, aise, emplâtre, évêché, lièvre, na-
vire, office, ongle, ordre, ost (masculin dans La Fontaine,
vieux mot qui signifie armée), reste, rets (écrit rois au
moyen âge), salut , serpent , sort, vice, que l'on trouve fémi-
nins plus ou moins souvent ; dette, étude, foudre, horloge,
idole, offrey voile (de navire), que l'on trouve masculins.
CHAPITRE 11
SYNTAXE DE L'ADJECTIF
EMPLOI ANCIEN DES FORMES FÉMININES
ANALOGIQUES
§ 383. — Dans les plus anciens textes, où l'on trouve
SYNTAXE DE L'ADJECTIF. 169
déjà quelques féminins analogiques, tels que « grande »,
il semble que le féminin avec e muet soit surtout em-
ployé comme attribut. On disait : « La joie est grande, »
mais « la grand joie. »
ADJECTIFS INVARIABLES PAR POSITION
§ 384. — Plusieurs adjectifs sont aujourd'hui invaria-
bles lorsqu'ils précèdent le nom dans les constructions
telles que : « Sauf la considération que je vous dois, nu-
pieds, etc. » L'ancienne langue disait : « Sauve la considé-
ration, nus pieds, etc. »
Froissart : « Sauve votre grâce. »
CHAPITRE III
SYNTAXE DES NOMS DE NOMBRE
ARTICLE DEVANT LES NOMS DE NOMBRE
CARDINAUX
§ 385. — L'ancienne langue employait l'article devant
les noms de nombre cardinaux exprimant une partie d'un
nombre total déterminé. Ainsi l'auteur de la Chanson de
Roland, parlant des tours de Saragosse, dit :
« Les dis sunt granz, les cinquante menues. »
Nous dirions : « Dix sont grandes et cinquante petites. »
De môme, Roland, sur le point de mourir, frappe sa
poitrine « à l'u7ie main ». Nous dirions : « Avec une main,
d'une main. » Toutefois « un » peut encore êti-e précédé
de l'article, mais alors il est pronom et non adjectif :
« l'une des mains. »
Aujourd'hui, les noms de nombre (autres que wn), qui
expriment une partie d'un nombre total déterminé, ne
170 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
sont précédés de l'article que s'ils sont accompagnés d'un
adjectif : « Les dix premières, les dix autres, les dix plus
éloignées. »
CHAPITRE IV
SYNTAXE DE L'ARTICLE ET DES ADJECTIFS
ET PRONOMS DÉMONSTRATIFS
L'ARTICLE
I. — Emploi des noms sans article et sans (< de »
partitif.
§ 386. — L'article indéfini un ^ et le de partitif sont
anciens dans la langue. Mais, à l'origine, leur emploi était
beaucoup plus restreint qu'aujourd'hui, et l'on trouve
souvent sans aucun article, et sans de partitif, des noms
que nous ferions précéder aujourd'hui de l'un ou l'autre
de ces mots. L'ancienne langue n'avait pas non plus Tha-
bilude de personnifier, comme nous faisons, les abstrac-
tions, en plaçant l'article défini devant les noms abstraits
non déterminés : la force, la haine, etc. Nous avons con-
servé dans les proverbes et dans un certain nombre de
locutions (notamment après les prépositions) le vieil em-
ploi de ces mots sans article : « par force, faire merveille,
patience et longueur de temps font plus que force ni que
rage. »
Voici, comme exemples, quelques phrases de nos vieux
auteurs dans lesquelles nous mettrions aujourd'hui devant
le nom l'un des articles, avec ou sans cfe partitif, ou le de
partitif seul :
1. La syntaxe do l'article indéfini doit être placée dans le chapitre
des adjectifs et pronoms indéfinis. Nous ne signalons ici que le non-
emploi do 00 moi dans certains cas communs aux deux articles.
SYNTAXE DE L'ARTICLE. 171
Chanson de Roland ;« 'èvir pâlies blancs siéent cil cheva-
lier. )) C'est-à-dire : « Sur des tapis blancs sont assis ces
chevaliers. ^)
Joinville : « Tandis que li roys fermoit Sayete, vindrent
marcheant en l'ost. » Traduisez : « Tandis que le roi for-
tiûait Sayette, des marchands vinrent dans le camp. »
Ibidem : « Dont grans joie fut et doit estre à tout le
le royaume de France. »
Nous dirions : « Ce fut et ce doit être une grande joie
pour tout le royaume de France. »
Ibidem : « Or acorderent entre aus que il n'averoicnt
pooir de faire chaucie. » C'est-à-dire : « Ils furent dac-
oord qu'ils n'auraient pas le pouvoir de faire de chaussée,
qu'ils ne pourraient faire de chaussée. »
II. — Emploi de l'article après le « de » partitif.
§ 387. — L'ancienne langue ne connaissait pas non plus
les règles en vertu desquelles tantôt nous mettons et tantôt
nous supprimons l'article après le de partitif.
Chanson de Roland : « Trop ad perd ut del sanc. » Mot à
mot : « Il a trop perdu du sang. » Nous dirions aujour-
d'hui : « Il a trop perdu de sang. >>
III. — Non-emploi de l'article devant les noms de
pays.
§ 388. — Nous mettons généralement l'arliclc défini
devant les noms propres de pays : « la France, /'lispagne. »
On disait autrefois sans article : France, Fspagne, etc.
Chanson de Roland : « Par Guenclun serat destruite
France. »
Ibidem : « Que nus perdium clere Espaigne. »
§389. — Aujourd'Iuti, dans les cas où, par exception,
les noms de pays doivent èlre employés sans article, il
172 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
suffit que le nom soit accompagné d'un adjectif pour que
l'article reparaisse : « Je reviens d'Italie » ; mais « Je re-
viens de V Italie méridionale. » Même avec un adjectif, l'an-
cienne langue supprimaitTarticle.
Chanson de Roland : « Li emperere Caries de France
dulce. »
Voyez aussi le dernier exemple du paragraphe précé-
dent.
LES ADJECTIFS ET PRONOMS DÉMONSTRATIFS
I. — Les différents cas de « icist, cist « .
§ 390. — Notre adjectif démonstratif ce, cet {ce livre, cet
homme) dérive de l'ancienne forme icest, cest, qui ne s'em-
ployait que pour le cas régime :
Chanson de Roland : « A icest mot untFranceis escriet. »
Traduisez : « A ce mot les Français ont crié. »
§ 391. — Quand l'adjectif démonstratif se rapportait au
sujet, « icest, cest » prenait, comme nous l'avons vu, la
forme icisf, cist, cis :
Joinville : « Et cis consaus li fu donez. » Traduisez :
Et ce conseil lui fut donné. »
§ 392. — Au cas régime singulier, on pouvait employer
soit icest, cest, soit la deuxième forme, dérivée du datif
latin : icestui, ceslui:
Joinville : « Et ce fist il pour ce que li emperieres eust
aliance a ccstni grant riche home contre Vatace. » Tra-
duisez : « Et il fit cela pour que l'empereur eût alhance
avec ce grand et riche homme contre Vatace.
§ 393. — Le second cas régime faisait au féminin :
<( icestci, cestei, cesti. » Si, dans la phrase précédente, on
remplaçait « homme » par « femme », il faudrait mettre :
« à cestei grant riche femme, » ou « à cesti » dans d'autres
SYNTAXE DES ADJECTIFS ET PRONOMS DÉMONSTRATIFS. 173
dialectes; ou bien, en employant le premier cas régime
féminin : « à ceste grant riche femme. »
§ 394. — Nous croyons inutile de donner des exemples
de l'emploi des deux cas du pluriel, sauf cependant pour
le féminin. Nous savons que, au féminin pluriel, avant
de dire ces, on a dit cestes. Voici un exemple de cette
forme :
Bousier des Dames : « Regardez cestes fillettes. »
II. — Emploi de « icist, cist » comme pronom.
§ 395. — « Icist, cist» n'était pas seulement adjectif dé-
monstratif, valeur que « cet » a conservée, il servait aussi
de pronom démonstratif, avec le sens de « celui-ci ».
Chanson de Roland : « Cist sunt bon a cunfundre. » Mot
à mot : « Ceux-ci sont bons à confondre. »
Ibidem : « Apres iceste, altre avisiun sunjat. » Mot à
mot : « Après celle-ci, il songea une autre vision. »
Traduction des sermons de saint Bernard : « De ccstei
faisons nos ui la feste. » G'est-à-dire : « Nous faisons
aujourd'hui la fête de celle-ci. »
§ 396. — Avec cestui et ceste et l'adverbe ci, on avait
formé un autre pronom démonstratif : « Cestui-ci, ceste-
ci, » qui a été en usage, conjointement avec celui-ci, celle-
ci, jusqu'au xvi*^ siècle.
III. — L'adjectif pronom « icil, cil ».
§ 397. — L'ancien adjectif pronom « icil, cil » avait,
comme icist, deux cas régimes au singulier ; nous avons
conservé le second cas régime (celui) pour le masculin, et
le premier (celle) pour le féminin. Les différents cas A' icil
s'employaient comme ceux d'icist.
§ 398. — « Icil, cil » avait une triple valeur; il signi-
fiait : « cet, celui-ci (ou celui-là), celui. »
10.
174 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Chanson de Roland : « Et cil respunt. » C'est-à-dire :
« Et, celui-ci répond. »
Ibidem : « Sur pâlies blancs siéent cil chevalier. »
G'cst-à-dire : « Ces chevaliers sont assis sur des tapis
blancs. »
Sermons de saint Bernard : « S'il poc sunt espoenteit de
la colpe de celui. » Traduisez : « S'ils sont peu épouvantés
de la faute de celui-ci. »
Joinville : « Et tuit cil qui avoient afaire. » C'est-à-dire :
« Et tous ceux qui avaient une affaire. »
IJridem : Li roys tint celé teste es haies de Saumur. »
Traduisez : « Le roi tint cette fête dans les halles de Sau-
mur. »
Roman de Berthe : « Tout droit à celui temps que je ci
vous devis. » C'est-à-dire : « Tout juste en ce temps dont je
parle ici. »
Voltaire emploie encore « icelui », par plaisanterie,
avec le sens de celui-ci :
« Comment Candide fut élevé dans un beau château et
comment il fut chassé d'icelui. »
IV. — « Cist » et « cil » employés au lieu de
l'article.
399. — Cist et cil avaient quelquefois une valeur dé-
monstrative très affaiblie, et dans ce cas nous les rempla-
cerions aujourd'hui par l'article.
Chanson de Roland : E escremissent«7 bachelerlegier. »
C'est-à-dire : « Et les bacheliers légers s'amusent à l'es-
crime. »
Joinville : Et les haies sont faites à îa guise des cloistres
de ces moinnes blans. » Traduisez : « Et les halles sont
faites à la manière des cloîtres des moines blancs. »
SYNTAXE DES ADJECTIFS ET PRONOMS DÉMONSTRATIFS. 175
V. — « Cist » opposé à « cil ».
§ 400. — Cist a aussi, relativement à cil, la même va-
leur que celui-ci relativement à celui-là.
Sermons de saint Bernard : Li jors venrat k'il (le sacri-
fice) el temple ne serat mies offerz ne entre les braz Symeon,
mais defors la citeit, entre les braz de la croix. Cil sacre-
fices serat sacrefices vesprins ; mais cist est or matutinals.
Cist est or voirement plus deleitavles : mais cil iert plus
planiers. » Traduisez : « Le jour viendra où le sacrifice ne
sera point offert dans le temple ni entre les bras de Si-
méon, mais hors de la cité, entre les bras de la croix. Ce
sacrifîce-/à sera le sacrifice du soir; mah celui-ci est le
sacrifice du matin. Celui-ci est vraiment plus délectable,
mais celui-là sera plus entier. »
VI. — Le pronom neutre « ce ».
401. — Le pronom neutre ce s'employait très souvent
là où nous mettrions cela :
Chanson de Roland : Ço sencfiot pais e humilitet. »
C'est-à-dire : « Cela signifie paix et humilité. »
Ibidem : Avoec iço plus de cinquante cares. » C'est-à-dire ;
« Avec cela plus de cinquante chars. »
Nous disons encore : « sur ce. »
402. — Devant le pronom relatif neutre, sauf dans
([uelques locutions consacrées (comme : qui plus est) la lan-
gue actuelle met toujours le pronom démonstratif ce. D
n'en était point ainsi dans l'ancienne langue.
Prose de sainte Eulalie : « El li enortet, dont Ici nonque
chielt... » C'est-à-dire : « Il l'exhorle, ce dont il ne Jui
chaut pas... »C'estainsique Molière dit encore : « Ah! pol-
tron, c?on^ j'enrage, lâche, vrai cœur de poule! »
Chanson de Roland : « Je fereie que fols. » C'est-à-dire :
176 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
« Je ferais ce que ferait un fou. » (Comp. § 709.)
Sermons de saint Bernard : Lucifer ki ewals volt estre a
Deu, A;' al fil apartient propprement. » C'est-à-dire : «Luci-
fer qui voulut être égal à Dieu, ce qui appartient propre-
ment au fils. »
CHAPITRE V
SYNTAXE DES PRONOMS PERSONNELS
Pronom personnel non exprimé.
§ 403. — Très souvent l'ancienne langue n'exprimait
pas le pronom personnel sujet :
Joinville : Or vous vueil faire une demande. » Tradui-
sez : « Or je vous veux faire une demande. »
Sermons de saint Bernard : « Et por ceu bien fais se tu
crois que.... » Traduisez : « Et pour cela tu fais bien si tu
crois que.... »
Chanson de Roland : « Tresqu'en la mer cunquist la
tere altaigne. » Traduisez : « Jusqu'à la mer, il conquit la
liante terre. »
Joinville : « Et devisiens li uns à l'autre. » Traduisez :
« Et nous devisions l'un avec l'autre. »
Sermons de saint Bernard : « Ui aveiz oït en l'ewan-
gele. » Traduisez : « Aujourd'hui vous avez entendu dans
1 évangile... »
Chanson de Roland : « Parmi celé ost fmit mil graisles
suner. » Traduisez : « Dans l'armée, ils font sonner mille
clairons. »
On pouvait aussi ne pas exprimer le pronom imper-
sonnel il.
Sermons de saint Bernard : « De lui estoit escrit ke... »
Traduisez : « De lui il était écrit que... »
SYNTAXE DES PRONOMS PERSONNELS. 177
Pronom pléonastique.
§ 404. — Nous employons le pronom personnel, con-
curremment avec le nom qu'il est chargé de représenter,
dans les phrases telles que : « Son père arrive-t-i/? —
Aussi son cousin esi-il venu. » L'ancienne langue ne con-
naissait pas l'usage de ce pronom pléonastique, et disait :
« Son père arrive? » ou « Arrive son père ? »
S''nnons de saint Bernard : « At dons mestier de la me-
dicine ci/ ki sainz est? » Traduisez : « A-t-i/ donc besoin
de la médecine, celui qui est sain? »
§ 405. — En revanche, on trouve souvent dans les an-
ciens textes des pléonasmes tels que : « Son père il est
venu. » Mais, en général, le sujet est séparé du pronom
pléonastique par un membre de phrase :
Sermons de saint Bernard : « Li pèlerins, s'il saiges est,
et s'il ne mat mies en obli sa pérégrination, il trespesset. »
Mot à mot : « Le voyageur s'il est sage, et s'il ne met pas
en oubli son voyage, il va au delà. »
Je, tu, il au lieu de moi, toi, lui.
§ 406. — Nous disons : « Il est plus grand que toi et
moi; — moi et ^oi nous irons ; — toi et lui vous irez; —
lui-même est venu, etc. » L'ancienne langue disait: « 11 est
plus grand que je et tu ; — je et tu irons ; — tu ei il irez ;
— il meismes est venuz. »
Chanson de Roland : « Et^o et vus irum. »
Roman de Renart : « Je bois plus que tu. »
Joinville : Il meismes l'amendoit de sa bouche. »
Cependant, dès le xu'' sirclc, on trouve des exemples
du cas régime substitué au cas sujet dans ces sortes de
phrases.
178 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Moi, toi, soi, lui, au lieu de me, te, se, le.
§ 407. — « Moi, toi » ne s'emploient plus comme com-
pléments indirects sans préposition que lorsqu'ils suivent
un impératif: Donne-?/zoî ton livre. Dans l'ancienne langue,
c'était un emploi ordinaire de moi, toi, soi. On disait : « Il
moi dit, » aussi bien que « il me dit. »
Chanson de Roland : « Se tei plaist. » Mot à mot : « S'il
toi plaît. »
Roman de Berthe : « Moi ne chaut qu'on en face. »
C'est-à-dire : « Ce qu'on en fera ne me chaut pas, ne m'im-
porte pas. »
Roman de la Rose : « Traitor et envieus Sunt de moi
nuire curieus. » C'est-à-dire : « Les traîtres et les envieux
sont empressés à me nuire. »
§ 408. — « Moi, toi, soi » s'employaient aussi, de même
que les formes proclitiques « me, te, se », comme com-
pléments directs ^
Chanson de Roland : « Ki tei (toi) ad mort France a mis en
exill. » C'est-à-dire : « Qui ^'atué amis la France en deuil. »
Ibidem : « Qui traist hume, sei (soi) ocit e altrui. » C'est-
à-dire : « Qui a trahi un homme se tue et lue autrui. »
Au XVII® siècle, La Fontaine écrit encore :
Tant ne songeaient au service divin
Qu'à, soi montrer
§ 409. — Lui a conservé plus complètement que moi et
toi son ancien emploi comme complément indirect sans
préposition : « il lui dit. » On trouve aussi « il li dit. »
De même que « moi, toi, soi », lui (ou H) s'employait
comme complément direct :
1. Ces pronoms servent encore comme compléments directs, mais
seulement dans des constructions spéciales: « 11 n'a reconnu que toi. »
SYNTAXE DES PRONOMS PERSONNELS. 179
Chanson de Roland : « Se lui laissiez, n'i trametrez plus
saive. » C'est-à-dire : « Si vous le laissez, vous n'y enverrez
pas un plus sage. »
Joinville : « Li amiral avoient eu grant vouloir.... de H
faire soudanc de Babiloine. » C'est-à-dire : « Les émirs
avaient eu grand désir de le faire soudan de Babylone. »
Emploi de lei et li.
§ 410. — Lei était le féminin de lui. Mais ces deux pro-
noms ont eu une forme commune, li, qui s'est employée
concurremment avec lui pour le masculin, et qui de bonne
heure s'est substituée entièrement à lei pour le féminin,
sauf dans certains dialectes. Li a disparu depuis, et son
rôle de pronom régime féminin a été partagé entre lui,
qui est devenu des deux genres comme régime indirect
sans préposition (quant à sa mère, il lui écrivit), et elle
comme régime direct non proclitique et régime des pré-
positions (il ne reconnaît quelle, il l'a fait pour elle).
Là où nous trouvons les féminins lei et li, on mettrait
donc aujourd'hui lui ou elle :
Roman de Rerthe : « Que Berte nostre fille ne nous
vit, ne nous li ; » c'est-à-dire : « ni nous elle. »
Joinville, parlant de la reine : « II se conseillierent et
revindrent a li, et li otroierent que il demourroient volen-
tiers. » Traduisez : « Ils se consultèrent et revinrent à elle,
et lui octroyèrent qu'ils demeureraient volontiers. »
Sermons de saint Bernard : « En maintes manières nos
csjoyons en lei. » C'est-à-dire : « En maintes manières
nous nous réjouissons en elle. »
Emploi de leur.
§ 411. — Leur n'est pas seulement employé comme
régime indirect sans préposition ; il sert aussi dans l'an-
180 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
cienne langue comme régime ordinaire après les prépo-
sitions :
Joinville : « En tel manière que la generacions dont l'on
devoit faire roy esllroient entre lour cinquante dous des
plus saiges homes. « Traduisez : « En telle manière que
ceux de la tribu d'où l'on devait faire un roi éliraient
entre eux cinquante-deux hommes des plus sages. »
Yzopet de Lyon : « A roi sor lour le coronarent. » C'est-
à-dire : « Ils le couronnèrent comme roi sur eux. »
Lui, eux, au lieu de se.
§ 412. — En principe, le pronom « se, soi » devrait être
employé au lieu de « le, lui, les, eux » quand l'action est
réfléchie, c'est-à-dire toutes les fois que c'est la même
personne qui agit et sur laquelle porte l'action : « il sort
ou ils sortent pour se distraire; il le fait ou ils le font pour
soi. » Mais de bonne heure on a pu substituer au pronom
réfléchi le pronom non réfléchi de la troisième personne
(du moins les formes non proclitiques de ce pronom, lui,
eux), et on a dit : « il sort pour lui distraire, ils sortent
pour eux distraire, il le fait pour lui (pour lui-même), ils
le font pour eux. » Nous ne disons plus : « il sort pour lui
distraire, » parce que les pronoms non proclitiques ne
sont plus employés comme régimes directs précédant le
verbe (§ 408). Et d'autre part, les pronoms proclitiques
le, les, ne se sont jamais employés au lieu de se.
Nous continuons d'ailleurs à nous servir de « lui, eux »
au lieu de « soi », quelquefois obligatoirement (il attire
tout à lui). Il nous suffira donc de donner quelques exem-
ples de « lui, eux » dans l'ancienne langue, là oii nous
mettrions aujourd'hui se et oii l'ancienne langue pouvait
mettre soi.
Chanson de Roland : « As tables juent pur els (eux) esba-
ï
SYNTAXE DES ADJECTIFS ET PRONOMS POSSESSIFS. 181
neier. » Traduisez: « Ils jouent aux tables pour se divertir. »
Joinville : « 11 nous avoit appelez pour H (lui) confesser
à moy. » Traduisez : « Il nous avait appelés pour se confes-
ser à moi. »
CHAPITRE VI
SYNTAXE DES ADJECTIFS ET PRONOMS POSSESSIFS
Cas de l'adjectif possessif.
§ 413. — Pour l'emploi des différents cas de l'adjectif
possessif, nous ne donnerons que quelques exemples, cet
emploi étant parfaitement régulier, et n'offrant aucune
difficulté. Voj'ez au surplus les remarques générales sur
l'emploi des cas (§ 369).
Chanson de Roland : « Li reis Marsilies est mult mis
enemis. » Traduisez : « Le roi Marsile est beaucoup mon
ennemi. »
Ibidem : « Quand l'Emperere vait querre sun nevuld. »
C'est-à-dire : « Quand l'Empereur va chercher son neveu. »
Joinville : « Pour ce, fîst-il, que mes chastiaus est en
marche. » Traduisez : « Parce que, fit-il, )non château est
sur la frontière. »
Ibidem : « Il fu batus en l'estache des félons Juis, qui
dévoient estre si frère. » Traduisez : « Il fut battu au po-
teau des félons Juifs qui devaient être ses frères. »
Nostre, vostre au cas sujet masculin pluriel de l'adjectif
possessif, au lieu de nos, vos.
§ 414. — Le pluriel de nostre, vostre, était d'abord
« nostres, vostres » au féminin et au cas régime masculin,
« nostre, vostre n au cas sujet masculin. Ces formes ne se
sont conservées que dans les emplois non proclitiques :
Clédat, 1 1
182 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
* ils sont nôtres , ce sont les nôtres. « De très bonne
heure, quand ces mots sont proclitiques, on les trouve
abrégés en nos., vos (nos hommes, vos paroles); toutefois
au cas sujet masculin pluriel on a employé longtemps
yiostre, vostre :
Chanson de Roland : « Nostre Franceis n'unt talent de
fuir. » Traduisez ; « Nos Français n'ont pas désir de
fuir. »
Joinville : « Et sont nostre enfant cousin germain. »
Traduisez : « Et sont nos enfants cousins germains. »
Nos, vos, no, vo, au lieu de nostre, vostre.
§ 415. — Nous savons aussi qu'on trouve une décli-
naison spéciale de l'adjectif possessif des deux pre-
mières personnes du pluriel, déclinaison dont nous avons
expliqué l'origine § 147, et dont nous donnons ici le
tableau :
Masculin. Féminin.
Cassuj.: nos, vos /au lieu de nostre, vos-\\ / au lieu de \
Casrég.: no, \o \ <;'e invariables J)^^'^^ \jiostre, vostre)
PLURIEL.
Masculin. Féminin.
Cassuj.: no, xo ( au lieu de \ j
\7iostre, vostre J f /comme dans la\
Casrég.: nos, vos (co'n"^e dans la\ "°''^"^ V décl. ordin. )
\ decl. ordin. / ;
Voici un passage de la Chanson d'Aliscans, où l'on voit
mélangées les formes de cette déclinaison et celles de la
déclinaison dérivée directement du latin :
« Niés Vivien, dist Guillaumos li frans,
Mar fu vos cors ke tant par crt vaillans,
Voslre proece et vostre hardemeus,
Et vo biauté ko si crt aveiians. »
SYNTAXE DES ADJECTIFS ET PRONOMS POSSESSIFS. 183
Traduisez : « Neveu Vivien, dit Guillaume le franc,
malheureux fut (joua de malheur) votre corps qui était si
vaillant, votre prouesse et votre hardiesse, et votre beauté
qui était si avenante. »
Ma, ta, sa devant un nom commençant par une voyelle,
§ 416. — Nous remplaçons aujourd'hui l'adjectif pos-
sessif « ma, ta, sa » parla forme masculine « mon, ton, son »
devant les mots féminins commençant par une voyelle :
« mon épée, mon amie, mon âme. » L'ancienne langue
disait : « w' espée, m' amie (forme que nous avons con-
servée, mais que nous écrivons ma mie par confusion),
m' anme, etc. »
Le mien, le tien, etc., employés comme adjectifs.
§ 417. — Mien, tien, sien, notice, votre, leur, précédés
de l'article, sont aujourd'hui exclusivement pronoms; l'an-
cienne langue les employait aussi comme adjectifs, et
disait « le mien frère » aussi bien que « mon frère ». Ces
adjectifs possessifs pouvaient être précédés non seulement
de l'article défini, mais de l'article un, d'un adjectif indé-
fini, ou d'un adjectif démonstratif : ce mien fils, un leur
ami. Nous disons encore « un mien ami, un sien ami »,
mais nous ne dirions plus « un nôtre ami, un leur ami. »
Chanson de Roland : « Rollanz cist miens fîllastre. » Mot
à mot : « Roland ce mien beau-fils. »
Ibidem : « Si recevrat la nostre lei plus salve. » Mot à
mot : « Il recevra la nôtre loi plus salutaire. »
§ 418. — Los féminins meie, teie (et tue), scie (et si<e)que
nous avons remplacés par mienne, tienne, sienne, avaient
les mêmes emplois que les masculins correspondants.
Chanson de Roland : « Cestc meie grant ire. » C'est-à-
dire : « Celte mienne grande colère. » ♦
184 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Emplois exceptionnels de différentes formes
de l'adjectif possessif.
§ 419. — On trouve quelques rares exemples de meie
(mienne) employé devant le nom, au lieu de ma, sans au-
cun article ni déterminatif, et de son au lieu de sien, nos
au lieu de noslre, après un déterminatif.
Chanson de Roland : « De meie part. » Mot à mot : « De
mienne part », c'est-à-dire : « de ma part. »
Ibidem : « Ci vos enveiet un sun noble baron. » Mot à
mot : « Ici il vous envoie un son noble baron », c'est-à-
dire : « un sien noble baron. »
Ibidem : « Tu n'ies mie des noz. » Traduisez : « Tu n'es
point des nôtres. »
CHAPITRE YII
SYNTAXE DU PRONOM RELATIF ET INTERROGATIF
Gui ou qui au lieu de que, à, qui.
§ 420. — Le pronom relatif qui s'emploie aujourd'hui
comme sujet, et après les prépositions : « l'ami qui vous
parle, l'ami pour qui vous venez, » Après les prépositions
on trouve souvent dans les anciens textes l'orthographe
cui (l'ami pour oui). Gomme régime direct, nous em-
ployons toujours la forme proclitique que : « l'ami que
vous recommandez. » L'ancienne langue aurait pu dire :
<( l'ami cui (ou qui) vous recommandez. » Le même qui
s'employait aussi comme régime indirect sans préposition :
« l'ami qui (ou cui) vous parlez. » Voici des exemples de
CCS deux emplois :
1° Cwi régime indirect sans préposition :
SYNTAXE DU PRONOM RELATIF ET INTERROGATIF. 183
Chanson de Gcujdon : « Et li Danois, cui Dex puist mal
donner! » Traduisez : « Et le Danois, à qui Dieu puisse
envoyer malheur! »
2" Cui régime direct :
Serments de Strasbourg : « Neuls cui eo returnar int
pois. » Traduisez : « Nul que t^' en puis détourner. »
Sermons de saint Bernard : « La veriteit cvy ju ave-
rai deconue. » Traduisez : « La vérité que j'aurai mé-
connue. »
Joinville : « Les autres roys... cuy Dex absoyle ! » Tra-
duisez : « Les autres rois... que Dieu absolve! »
De supprimé devant le pronom relatif.
§ 421. — Devant le cas régime du pronom relatif,
comme devant le cas régime des noms, on pouvait suppri-
mer le de possessif.
Villehardouin : « Et li marchis de Montferrat en la cui
garde li rois l'avoit mis. » Mot à mot : « Et le marquis de
Montferrat en la de qui garde le roi l'avait mis, » c'est-à-
dire : « en la garde de qui. »
Sermons de saint Bernard : « L'avcnt cuy nons est
asseiz rcnomeiz. » Mot à mot : « L'avent de qui le nom est
assez renommé », c'est-à-dire : « dont le nom, etc. »
Joinville : « Je ving au conte de Soissons, cui cousine
germainnc j'avoie espousée. » C'est-à-dire : « Je vins
au comte de Soissons, de qui j'avais épousé la cousine
germaine. »
Pronom relatif avec un nom de chose pour
antécédent.
§ 422. — L'avant-dornicr exemple cité montre que cui
régime s'employait môme quand on parlait d'une chose.
186 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Aujourd'hui qui sujet seul peut se rapporter à un nom de
chose; nous dirions : « lavent qui nous occupe », mais
non : « l'avent de qui nous nous occupons. » Il faudrait
mettre : « dont » ou « duquel. » C'est en effet lequel qui
remplace en général qui régime pour les noms de
choses. Dans l'ancienne langue on employait aussi la
forme neutre quel, quoi, avec les noms de choses pour
antécédents :
Joinville : « Li gaaingnour vont chascuns labourer en sa
terre à une charue sans rouelles, de quoy il tornent de-
dens la terre les fourmens.... » Mot à mot : « Les labou-
reurs vont chacun labourer en sa terre avec une charrue
sans roues, avec quoi ils retournent dans la terre les
froments. »
Ibidem : « Trois toyses doit (yson sur quoy nostre neiz
estoit fondée. » Mot à mot : « Trois toises de la quille sur
quoi notre vaisseau reposait. »
Que pronom neutre sujet.
§ 423. — Nous avons vu que la forme étymologique du
pronom relatif neutre au cas sujet était que. Voici des
exemples de ce pronom sujet :
Sermons de saint Bernard : « Rendre a un chascun ceu
ke sien est. » C'est-à-dire : « Rendre à chacun ce; qui est
sien. »
Ibidem : « Ceu que comandeit nos est. » C'est-à-dire :
« Ce qui nous est commandé. »
Cui ou qui interrogatif au lieu de à, qui.
§ 424. — Le pronom interrogatif « qui ? » avait aussi
la forme cui ou qui comme cas régime indirect sans pré-
position :
Chanson de Roland : « De ço qui calt ? » Mot à mot :
SYNTAXE DES ADJECTIFS ET PRONOMS INDÉFINIS. 187
« De cela à qui chaut-il? » C'est-à-dire: « à qui cela im-
porte-t-il ? »
Que neutre inlerrogatif entre deux verbes.
§ 425. — Nous n'employons plus que neutre interroga-
tif entre deux verbes, si ce n'est devant un infinitif. Nous
le remplaçons ordinairement par le pronom démonstratif
<:c suivi du pronom relatif. On ne dit pas : « j'ignore que
vous faites », mais : « j'ignore ce que vous faites. » La
première formule se rencontre souvent dans l'ancienne
langue :
Chanson de Roland : « Or ne sai jo que face. » Mot à
mot: « Maintenant je ne sais que je fasse. » C'est-à-dire :
« je ne sais ce que je dois faire. »
Joinville : « Et li diz que il alast veoir que c'estoit. » Mot
à mot : « Et je lui dis qu'il allât voir que c'était. » C'est-à-
dire: « ce que c'était. »
CHAPITRE VllI
SYNTAXE DES ADJECTIFS ET PRONOMS INDÉFINIS
§ 426. — Nous examinerons, dans l'ordre alphabétique,
les princi[)aux adjectifs et pronoms indéfinis :
— Aucun a originairement le sens de « quelque, quel-
qu'un », qui est le sens étymologique (latin aliquis itmts), et
qui s'est conservé dans la locution : « aucuns ou iVaucuns di-
sent. » Au moyen âge on employait aucun avec l'article :
Beauinanoir: « Li aucun des homes si veulent dire... » Tra-
duisez: « Quelques-uns des hommes veulent dire... »
— Autre. L'ancienne langue employait autre sans aucun
arlicle là où nous disons: « un autre. »
Chanson de Roland: « Apres icesle, «Wrc avisiun sunjat. »
C'est-à-dire : « Après celle-ci, il eut une autre vision. »
188 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Autrui est à l'origine le cas régime de aut7'e. Comme devant
tous les cas régimes, le de possessif pouvait être supprimé de-
vant autrui, et ce mot pouvait être placé avant le nom dont il
était le complément: « l'autrui bien, » c'est-à-dire: « le d'un
autre bien, le bien d'un autre, le bien d'autrui. » On disait aussi
« l'autrui », c'est-à-dire : « le (neutre) d'autrui », ce qui est à
un autre, comme on dit : « le mien », ce qui est à moi. L'au-
trui signifiait donc : « le bien d'autrui. »
Joiîiville: « Et il me dist: Se je demeur, demourrez-vous ?
Et je li dis que oyl, se je puis ne dou mien ne de Vauti'uy. »
Mot à mot: « Et il me dit : Si je demeure, demeurerez-vous ?
Et je lui dis que oui, si je puis ou du mien ou de l'autrui. »
C'est-à-dire : ^<■ ou à mes frais (du mien) ou aux frais d'au-
trui. »
— Chacun (latin quisque unus) était à la fois adjectif et pro-
nom :
Chanson des Saxons : (( F'aites chascun baron en sa terre en-
voyer. )) Nous dirions : « Faites envoyer chaque baron dans sa
terre. »
JoinviUe: « C/irtSCM?i jour ». C'est-à-dire: « Chaque iour. »
— El (latin aliud), pronom indéfini neutre, signifiant « autre
chose », a disparu de la langue.
Chanson de Roland: « Pur el venut n'i estes. » C'est-à-dire:
« Vous n'y êtes pas venu pour autre chose. »
— Même vient d'un superlatif populaire (wïf/2psî"wî<.s) de ?»e<<jjse,
qui avait la même signification en latin populaire. Le sens pri-
mitif de ce mot est celui que nous lui donnons encore quand
nous disons : « l'homme même » ou « l'homme lui-même. »
L'autre sens du mot (dans le même homme) est dérivé de celui-
ci. Aujourd'hui même a l'une de ces significations lorsqu'il pré-
cède le nom, et l'autre lorsqu'il le suit. Dans l'ancienne langue^
le sens du mot n'était pas déterminé par sa place, mais seule-
ment par le sens général de la phrase. Ainsi : u le même
homme » pouvait avoir le sens actuel de « l'homme même »,
el « l'homme même » pouvait signifier « le même homme ».
Encore au -axii" siècle Corneille écrit:
« Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu? »
Et il faut entendre u la vertu même ».
Chanspn de Roland: « Nuncierent vus ccz paroles meîsmes. »
SYNTAXE DES ADJECTIFS ET PRONOMS INDÉFINIS. 189
D'après les vers qui précèdent, il est clair qu'il faut traduire :
« Ils vous portèrent ces mêmes paroles », et non pas : « ces paro-
les mêmes. »
— Moult. A côté de moult adverbe (beaucoup), l'ancienne
langue avait aussi l'adjectif woî(/i (beaucoup de) dont le féminin
était mollîtes.
Psautier d'Oxford: « Moult félon se drecent contre moi. »
— Nul, aujourd'hui, ne peut êlre pronom que comme sujet
de la phrase, et au masculin. On dit : (t nul ne vient », mais on
ne dirait pas, comme au moyen âge : « il ne rencontre nid »,
ni « nulle ne vient. »
Joinville : « Et il me dist que il n'estoit a nullui. » Mot à mot r
« El il me dit qu'il n'était à nul (à personne). » Nului est l'une
des formes du cas régime de nuls (Voyez § 156).
T^ul, après la conjonction si, ou dans les interrogations, peut
équivaloir à u quelque, quelqu'un. »
Roman de la Rose : « Et se nus ne nule demande Comment je
voil que cil rommanz Soit appelez... Ce est li rommanz de la
Rose. » Traduisez : « Et si quelqu'un ou quelqu'une demande
comment je veux que ce roman soit appelé... »
— On. Lorsque on doit suivre le verbe, on ne peut aujour-
d'hui l'employer avec l'article . L'ancienne langue disait au
contraire: « le croira Ton? Aussi le croit l'on. » D'ailleurs on
pouvait dire aussi : « le croira on? » Et dans ce cas on n'inter-
calait pas, comme nous le faisons aujourd'hui, uni euphonique
entre le verbe, et on.
— Plusieurs signifie à l'origine « un plus grand nombre
de ». Ce mot, toujours pluriel, n'avait pas d's, suivant la
règle générale, au cas sujet. Lorsqu'il était précédé de l'ar-
ticle il prenait le sens de : « le plus grand nombre de, la plu-
part. »
Chanson de Roland: « Encuntre terre se pasment li plusur. »
Mot à mot : <c Contre terre se pâment les j^lusieurs », c'est-à-
dire : « la plupart. »
— Quant. A côté de l'adverbe quant, il y avait, dans l'ancienne
langue, l'adjectif indéhni quant, qui prenait une s, comme tous
les adjectifs, au cas sujet singulier et au cas régime pluriel, et
dont le féminin était qualité. Cet adjectif avait le sens de
« combien de ».
Commyncs: « Et luy demanday quunlcs batailles il avoit gai-
11.
190 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
gnées. » Traduisez : « Et je lui demandai combien de batailles il
avait gagnées. »
— Quel que, quelque que. En dehors des exclamations,
quel ne peut plus être séparé de que par un substantif. Nous
ne disons pas comme dans l'ancienne langue : « quel parti que
vous preniez », mais « quelque parti que vous preniez», en re-
doublant que. Le premier que est considéré comme ne formant
qu'un seul mot avec quel; mais « quelque » a ici exactement
le sens de quel, et non pas celui de « quelque )> dans : « il faut
prendre quelque parti. » On voit cependant que les deux sens
sont voisins et se rattachent à la même origine.
Voici, entre beaucoup d'autres, un exemple de quel séparé
de que par un substantif:
Chanson de Roland : « Quel part qu'il ait, ne poet mie caïr. »
Mot à mot : « Quelle part qu il aille, il ne peut point tomber. »
On a dit à l'origine : « Quel ami que vous choisissiez », et en
même temps: « quelque soit l'ami que vous choisissiez. » Puis
ces deux expressions, identiques de sens, ont été confondues
l'une avec l'autre, et « quel que... que » a été transporté de la
seconde à la première, de telle sorte que « quelqu'ami que
vous choisissiez » peut être considéré comme une forme abré-
gée de « quelque (soit 1') ami que vous choisissiez.» On en trouve
des exemples dès le xiu'' siècle.
Quelque, au sens de « un certain, un certain nombre de, »
peut être rattaché aussi à « quel que soit. » Aujourd'hui encore
il n'y a pas une très grande diûerence de sens entre : « Avez-
vous quelque ami? » et « Avez-vous un ami quel qu'il soit? »
On ne s'étonnera donc pas que, dans le mot « quelque », que
ait été d'abord invariable, tandis que quel prenait les flexions
de nombre, de cas et de genre:
Ronum de la Rose : « Ou par quiexque malaventures. )> Mot à
mot : « Ou par quelsque malheurs. »
Quel, dans l'ancienne langue, et quelque dans la langue
actuelle, peuvent être suivis de qui. On dit : (( Quelque ennui
que vous aj'ez », mais :
« Rritannicus est seul; quelqii'cnnm qui le presse... »
C'est que le pronom relatif est régime du verbe dans la pre-
mière phrase, et sujet dans la seconde.
— Quelconque, que nous employons aujourd'hui comme le
latin quuliscuiHque (ijuel qu'il soit), se décompose parfois dans
SYNTAXE DES ADJECTIFS ET PRONOMS INDÉFINIS. 191
rancieiine langue en « quel qu'onques » c'est-à-dire en « quel
que » et le vieil adverbe onques (latin unquam) qui a le sens de
notre « jamais « non négatif. Aussi trouve-t-on « quel qu'on-
ques » employé à peu près comme synonyme de « quel que. ><•
Onques peut se placer entre quel et que :
Roman de la Violette : « En quel onques liu que ie soie. » Mot
à mot : « En quel lieu que (en quelque lieu que) je sois ja-
m<iis. »
On trouve aussi quelconque que dans le sens de « quelque
que »:
YiUehardouin : k En quelconque lieu qu'il orroieat dire qu'il
tourneroit. » C'est-à-dire : « En quelque lieu qu'ils entendraient
dire qu'il se dirigerait. »
— Qui que, lequel que, quoi que. — Quel est un adjectif
interrogatif. Le pronom interrogatif est lequel ou qui. A priori
on conçoit que ce pronom puisse s'employer de la même
manière que l'adjectif correspondant, et qu'on doive trouver
lequel que ou qui que, aussi bien que quel que. Lequel que
n'est plus en usage, mais se trouve encore dans Bossuet : « Le-
quel des trois que l'on ôte... » Nous tournons aujourd'hui par:
« quel que soit celui que. ■>■>
Qui que et le neutre quoi que sont encore en usage ; « ijui
que vous soyez, quoi que ic fasse. » Mais, par raison d'eupho-
nie, on ne dit plus « qui qui vous le dise. » On emploie l'équi-
valent : <( quel que soit celui qui. » A. côté de « quoi que » l'an-
cienne langue disait aussi « que que », substituant à qiioila.
forme proclili(iue du même pronom.
Chanson de Roland: « Que que Rollanz Guenelon forsfesist. «
C'est-à-dire : « Quoi que Roland ait fait à Ganelon. )>
— Quiconque (aujourd'hui sans pluriel) se décompose par-
fois dans les anciens textes en « qui qu'onques », ou « qui qui
onques» au cas sujet (singulier ou pluriel), et s'emploie au sens
de: «qui que..., quelque soit celui (|ui..., quels que soient
ceux qui... )>
Livres des liois : « Ki ki unches volsissent estre pruveires... »
Mot à mot: « Qui qui jamais voulussent être prêtres... » Nous
dii'ions : « Quels que fussent ceux qui voulaient être prêtres », ou
avec le singulier : « Quiconque voulait être prêtre. »
Quiconque est aussi employé abusivement comme adjectif, au
lieu de quelconque : u un homme quiconque. »
192 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
— Tant, de môme que quant, était tour à tour adverbe et
adjectif indéfini :
Chanson de Roland : « Tanz bons vassals veez gésir par
terre. » Nous dirions aujourd'hui avec l'adverbe tant sui^â de
de : « Vous voyez couchés par terre tant de bons vassaux, w
— Tout a le sens du latin totus, d'où il dérive, dans : « tout
l'animal est bon à manger », c'est-à-dire a l'animal tout en-
tier » ; mais il a le sens du latin omnis dans : « tout animal
peut être bon à quelque chose », c'est-à-dire « un animal n'im-
porte lequel. » Au pluriel, tout a exclusivement le second sens,^
et ne signifie jamais (( tout entier ». Au singulier, c'est l'article
qui précise la valeur de l'adjectif: tout le a le sens de totus, et
tout sans article a généralement le sens de omnis.
Dans l'ancienne langue, tout sans article pouvait avoir les
deux sens :
Chanson de Boland : « Li angles est tute noit a sun cbief. »
Mot à mol : (c L'ange est toute nuit à sa tête. » Mais il faut en-
tendre « toute la nuit. »
Au pluriel, tout est presque toujours accompagné de l'article
(ou d'un adjectif démonstratif ou possessif). Nous disons :
« tous les hommes sont mortels. » L'ancienne langue pouvait
dire : « tous hommes sont mortels. » Notre adverbe toujours
(tous jours), et le nom de la fête de la Toussaiiit (fête de tous
<iaints), s'expliquent par cet ancien usage.
Chanson des Saxons : « Desor toz autres rois auriez le dan-
gier. » Mot à mot : « Sur tous autres rois vous auriez la puis-
sance. » Nous dirions: « sur tous les autres... »
Toul, pris adverbialement, a le sens de « entièrement », et il
est alors invariable, sauf devant un mot féminin commençant
par une consonne. Dans l'ancienne langue l'adverbe tout pre-
nait souvent les mêmes flexions que l'adjectif:
Chanson de Holand : « Set ans tuz pleins. » Mot à mot : (( Sept
ans tous pleins. » Nous dirions: u tout pleins. »
— Un. On trouve le pluriel de un, une, avec des substantifs
qui s'employaient habituellement au pluriel : unes lettres, unes
cornes, etc. C'est comme si nous disions aujourd'hui : « unes
funérailles. »
Joinville : « Et le pendirent par les bras h' unes fourches. »
Un sans article ne peut être pronom c£ue s'il est suivi d'un
complément : u un d'eux. » L'ancienne langue employait plus-
SYNTAXE DU VERBE. 193
li])rement ce pronom, tantôt au lieu de « l'un », tantôt au lieu
de K un homme. »
Commynes : a Lequel avoit pour premier chambellan ung qui
depuis s'est appelé monseigneur de Chimay. »
CHAPITRE IX
SYNTAXE DU VERBE
EMPLOI DES DIFFÉRENTES ESPÈCES DE VERBES
I. — Verbes auxiliaires « Être » et « Aller »
suivis du gérondif-participe.
§ 427. — Les auxiliaires avoii^ et être s'employaient,
comme de nos jours, pour former plusieurs temps du
verbe : le passé indéfini, le plus-que-parfait, etc.
s; 428. — L'auxiliaire être, à ses divers temps, suivi du
[jarticipe présent des verbes, servait également à rempla-
cer les temps correspondants de ces verbes ; on disait :
« je suis arrivant », dans le sens de « j'arrive ».
Chanson de Gaydon : « Sainte Marie, car me soiez ai-
dons ! » C'est-à-dire : « Sainte Marie, aidefi-moi ! »
>; 429. — Avoir et être ne sont pas les seuls verbes
auxiliaires de la langue française. Les verbes aller, devoir
(au présent ou à l'imparfait), suivis do l'infinitif d'un
autre verbe, perdent souvent leur valeur propre, pour
ne \)\u^ exprimer qu'une nuance du futur : « je vais vous
le dire, j'allais me tromper, il doit ou il devait partir
demain. »
ij 430. — Dans l'ancienne langue l'auxiliaire aller s'em-
ployait encore avec le gérondif, de la même façon que
être avec le participe présent. On disait : « il allait par-
lant » pour « il parlait ».
494 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Chanson d'Aliscans : « Li gentix quens s'areste mainte-
nant, A Damedieu va son gage rendant. »
Traduisez : « Le noble comte s'arrête maintenant, au
seigneur Dieu il rend son gage. »
Quand nous employons aujourd'hui cette tournure, nous
laissons à aller quelque chose de sa valeur propre. La
locution» il va disant que... » contient à la fois l'idée d'aller
et celle de di7'e, et n'est pas synonyme de : « il dit que... »
II. — Verbe suppléant « faire ».
§ 431. — J'appelle verbe suppléant le verbe faire,
quand il sert à éviter la répétition d'un autre verbe, par
exemple qnand on dit : « Il court mieux que vous ne faites »,
c'est-à-dire « que vous ne courez. » Ce verbe s'employait
plus fréquemment ainsi dans l'ancienne langue, et même
pour suppléer un verbe exprimant un état et non une action.
Chanson de Roland : (^ Mielz en valt l'or que ne funt
cinq cenz livres. » Mut à mot : « Mieux en vaut l'or que ne
font (valent) cinq cents livres. »
Yzopet de Lyon : « Li enfes miez ainme une pome Qu'il
ne fait avoir ne richesse. »
Traduisez: « L'enfant aime mieux une pomme qu'il ne
fait (qu'il n'aime) biens ni richesse. »
III. — Verbes transitifs, intransitifs et réfléchis.
Variations générales dans les acceptions des verbes.
'^ 432. — Certains verbes, (jui à l'origine étaient intran-
sitifs, ont pris une ou plusieurs XQ\c,\xr?> transitives, et d'au-
tres, qui étaient d'abord transitifs, sont devenus intransi-
tifs; et ces diverses acceptions d'un même verbe ont vécu
côte à côte, ou se sont sul)slituées l'une à l'autre. Ainsi
« descendre » est d'abord iutransitif (descendre d'une
SYNTAXE DU VERBE. 195
montagne) ; puis on a dit et on dit encore transitivement
« descendre un escalier », et « descendre (faire descen-
dre) un tonneau dans une cave ». En outre, des verbes qui
ont toujours été ou sont devenus intransitifs ont encore ou
ont eu une forme réfléchie : se mourir, se partir. Tantôt
c€tte forme réfléchie se rattache à une ancienne valeur
transitive : le sens primitif de /Jariir étant « séparer », « se
partir de quelqu'un » équivalait à « se séparer de quelqu'un.» ■
Tantôt le se est explétif, comme dans : se mourir.
§ 433. — L'étude détaillée des acceptions des verbes
rentre dans le vocabulaire et non dans la syntaxe. Nous
nous contenterons de signaler ici un certain nombre de
verbes que l'on trouve employés avec des acceptions dif-
férentes de la valeur actuelle :
— Accorder. On a dit : « s'accorder que )> dans le sens de
« être d'avis que. »
Jolnvilte : « Je m'acort que nous nous lassons louz tuer. »
Mol à mot : » Je m'accorde que nous nous laissions tous tuer. »
Ou trouve aussi « accorder ù )> dans le sens de « concorder
avec, s'accorder avec. »
Charles cVOrlcans : « Adonc congneuquc ma pensée Accordoit
à ma destinée. »
Tiadnisez : « Alors je connus que ma pensée s'accordait avec
ma doslinée. »
— Accoucher et s'accoucher avaient d'abord le sens géné-
ral de « so conclicr. »
Joinville : « Et pour lesdiles maladies acouchai ou lit mala-
des » Mot <à mot: « Et pour Icsditcs maladies j'accouchai au q
lit malade, n C'est-à-dire : «je me couchai. »
— Allaiter a souvent le sens de « téter » :
Beaumanoir : « Un cnfes qui alaiteroit sa mère. » Traduisez :
« Un enfant qui téterait sa mère. »
— Apparaître. On trouve « apparaître » et « s'apparaître »
avec la même signification :
Beaumanoir : a Que nus ne se fust apanis contre eus. » Tra-
duisez : « Que nul n'eîd apparu conlre eux. »
196 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
— Arrêter. On trouve arrêter intransilif avec le sens de
« s'arrrter » :
Communes : « Le cardinal Balue qui peu y aresta. » Tradui-
sez : « Qui s'y arrêta peu. «
Nous employons encore « arrêter » intransilif dans certaines
locutions, et notamment à l'impératif: « Arrêtez! »
— Arriver est transitif dans les sens de « aborder (un pays) »
et de « faire aborder » :
Joinville : u Cil qui nous conduisoient,.. nous ariverent devant
une herberge. >> C'est-à-dire : « Ceux qui nous conduisaient
nous firent aborder devant un campement. »
Froissart : « L'Angleterre est un pays moult dangereux à ar-
river. )>
— Avaler a d'abord le sens de « descendre » et de « faire
descendre. >■> On disait « avaler (descendre) un escalier >) et
« avaler (abaisser) un pont levis. « Il y avait aussi la forme ré-
fléchie « s'avaler », dans le sens de « descendre. »
Froissart : « Environ deux cents lances s'avalèrent devers
Maing. »
Aujourd'hui, « avaler » ne signifie plus que « faire descendre
par le gosier », comme dans ce passage de Joinville :
« Pour ce que il peussent la viande maschier et avaler aval. »
— Combattre. On trouve « se combattre à » dans le sens
de « se balLre avec ».
Joinville : « Se combatent li anemi à nous touz les jours. »
— Conseiller a quelquefois le sens de « consulter. »
Yzopet de Lyon: « Li rois... ses barons consoi7/e. » C'est-à-
dire : « Le roi.. . consulte ses barons. »
« Se conseiller », et « conseiller » intransitif, ont aussi les sens
de « prendre conseil » et de « décider ».
Joinville : « Et lour requist que il li aidassent à conseillier
comment Ton dcpartiroit ce que l'on avoit gaaingnié en la ville. »
C'est-à-dire : « Et il leur demanda qu'ils l'aidassent à décider
comment on partagerait ce qu'on avait gagné dans la ville. »
— Croître a eu au moyen âge, et jusqu'au xvii'^ siècle, l'ac-
ception transitive de « faire croître, augmenter. » Corneille dit
encore :
« M'ordonner du repos, c'est croître mes malheurs. »
— Crouler a d'abord le sens transitif de « rcznucr ».
SYNTAXE DU VERBE. 197
Chanson de Roland: « De sun algier ad la hanste crollée. n
Mot à mot : « Il a croulé le bois de son javelot. » La Fontaine
dit encore :
(< Jupin croulant la terre.... »
— Délibérer. On trouve « se délibérer de « dans le sens de
« se décider à. » >
Commynes : <c II se délibéra aussi de marcher au devant de
luy. ).
— Dérober signifie d'abord « dépouiller » :
Joinville : « Et li conta que il aloient par les rues forainnes
pour desrober la gent. » Traduisez : « Et il lui conta qu'ils al-
laient par les rues écartées pour dépouiller les gens. »
Molière dit encore : « Pour aller ainsi vêtu, il faut que vous
me dérobiez. »
— Descendre. La vieille langue avait la forme réfléchie « se
descendre >i.
Joinville : « Et loerent au roy que il se descendist de la nef. »
C'est-à-dire : « Et ils conseillèrent au roy qu'il descendit de la
nef. »
— Dormir. On trouve « se dormir » :
Chanson de Roland : « Caries se dort. » '
— Echapper. On trouve « échapper quelqu'un » au heu de
« échapper à quelqu'un. » Bossuet écrit encore :
« Nul ne peut échapper les mains de Dieu. »
— Ecrier se disait aussi bien que « s'écrier », et dans le
môme sens, ou dans le sens de a crier ». On disait aussi transi-
tivement « écrier quelqu'un », c'est-à-dire : « crier contre quel-
qu'un ».
Joinville: « Quant il les vit, il les escria et lour dist que il y
mourroient. » Traduisez : « Quand il les vit, il cria après eux et
\(',uv dit qu'ils y mourraient. »
— Emparer. Nous avons perdu le verbe transitif « emparer »,
qui .signifiait « fortifier. »
Alain Chartier: a Celuy an emparèrent les Anglois la viUe de
Saincl Jame do Beuron. » C'est-à-dire : « les Anglois fortifièrent
la ville. »
S'emparer de a donc signifié d'abord : se fortifier de.
— Marcher. On trouve : « inarclicr quelque chose )>.
498 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Rutebeuf: « A vos piez la marchiez. « Mot à mot : « Marchez
la à vos pieds. »
— Partir. Le vieux sens transitif de partir est conservé dans
les composés « répartir, départir », et dans la locution « avoir
maille à partir », c'est-à-dire : « avoir sou à partager, avoir
sujet de querelle. »
— Survivre est employé comme verbe transitif:
Chanson de Roland : « Tut survesquiet e Virgilie e Orner. »
Mot à mot : « Il survécut et Virgile et Homère. » C'est-à-dire :
<c et à Virgile et à Homère. »
— Tomber. On trouve souvent tomber avec un régime direct,
dans le sens de « faire tomber. » Le peuple dit encore aujour-
d'hui : « tomber quelqu'un. »
Alain Chartier : « Et pour ce abbattoient et tumboient tout ce
qu'ils trouvoient à eulx contraire. »
— User s'emploj'ait avec le même sens comme verbe tran-
sitif et comme verbe intraiisitif, tandis qu'aujourd'hui user tran-
sitif a une signification toute spéciale (celle d'épuiser, achever).
On disait indifféremment « user d'une coutume » et « user
une coutume. »
Auxiliaires qui servent à conjuguer les verbes transitifs,
intransitifs et rcflcchis.
§ 434. — Tous nos verbes transitifs se conjuguent avec
l'auxiliaire avoir. Mais on peut imaginer des verbes tran-
sitifs prenant l'auxiliaire cire, comme les déponents latins.
L'ancienne langue en fournit quelques exemples ;
Commynes : « Le roi cstoit passé la montagne. »
Ibidem : « Les entrepreneurs dessus dits se trouvèrent
mal suivis, et, estant montez les degrez dudit palais... »
§435. La plupart des verbes intransitifs qui remontent
à l'origine de notre langue se conjuguent avec l'auxiliaire
être. Mais un mouvement insensible de la langue conduit
tous les verbes ialransitifs de l'auxiliaire être à l'auxiliaire
avoir. Plusieurs d'entre eux sont arrivés à se conjuguer
des deux façons, et des distinclions de sens plus ou moins
SYNTAXE DU VERBE. 199
exactes ont été établies par les grammairiens entre les
deux modes de conjugaison, par exemple pour sortir.
§ 436. — Les verbes réfléchis prennent l'auxiliaire être.
Mais on trouve quelques exemples de l'emploi de l'auxi-
liaire avoir.
Roman de Brut : « Mais Conan s'a bien défendu. »
EMPLOI DES DIFFÉRENTES FLEXIONS DU VERBE
I. — Nombres et personnes.
§ 437. — Avec certains mots collectifs comme sujet, le
verbe se met encore au pluriel : « la plupart sont venus. »
Cette règle s'appliquait dans l'ancienne langue à d'autres
noms, par exemple à gcnt (race, nation, troupe), à géné-
ration (au sens de tribu), etc.
Joinville: « Jusques à sa gent qui estaient sur la rive de
la mer. »
Ibidem : « La generacions dont l'on devoit faire roy es-
llroient entre lour... » Mot à mot : « La tribu d'où l'on
devait faire un roi éliraient entre eux. »
§ 438. — Quand nous disons : « c'est moi », ce est traité
comme le sujet du verbe, et moi comme l'attribut. Logi-
quement c'est le pronom personnel qui devrait être sujet,
et par conséquent le verbe devrait êtro à la première per-
sonne : « ce suis-je. » On disait ainsi dans l'ancienne lan-
gue, et de môme : c''cs tu, c'est-il, ce sommes-nous, c'estes-
vous, ce sont-ils (puis ce sont eux, qui est reste).
Roman de Bcrthe: « Se c estes vous. » Nous dirions : « si
c'est vous. »
200 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
II. — Modes et temps.
Infinitif et gérondif.
1 . Particularité commune à l'emploi du gérondif et de l'infinitif.
§ 439. — Sauf quelques exceptions indiquées par
l'usage on ne peut employer aujourd'hui un infinitif ou un
gérondif après une préposition, que si le sujet (non ex-
primé) de cet infinitif ou de ce gérondif est le même que
celui du verbe principal. « Je lui ai donné un jouet avant
de partir » signifie : « je lui ai donné avant qj.ie je parte »
et non « avant qu'zï parte. » On ne dirait pas : « Je l'ai
interrogé avant de s'amuser », bien que, dans cette phrase,
il n'y ait pas d'équivoque possible. L'ancienne langue ne
connaissait pas cette règle :
Commynes : « Geulx de dedans tuèrent ung herault en
les allant sommer. » C'est-à-dire : « Ceux de la ville tuè-
rent un héraut alors qixil allait les sommer. »
Ibidem: « Une querelle qui est digne d'estre racomptée,
pour veoir les œuvres et la puissance de Dieu. » C'est-à-
dire : « Une querelle qui est digne d'être racontée pour
qu'on voie la puissance de Dieu. »
2. Infinitif pour l'impératif.
§440. — Au lieu de l'impératif, quand il devait être ac-
compagné d'une négation, l'ancienne langue employait
souvent l'infinitif, quelquefois avec un sujet au cas ré-
gime. L'infinitif a encore une valeur semblable.
Yzopet de Lyon : « Es biens dou monde ne le croire. »
C'est-à-dire : « Ne crois pas en les biens du monde, il ne
faut pas que lu croies aux biens du monde. »
3. Infinitifs pris substantivement.
§441. — On ne peut (■iiip](!yor aujourd'hui substanti-
SYNTAXE DU VERBE. 201
vement que certains infinitifs (le manger, le boire), et, si
on admet quelquefois un complément indirect après ces
infinitifs (au sortir de table), on n'admettrait pas un com-
plément direct. L'ancienne langue en usait plus libre-
ment.
Joinville : « Et aupenre congié que il fesoit à aus. » Mot
à mot : « Et au prendre congé qu'il leur faisait. » C'est-à-
dire : « en prenant congé d'eux. «
4. Infinitif après la préposition « en ».
§ 442. — Après la préposition en, l'ancienne langue,
comme la langue actuelle, remplaçait l'infinitif par le gé-
rondif. On trouve cependant quelques exemples de l'infini-
tif; mais alors en n'a pas la valeur qui lui est habituelle
devant le gérondif:
Joinville : « En ces choses a^^éer mist-il jusques à midi. »
Mot à mot : « Fn arranger ces choses, il mit jusqu'à midi. »
Nous dirions aujourd'hui : « pour arranger. »
5. Temps de 1 infinitif.
§ 443. — Lorsque le verbe auquel est joint l'infinitif est
à un temps du passé, et que le temps de l'action exprimée
par l'infinitif est tel que nous le marquerions par un im-
parfait si nous pouvions employer l'indicatif ou le sub-
jonctif, nous nous servons de l'infinitif présent et non de
l'infinitif passé : « je l'ai vu arriver (j'ai vu qu'il arrivait),
et non «je l'ai vu être arrivé)^. Mais on trouve parfois dans
les anciens textes l'infinitif passé :
Joinville: « Li legas... me dist que je ne le deùsse pas
avoir refusei. » Mot à mot : « Le légat me dit que je n'aurais
pas dû Vavoir refusé. » Nous dirions: « le refuser ». Mais
avec un autre mode on emploierait l'imparfait : « il aurait
fallu que je le refusasse ».
202 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
§444. — Dans quelques cas très rares, nous employons
encore l'infinitif passé avec des phrases analogues ; mais
alors nous mettons le verbe principal au présent : « Puisse-
t-il être arrivé à temps ! » Logiquement il faudrait dire :
« Qu'il ait pu arriver à temps ! » On expliquera de même
ce passage de Gommynes : « Nostre seigneur le veuille
avoir receu en son royaulme de paradis. » C'est-à-dire :
« Que notre Seigneur ait voulu le recevoir ! »
6. Gérondif.
§ 445. — Le gérondif ne s'emploie plus qu'après la pré-
position en, ou, dans quelques locutions consacrées, sans
préposition (chemin /aisan?). On le trouve aussi transformé
en substantif dans quelques expressions comme : « en ou
de son vivant. » Ces différents emplois étaient beaucoup
plus étendus dans l'ancienne langue. On disait, par exem-
ple : « en son voyant », comme nous disons encore : « en
son vivant. »
Chanson de Roland : « Desfîles en. Sire, vosire veiant. »
Mot à mot: « Je les en défie. Sire, en votre voyant. » C'est-
à-dire: « sous vos yeux. »
§ 446. — On trouve quelquefois le gérondif après
d'autres prépositions que en.
Joinville : « Li roys ot, par la paiz fesant, grant coup
de la terre le conte. » C'est-à-dire : « Le roi eut, en faisant
la paix, beaucoup de la terre du comte. »
§ 447. — Enfin, dans certaines locutions telles que « il fit
entendant », au lieu de « il fit entendre », le gérondif est
employé comme une sorte de cas régime direct :
Joinville: « Li frère Joseph... découpèrent sa cote.. . et
la portèrent lour père, et li firent entendant que très pes-
mes bcstcs l'avoient devourci. » C'est-à-dire : « Les frères
de Joseph découpèrent sa robe et la portèrent à leur père,
SYNTAXE DU VERBE. 203
et lui firent entendre que de très mauvaises bêtes l'avaient
dévoré. »
Participe présent.
§ 448. — Dans l'ancienne langue, le participe présent
était variable comme un ajectif ordinaire.
Commynes : « ... ou à faire quelque libéralité ou autre
chose de grâce, qui toutes sont choses appartenantes à
leurs offices. »
Participe passé.
1. Accord du participe employé avec l'auxiliaire avoir.
§ 449. — Dans les formes passives, le participe s'est
toujours accordé avec le sujet, comme un adjectif attri-
but : « Elle est poursuivie. » Mais dans les temps compo-
sés de la voie active l'accord du participe est plus difû-
ciJe à régler.
§450. — Le participe joint à l'auxiliaire avoir doit lo-
giquement s'accorder avec le régime direct. Car « j'jii lu
ces livres » équivaut à « j'ai ces livres comme lus ». Le
participe est là un adjectif qui qualifie le régime direct.
Aussi voit-on souvent, dans les anciens textes, que le par-
ticipe s'accorde avec lecomplément à\Yecï, quelle que soit la
place de ce complément, qiCil soit avant ou après le verbe.
Chanson de Roland : « Cruisiécs ad ses blanches mains. »
Mot à mot : « Croisées il a ses blanches mains. »
Joinville : « Avons ci-arière escriptes partie de bones
paroles et de bons enseigncmens noslre saint roy Looys. »
Mot à mot : « Nous avons ci-devant écrites une partie des
bonnes paroles et des bons enseignements de noire saint
roi Louis. » Le partipc écrit est ici au pluriel parce que
« partie » est un nom collectif.
§451. — Toutefois on trouve, môme dans l'ancienne
langue, de nombreux exemples de parliciDCs invariables
204 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
(même quand le complément précède le verbe) ; c'est qu'a-
lors le participe est considéré comme faisant avec l'auxi-
liaire une locution indivisible, dont la seule partie variable
doit être celle qui inarque les personnes, c'est-à-dire l'auxi-
liaire, tandis que le participe passé devient invariable
con^me le radical dans les temps non composés.
Joinville : « Leur aumosnes que ti devancier leur auront
donné. » Nous dirions : « Les aumônes que tes devanciers
leur auront données. »
2. Participe avec « être » dans la conjugaison des verbes neutres
et des verbes réfléchis.
§ 452. — Dans les verbes neutres ou intransitifs qui se
conjuguent avec l'auxiliaire êti^e, le participe s'est toujours
accordé avec le sujet : « elle est venue. »
§ 453. — Quant aux formes réfléchies, il y a deux ma-
nières'de les considérer. Prenons comme exemple : « ils se
sont amusés. » Au point de vue du sens, amusé doit èlre
assimilé à un participe accompagné de l'auxiliaire avoir
dans la conjugaison transitive : « après avoir amusé les
autres, ils se sont amusés eux-mêmes. » Dans cette phrase,
les deux participes ont évidemment le même sens. Mais au
point de vue de la forme, il y a un rapport non moins évi-
dent entre « ils se sont amusés » et « ils sont venus ». Sui-
vant que l'on donnera la préférence à l'une ou l'autre de
ces assimilations, le participe devra s'accorder avec le ré-
gime direct ou avec le sujet. Dans les verbes réfléchis pro-
prement dits, le sujet est toujours du môme genre et du
même nombre que le régime direct, puisque, d'après la dé-
finition de ces verbes, c'est la môme personne qui est
représentée par le sujet et par le régime direct. On ne
pouvait donc hésiter que pour le cas du participe. Avec la
première assimilation on devait employer le cas régime, et
SYNTAXE DU VERBE. 203
avec la seconde le cas sujet. C'est la seconde qui a générale-
ment prévalu. On disait donc : « Vostre amis s'est amusés »
et « vostre ami se sont amusé ». Aujourd'hui la question
n'a plus d'importance que pour les formes réfléchies où
le pronom régime est complément indirect : « ils se sont
fait des concessions », c'est-à-dire : « ils ont fait à eux ».
Avec ces verbes, le sujet peut être masculin et le complé-
ment direct féminin, ou inversement, et si le genre est le
môme, l'un peut être pluriel et l'autre singulier. Il importe
donc de savoir si le participe doit s'accorder avec le sujet
ou avec le complément direct. Comme nous venons de le
voir à propos des verbes réfléchis proprement dits, l'an-
cienne langue préférait l'accord avec le sujet. Nous n'nd-
mettons plus que l'accord avec le régime. On dit aujourd'hui:
« les blessures que les combattants se sont faites. » L'an-
cienne langue aurait dit : « les blessures que H combattant
se sont fait. »
Indicatif.
1. Imparfait.
§ 454. — Nous employons quelquefois l'imparfait de
l'indicatif au lieu du conditionnel passé, comme dans ce
vers de Voltaire :
« Si j'avais dit un mot, on vous donnait la mort. »
On trouve des exemples fréquents de cet emploi dans
l'ancienne langue, particulièrement dans Comm^'nes : « Si
ledit duc eust eu la guerre avec les deux royaulmes à une
foys, il estait détruit. »
2. Passé défini et passé indéfini.
§ 455. — L'emploi de ces deux passés n'était pas réglé
aussi rigoureusement qu'aujourd'hui, et nous romplacc-
Clédat. 1 2
206 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
rions souvent, dans les anciens textes, l'un par l'autre-
Ainsi dans ces vers de la Chanson de Roland :
Caries li reis, nostre emperere magnes,
Set anz tuz pleins ad estet en Espaigne :
Tresqu'en la mer cunquist la tare altaigne.
N'i ad castel ki devant lui remaignet.
Mot à mot : « Charles le roi, notre grand empereur, sept
ans tout pleins a été en Espagne ; jusqu'à la mer il conquit
la haute terre. Il n'y a pas de château qui devant lui ré-
siste. » Nous dirions aujourd'hui : « il a conquis. »
§ 456. — Le passé défini était mis souvent à la place de
l'imparfait, surtout avec les verbes avoir, être, et quelques
autres verbes exprimant un état plutôt qu'une action, aimer
par exemple :
Vie de saint Léger : « Al rei lo duistrent soi parent... Gio
fud Lothiers. » Mot à mot : « Ses parents le conduisirent
au roi; ce fut Lothaire. » Nous dirions : « G était Lothaire. »
Joinville : « Quant ele sot qu'il fu croisiez. » Mot à mot :
« Quant elle sut qu'il fut croisé. » Nous dirions : « qu'il
était croisé. »
3. Passé antérieur.
§ 457. — Le passé antérieur est quelquefois employé
avec la simple valeur d'un passé indéfini :
Chanson de Roland : « Li emperere out sa raison fenie ;
Li quens Rollanz... En picz se drecet. » Mot à mot : « L'em-
pereur eut fini son discours, le comte Roland se lève. »
Nous dirions : « l'empQreur a fini son discours. »
§ 458. — Le passé antérieur est formé avec le passé dé-
fini de l'auxiliaire avoir ou êli^e, et le plus-que-parfait avec
l'imparfait du même auxiliaire. Or nous avons vu que le
passé défini d'avoir et d'être s'employait souvent dans l'an-
cienne langue au lieu de l'imparfait. On ne s'étonneradonc
pas de {ronvQYlepassé antérieur aulicu du plus-que-parfait.
SYNTAXE DU YERBE. 207
Joinville : « Nous trouvâmes que uns forz venz ot rom-
pues les cordes. » Mot à mot : « Nous trouvcâmes qu'un fort
vent eut rompules, cordes. » On dirait aujourd'hui : « avait
rompu. »
Subjonctif.
1. Imparfait.
§ 459. — L'imparfait du subjonctif a souvent, dans l'an-
cienne langue, la valeur d'un conditionnel présent ou celle
d'un conditionnel passé. « Il chantast » peut signifier : « Il
chanterait », ou « il aurait chanté. »
Chanson de saint Alexis: « E Deus ! dist-il... ici ne volsisse
estre. » Mot à mot : « Eh Dieu! dit-il, je ne voulusse pas
être ici. » C'est-à-dire : « je ne voudrais pas être ici. »
Joinville : « Et quant li roys vint à Poytiers, il vousist bien
estre arieres à Paris. » Mot à mot : « Et quand le roi vint à
Poitiers, il voulût bien êlre de retour à Paris. » C'est-à-
dire : « il aurait bien voulu. »
§ 460. — Le conditionnel présent, ou l'imparfait de l'in-
dicatif qui le supplée après si (s'il e7a«7 ici), sont encore aujour-
d'iiui remplacés par l'imparfait du subjonctif: 1° quand on
sous-entend la conjonction conditionnelle, dans les tour-
nures telles que :« Fût-'û ici, j'irais; » 2° après ç'i^c suppléant
si : « s'il venait et que nous fussio7is ici... » 3° dans tous
les cas 011 l'indicatif doit être remplacé par le subjonctif :
« Je ne crois pas qu'il vînt, même si vous lui écriviez. »
Mais aujourd'hui l'imparfait du subjonctif ne peut avoir
la valeur d'un conditionnel passé.
§ 461. — L'imparfait du subjonctif est quelquefois em-
ployé, dans l'ancienne langue, avec le sens du parfait du
subjonctif :
Joinville : « Nous sommes ou plus grant péril que nous
fussiens onques mais. » Mot à mot : « Nous sommes dans
208 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
le plus grand péril que nous /"ussiows jamais. » On dirait
aujourd'hui : « oii nous a?/ons jamais été. »
2. Emploi du mode subjonctif,
§ 462. — L'ancienne langue employait le subjonctif dans
beaucoup de cas où nous mettrions aujourd'hui l'indicatif.
Ainsi après cuider (penser), penser, croire et autres verbes
analogues :
Joinville .•« Je cuidoie vraiement que il fiist courrouciez à
moy. » Mot à mot: «je pensais vraiment qu'il fût cour-
roucé contre moi. » Nous dirions : « Je pensais qu'il était. »
§ 463. — Après « ilsemble », on trouve tantôt le subjonc-
tif et tantôt l'indicatif. Voici des exemples du subjonctif :
Joinville : « Il li sembloit que toute sa cliambre fust
pleinne de Sarrazins. »
Comrnynes : « Il sembloit bien à son visaige qu'il en fust
estonné. »
§ 464. — Quand le verbe de la proposition principale
était au subjonctif, celui de la proposition incidente se
mettait souvent au même mode :
Chanson de Roland : « Trestut seit fel ki n'i fierget ad
espleit. » C'est-à-dire : « Félon soit qui n'y combatte de
tout cœur. » Nous emploierions aujourd'hui l'indicatif:
« qui n'y combattra. »
Ibidem: « Mais tut seit fel, chier ne se vende primes. »
C'est-à-dire : « Félon soit qui ne se vende cher d'abord. »
Nous (lirions : « qui ne se vendra. »
55 465. — Après la conjonction si, on trouve souvent un
imparfait ou un plus-que-parfait du subjonctif (aujour-
d'hui encore le plus-que-parfait) avec la valeur d'un con-
ditionnel : <( s'<7 vonlust ou s'il eust voulu, nous l'aurions
aidé; s^il voulust, nous l'aiderions. » Dans les phrases sem-
blables le subjonctif ne doit pas être attribué à l'influence
SYNTAXE DU VERBE. 209
de la conjonction; il s'explique par l'équivalence absolue
(même sans conjonction) de ces temps du subjonctif et du
conditionnel. Voyez plus haut § 459.
§ 466. — Mais, en dehors de ce cas, on a souvent
dans les anciens textes le subjonctif après si (particulière-
ment après si accompagné dune négation) :
Chanson de Roland: « Li quens Rollanz unkes n'amat
cuard... Ne chevalier, s'il ne ftist bons vassals. «Mot à mot :
« Le comte Roland n'aima jamais un couard, ni un cheva-
lier, s'il ne fût bon vassal. » Nous dirions: « s'il n'était. »
Ibidem : « iS'en ma mercit ne se culzt a mes piez... Jo h
toldrai la curune del chief. » Mot à mot : « S'il ne s'étende
(se couche) à mes pieds, à ma merci... » Nous dirions :
« S'ïi ne s étend. » Avec le verbe couche)' il n'y a plus au-
jourd'hui de différence, au singulier, entre le présent du
subjonctif et celui de l'indicatif; mais dans l'ancienne
langue l'indicatif aurait été culchet, et non culzt.
t; 467. — Inversement, dans beaucoup de cas où. aujour-
d'Iiui on emploie obligatoirement le subjonctif, l'ancienne
langue pouvait mettre l'indicatif ;
Après les superlatifs :
Commynes : « Et l'ay veu le plus pouvre roy, habandonné
de ses serviteurs, que]Q ueis jamais. » Mot à mot: « ... que
je vis jamais. » Nous dirions : « que j'a/e jamais vu. »
Après sans que :
Joinville : « Li roys, sanz ce que nulz ne l'en prioit, nous
dist... » En français actuel : «Le roi, sans que personne
Y en priât, nous dit... »
Accord des temps.
1. Accord de coordination, et de subordination non complétive
§468. — L'ancienne langue mélangeait très facilement
12.
210 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
le présent historique et le passé, et les différents temps qui
s'accordent avec l'un ou l'autre.
Vie de saint Léger : « Li perfides tam fud cruels Lis ois
del cap li fai crever. » C'est-à-dire : « Le perfide fut si
cruel qu'il lui fait crever les yeux de la tête. » Nous di-
rions : « Le perfide fut (ou était) si cruel qu'il lui fit... » ou
bien : « Le perfide est si cruel qu'il lui fait... »
2. Accord de subordination complétive.
§ 469. — L'accord de subordination dans l'ancienne
langue repose sur les mêmes principes que dans la langue
actuelle. Ce n'est pas le lieu de dégager ici ces principes
des applications plus ou moins illogiques qui en ont été
faites, particulièrement de nos jours *. Mais si l'on tient
compte de l'emploi fréquent du subjonctif pour le condi-
tionnel, emploi qui était alors parfaitement régulier, et du
mélange plus libre qu'aujourd'hui du présent historique
et du passé ; si d'autre part on recherche pour chaque
exemple les conditions logiques de l'accord, on verra que
sur ce point, comme sur les autres, ce n'était point l'arbi-
traire qui régnait dans les usages de la vieille langue-
CHAPITRE X
SYNTAXE DE LA PRÉPOSITION
Nous examinerons les principales prépositions dans
t'ordre alphabétique.
'• Je renverrai pour cette question h l'article que j'ai publié dans
i'vsVuaire de la faculté des lettres de Lyon (!'« année, fasc. II,
Mv
SYNTAXE DE LA PRÉPOSITION. 211
I. — Principales valeurs de la préposition « à ».
§ 470. — La préposition «à», qui se raltaclie aux pré-
positions latines ad, apud, ah, a trois valeurs principales.
Elle indique : 1° mouvement vers, ou, dans l'ordre moral,
tendance; 2° séjour ou élat; 3° mouvement hors de ou orirjine.
Exemples : « Tu vas à Rome; je suis à Paris; il a pris
au tas. »
Ces trois valeurs principales se subdivisent en un grand
nombre de sens particuliers, fort éloignés quelquefois du
sens primitif. Nous allons passer en revue celles de ces
signiiications dont l'usage a varié.
II. — Divers sens de « à » se rattachant à l'idée
de «mouvement vers, tendance».
Sens général.
§ 471. — « A » n'est pas notre seule préposition mar-
quant « mouvement vers ». Nous avons encore en, dans,
vers, et quelques autres, que nous employons «souvent, an
lieu de « à », suivant des distinctions qui ne peuvent être
étudiées ici. Ainsi nous disons <( entrer dans le pays » et
non « entrer au pays ». Nous disons : « aller à Paris », mais
« chevaucher vers Paris ». Comme ces distinctions sont
(luelqucfois très légères, on ne s'étonnera pas de voir
l'ancienne langue em[)loyer « à », pour marquer mouve-
ment vers, là où nous mettrions une autre préposition :
Villehardouin : « L'empereres... chevaucha à une autre
cité ».
Froissart : « Quand ils veulent entrer au royaume
d'Angleterre. »
212 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
A devant le complément indirect.
§ 472. — Quand le complément indirect est uni au
verbe non seulement par l'idée précise de « mouvement
vers », mais par toute autre idée voisine, il est générale-
ment précédé de la préposition à : « Il a donné son livre à
son frère, cette route sert à tout le monde ». Dans l'an-
cienne langue, le verbe/u^cr prenait ainsi, comme complé-
ment indirect précédé de à, le nom delà peine prononcée :
juger à mort, comme on dit : condamner à.mort. Yoltaire
écrit encore : « Il fut jugé à mort unanimement ».
§ 473. — Les locutions verbales « avoir amour, avoir
haine » avaient aussi un complément précédé de à :
Commynes : « Pour quelque haine particulière que j'au-
rois à eux. »
Ibidem : « Les autres ont trop d'amour à leurs biens. >•
Nous disons aujourd'hui : « avoir de l'amour joour quel-
qu'un », mais nous employons encore avec la préposition
« à » la locution verbale « avoir droit ».
A marquant le rapport de possession.
§ 474. — T Après le verbe, à marque régulièrement le
rapport de possession : « ce livre est à Pierre. » Mais entre
deux noms, ce rapport est généralement marqué par la
préposition « de ». Cependant nous disons : « un ami à
moi ». Cet emploi de à était fréquent dans l'ancienne lan-
gue, et l'est encore dans la langue populaire :
Chanson de Roland: « En curt a rei », c'est-à-dire « en
cour de roi ».
Roman de Berthe : « Que jamais ne dirai que soie fille
à roi ».
Froissart : « Edouard 11, qui l'ut père au gentil roi
Edouard »,
SYNTAXE DE LA PRÉPOSITION. 213
A au lieu de pour devant un infinitif,
§ 475. — Après les substantifs, et dans certaines locu-
tions consacrées, nous employons à au lieu dejooitr devant
un infinitif : « verre à boire; il a de la peine à se lever. ».
Ces locutions se rattachent à un usage ancien plus étendu :
Beawnanoir : «Les dismes furent establies... à sainte
Eglise soustenir. » Nous dirions : « pour soutenir l'Église. »
Alain Charlier : « Ainsi que s'ils estoient nés seulement
à boire et à manger. »
§ 476. — Dans verre à boire, l'infinitif conserve le sens
actif; mais souvent la préposition à, après un nom ou un
adjectif, donne à l'infinitif qui suit la valeur d'un infinitif
passif: « eau à boire », c'est-à-diro : «eau pour être bue »;
« bon à cacher », c'est-à-dire : « bon pour être caché »;
« homme à éviter », c'est-à-dire : « homme pour être
éviti-, digne d'être évité ». L'infinitif, ainsi précédé de à,
équivaut au participe futur passif des Latins. Cette valeur
spéciale de à se retrouve dans les vieilles locutions lelles
que : « désireux de son père à venger », sur lesquelles nous
reviendrons dans le chapitre des gallicismes.
A et non de devant un infinitif.
§477. — Quand un infinitif dépend d'un autre verbe,
nous le faisons souvent précéder de l'une des prépositions
« de » ou « à», et quelquefois nous hésitons entre les deux :
« obliger à faire ou de faire ». Dans l'ancienne langue on
trouve fréquemment** à »là où nous mettrions f/e, quelque-
fois même là où nous ne mettrions aucune préposition
Après « craindre » ;
ViUi'hardouin : « conie cil qui crentoient à perdre toute
la terre. » Mot à mot : « comme ceux qui craignaient à
perdre toute la terre. »
214 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Commynes : « Il ne craignoit point fort à mettre en péril
ung sien serviteur ».
Après « oublier » :
Châtelain de Coucy : « Pour ce, n'ai je mie oublié à
aimer bien et loiaument ».
Joinville : « Je vous avoie oublié à dire ». C'est-à-dire :
<( J'avais oublié de vous dire. »
On disait aussi « laisser à », dans le sens de « cesser
de ».
Roman de la Rose : « Que me laissiez à chastier. »
On trouve encore :
Il convient à, au lieu de il convient de ;
Jurer à — jurer de ;
Désirer à — désirer de, ou désirer saiis prépos.
A au lieu de pour dans le sens de : pour une durée de.
§ 478. — Villehardouin écrit : « Il n'avoient viandes
à plus de trois semaines. » C'est-à-dire : « Ils n'avaient pas
de vivres ^90i<r plus de trois semaines. »
Cette valeur de à est conservée dans les termes juridi-
ques : « travaux forcés à temps, à perpétuité », c'est-à-
dire : « pour un temps, pour toujours. »
A au sens de à. titre de, comme.
§ 479. — Nous disons encore : « tenir à honneur, pren-
dre à témoin, être à charge ». Ces locutions étaient beau-
coup plus nombreuses dans l'ancienne langue :
Chanson de Roland: « E cil de France le claiment à
guarant. » C'est-à-dire : « Et ceux de France l'appellent
comme garant, comme protecteur. »
Joinville: « Au roy apportèrent divers joiaus à présent.»
C'est-à-dire : «Ils apportèrent au roi divers joyaux e« pré-
sent, comme présent. »
SYNTAXE DE LA PREPOSITION. 215
Froissart : « Il leur avoit donné à capitaine un moult
gentil prince ». Traduisez : « Il leur avait donné comme
capitaine un très noble prince. »
Commynes : « Il avoit eu à espouse et à femme la sœur
du dit roi Ferrand. » C'est-à-dire : « Il avait eu comme
femme la sœur duditroi Ferrand. »
A dans le sens disirihuiif.
§ 480. — Nous disons encore : « à la douzaine ». Mais
nous ne dirions plus, comme dans l'ancienne langue : « à
douzaine « ou « à douze ».
Chanson de Roland : « Moerent païen à milliers et à
cenz. » Traduisez : « Les païens meurent par^ milliers et
par centaines. »
1,
III. — Divers sens de « à » se rattachant à l'idée \
de « séjour, situation, état ».
Sens général.
% 481. — Nous disons : « Il est au théâtre, il se repose
«M jardin, il est au pays, mal à l'état aigu, il esta portée.»
Mais nous mettons souvent « dans » ou « en », au lieu de
« à », quelquefois obligatoirement. Ainsi nous devrions
remplacer à par une autre préposition dans les exemples
suivants :
Commynes : « II avoit esté dit que l'on se reposeroit deux
fois au chemin ».
Chanson des Saxons : « Touz les princes qu'il pot à sa
terre Irover. » C'est-à-dire : « Tous les princes qu'il put
dans sa terre trouver ».
Roman de Brut: « Qui por lui ert a grant paor ». C'est-
à-dire : « Qui pour lui était en grande peur ».
216 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
A devant un infinitif ou un gérondif au lieu de en suivi
du gérondif.
§482. — « A -{-infinitif «au lieu de « en -{- gérondif» est
une locution encore vivante : « A vaincre sans péril, on
triomphe sans gloire. A le bien prendre... » L'ancienne
langue en offre de nombreux exemples.
On trouve aussi : à disant, à chevauchant, etc., au lieu
de : en disant, en chevauchant, etc.
A, sans idée de mouvement, se rapportant à la durée.
§ 483. — Quand nous indiquons à quel moment de la
durée un fait s'est produit, nous mettons souvent la prépo-
sition à devant le nom ou la locution qui exprime ce mo-
ment; mais souvent aussi nous supprimons toute préposi-
tion : « Il est parti à deux heures ; il s'est marié à trente
ans, il s'est levé au jour. Il est parti deux heures après; il
a commencé le jour où vous êtes arrivé; il est venu ce
soir. » Nous ne pouvons expliquer ici les raisons variées
de cette différence. Nous avons seulement à faire remar-
quer que l'ancienne langue employait plus souvent que
nous la préposition dans les phrases semblables. En voici
des exemples :
Livres des Rois : « David parla à Nostre Seignenr a/ jur
qu'il Tout delivrcd ». Mot à mol : « David parla à Notre
Seigneur au jour qu'il l'eut délivré. » Nous dirions : « le
jour où il le délivra. »
Froissart : « A quarante ans après, il ne seroit pas
recouvré. » Nous dirions : « quarante ans après », sans
préposition.
Châtelain de Couci : « Car vostre sui et serai à tous dis.»
Mot à mot : « car je suis et serai vôtre à tous jours, à
toujours ».
SYNTAXE DE LA PRÉPOSITION. 217
§484. — Devant le mot « temps», précédé de l'adjectif
démonstratif, ou suivi d'un adjectif et non précédé de l'ar-
ticle, nous mettons « en » au lieu de « à » : « en ce temps,
en temps utile. » L'ancienne langue disait aussi : « à ce
temps. »
Froissart : « Et à ce temps là les Escots aimoient et pri-
soient assez peu les Anglois ».
Nous avons conservé l'expression « à temps », dans le
sens de : « en tem.ps utile'. » (Gompar. § 478.)
§ 485. — « A » pouvait encore avoir le sens de « pendant. »
Chanson de Roland : « Ki durerat à trestut tun eage. »
Mot à mot : « Qui durera à toute ta vie. » C'est-à-dire :
« pendant toute ta vie. »
Ibidem : « Ja mar crendrez nul hume à mun vivant. »
C'est-à-dire : « C'est à tort que vous craindrez qui que
ce soit pendant ma vie. »
A au sens de avec
§ 486. — A, comme avec, peut marquer l'instrument,
la manière. On dit: « ouvrage fait à la main ; duel àl'épée ;
parler à voix basse; à haute voix; à peine; à tort ; à rai-
son. » Dans l'ancienne l'ancienne langue, c'était là un des
sens usuels de «à».
Clianson de Roland : « L'olifant sunet a dulur et a
peine. » Traduisez : « Il sonne l'olifant avec douleur et
peine ^. »
Marie de France : « Le col li rumpt à ses deux meins. »
§ 487. — On trouve aussi à comme équivalent de « avec »,
dans le sens de « en compagnie de ».
Villehardouin : « Adonc issi li empereres Alexis par une
autre porte à toute sa force. » Traduisez : « Alors l'empe-
1. Dans cet exemple, « h. » peut aussi cire considéré comme mar-
quant l'état (voyez § 481). C'est d'ailleurs uu des sens de « avec ».
Clédat. 1 3
218 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
reur Alexis sortit par une autre porte avec toutes ses forces. »
§ 488. — Le même sens de « avec » était attribué à une
locution composée de à et de tout invariable : « à tout. »
Joinville : « Li cuens Tybaus de Champaigne... vint
servir le roi à tout trois cens chevaliers. » Traduisez : « Le
comte Thibaut de Champagne vint servir le roi avec trois
cents chevaliers. »
Commynes : « L'arrière ban du Dauphiné à tout quarante
ou cinquante gentilz hommes de Savoye. » Traduisez :
« L'arrière ban du Dauphiné avec quarante ou cinquante
gentilshommes de Savoie. »
C'est là d'ailleurs l'origine de notre substantif « atout »,
terme de jeu.
§ 489. — Cette valeur de à explique l'emploi ancien de
cette préposition après « se battre, se combattre, avoir
guerre. » Nous disons aujourd'hui : « Se battre avec quel-
qu'un, avoir une guerre avec son voisin. » L'ancienne lan-
gue disait: « Se battre ou se combattre à quelqu'un, avoir
guerre à son voisin. »
A suivi d'un adjectif.
§ 490. — Nous disons : « à découvert, à froid, à
nu, etc. » L'ancienne langue disait aussi : « à fort, à
long, à dur, etc. » Les adjectifs ainsi employés caractéri-
sent tantôt Yétat et tantôt la manière, et ces locutions se
rattachent directement à deux des sens de à énumérés ci-
dessus (j;§ 481 et 486).
IV. — Divers sens de « à » se rattachant à l'idée
de « mouvement hors de, origine. »
A au lieu de par après un verbe passif ou pris dans un
sens passif.
§ 491 . — Nous employons encore « à » au lieu de (^par »
SYNTAXE DE LA PRÉPOSITION. 219
après les infinitifs actifs pris dans un sens passif : « Il a fait
quitter la place à son frère. » L'ancienne langue employait
plus souvent à dans cette acception, soit avec un infini-
tif, soit avec un participe passé.
Chanson de Roland : <.(. A mil Franceis fait bien cher-
chier la ville. » Mot à mot : « à mille Français il fait bien
parcourir la ville. »
Roman de Rerthe : « A tous se fit aimer Berthe. » Nous
dirions : « Berthe se fit aimer par tous, ou de tous. »
Ibidem : « Me gardez que ne soie prise à beste cuiverte. »
C'est-à-dire : « Empêchez que je ne sois prise par une
bète malfaisante. »
A au sens de selon, d'après.
§ 492. — Nous disons encore : « à ce qu'il pense, à sa
façon, à son idée. » Mais nous ne disons plus : « à son
pouvoir », comme au moj'en âge.
Châtelain de Couci : « ou cil qui aime du cuer à son po-
olr. » Mot à mot : « Ou celui qui aime du cœur à son pou-
voir. » C'est-à-dire : « selon son pouvoir, tant qu'il peut. »
Commynes : « Cherchant rompre le dit voyage à leur
pouvoir. » C'est-à-dire : « selon leur pouvoir, autant qu'ils
pouvaient. »
C'est aussi le sens de à dans l'exemple suivant :
Châtelain de Couci : « Vous pouvez bien savoir par ma
chanson et à mes diz... » Traduisez : « Vous pouvez bien
savoir par ma chanson et d'après mes paroles... »
AINÇOIS, ANGEIS, ENCEIS
§493. — « Ainçois, anceis, enceis », qui a le sens de
«avant», estemployétantùtcomme adverbe, tantôtcomme
préposition. Voici un exemple de l'emploi prépositionnel :
Chanson de Roland : c Ne fut si forz (bataille) enceis ne
220 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
pois cel tens. » C'est-à-dire : « il n'y eut si forte bataille avant
ni depuis ce temps. »
AINS
§ 494. — Ains (sens de avant), surtout adverbe, est
quelquefois préposition :
Chanson de Gui de Bourgogne : « Ains demain à ceste
eure la cité vos randron. » C'est-à-dire : « Avant demain à
celte heure, nous vous rendrons la cité. »
APROF
§ 495. — Aprof, adverbe et préposition, signifie « après ».
Roman de Rou : « Un sarcuel fîst appareillier... A mètre
apreuf sa mort son cors. » C'est-à-dire : « Il fit préparer
un cercueil pour mettre son corps après sa mort. »
AS, ES
§496. — « As, es » signifie voici, et s'emploie souvent avec
deux régimes, dont l'un est le nom de la personne à qui
l'on montre (toujours un pronom), et l'autre le nom de
l'objet montré.
Chanson de Roland : « As II un angle ki od lui soelt par-
ler. » Mot à mot : « Voici lui un ange qui avec lui a cou-
tume de parler. »
Ibidem : « As les vus aqueisiez. » Mot à mot: « Voici les
vous cois. » Nous disons encore familièrement : « Vous les
voilà domptés. »
Gui de Bourgogne : « Es les barons. » Traduisez : « Voi-
ci les barons. »
A TOUT
Voyez à (§488).
AA^ERS
§ 497. — Avers signifie en comparaison de :
SYNTAXE DE LA PREPOSITION. 221
Chrétien de Troies : « Un seul nen coniii que prisasse
avers cestui. » Mot à mot : « Je ne connaissais pas un seul
chevalier que je prisasse à côté de celui-ci. «
Roman de la Rose: « El fu clere comme la lune Est avers
les autres estoiles. » C'est-à-dire : « Elle était claire comme
la lune près des autres étoiles. »
CONTRE
§ 498. — La préposition « contre » avait au moyen âge
plusieurs sens qu'elle n'a pas conservés.
Elle signifie : en face de, du côté de, vers.
Chanson de Roland : « Cuntre le ciel ambesdous ses
mains juintes. » C'est-à-dire : « ses deux mains jointes
vers le ciel. »
Joinville : « Et estoient couchié contre orient. » C'est-à-
dire : « et ils étaient couchés vers l'orient. ».
§ 499. — Elle signifie encore : au moment de, vers.
Chanson de Roland : « Cuntre midi ténèbres i ad granz »,
c'est-à-dire : « Vers midi il y a de grandes ténèbres ».
Froissart : « Li roi d'Engloterre, contre le mois de mai,
retourna en lamarce de Londres. » C'est-à-dire : « Le roi
d'Angleterre, vers le mois de mai, etc. »
DE
Principales valeurs de la préposition « de ».
§ 500. — La préposition « de » marque principalement
le point de départ, dans l'espace, dans la durée, ou au
figuré : « Il vient 6?e Paris, il est arrivé d'hier, il tient de
vous. » A cette signification principale se rattaclient des
sens dérivés assez nombreux, dont quelques-uns ofiVent
des particularités à noter.
222 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
De marquant le rapport de possession.
§ 501. — Le rapport de possession est généralement
indiqué : entre deux noms par de, après le verbe êtj^e par
à. Nous avons vu que, par exception, à pouvait être em-
ployé entre deux noms. De même, par une exception in-
verse, de pouvait être employé avec le verbe être,
Se7'mo)}s de saint Bernard : « Layez venir ami les petiz,
car de teil gent est li règnes de ciel. » C'est-à-dire : « Lais-
sez venir à moi les petits, car le royaume du ciel est à tel-
les gens, est à eux. »
De et non à devant un infinitif.
§ 502. — Quand un infinitif dépend d'un autre verbe,
nous avons vu que l'ancienne langue le faisait souvent pré-
céder de la préposition à au lieu de « de ». Inversement,
on trouve de au lieu de à :
Après s'attendre :
Commynes : « Car de nostre costé on s'attendoit de les
chasser à force d'artillerie. »
De s'est d'ailleurs employé, après « s'attendre », jusqu'au
xvu'' siècle :
La Fontaine : On ne s'attendait guère De voir Ulysse en
cette affaire. »
§ 503. — Après penser :
Roman du Chevalier au bjon : « Pansez de tost venir
arrièie. »
§ 504. — Après « il y a, il est » :
Chûlrlain de Couci : « Or n'i a que dou bien couvrir »,
c'est-à-dire : « or il n'y a qu'^i- bien couvrir. »
Pièce d'archives citée par Godefroy : « Demandèrent les
ungs aux autres qu'il estoit de faire. » G'csl-à-dire : « lis
demandèrenl les uns aux autres ce (pi'il y avait à faire. »
SYNTAXE DE LA PREPOSITION. 223
On disait de même : « Il n'y a mais que de» dans le sens
de : « 11 n'y a plus qu'à ». « Il n'y a fors de » pour « il n'y
a qu'à».
De relativement à la durée.
1. « De » au sens de « depuis ».
§ 505. — Nous disons bien encore : « il est arrivé c?'hier. »
Mais on dit aussi : « il est arrivé depuis hier. » Et « depuis»
s'emploie dans beaucoup de cas où l'ancienne langue pou-
vait mettre « de » :
Roman des Sept Sages : « Il vueut savoir que il set, de
tans de tens comme vos l'avez tenu a escole. » C'est-à-
dire : « Il veut savoir ce qu'il sait depuis tant de temps
que vous l'avez tenu à l'école. »
Joinville : « Oef dur cuit de quatre jours ou de cinc. »
C'est-à-dire : « œufs durs cuits depuis quatre ou cinq
jours. »
2. » De » au sens de « pendant ».
§ 506. — De peut équivaloir à « pendant », Nous avons
vu que « à » avait aussi quelquefois celte valeur. Comparez
notamment la vieille locution « à tout son vivant » et l'ex-
pression « de tout son temps » employée par Joinville dans
la phrase suivante: « Onques hom lays de nostre temps ne
vescpii si saintement de tout son temps. » C'est-à-dire :
« Jamais laïque de notre temps ne vécut si saintement
pendant toute sa vie. »
Nous disons encore : « de tout temps. » Mais de a sur-
tout conservé cet emploi dans les phrases négatives :
« il ne viendra pas de quatre jours, de longtemps. »
3. « De » marquant le moment de l'action.
§ 507. — Enlin de, comme à, [leut niar(pior le moment de
224 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
l'action. Nous disons : « Il est arrivé de bonne heure », et
aussi, dans le langage populaire : « Il est arrivé à bonne
heure. » On dit également : « Il est parti de jour » et « au
jour. » Mais ces deux expressions ont pris des valeurs
différentes.
Nous disons : « à présent. » On trouve dans les anciens
textes, avec le même sens : « de présent. »
De signifiant de la part de, au nom de :
§ 508. — Chanson de Roland : « E l'arcevesques de
Dieu les beneist », c'est-à-dire : « Et l'archevêque les bé-
nit au nom de Dieu. »
De au lieu de par après un participe passé.
§ 509. — Nous disons encore : « Il est aimé de tous. »
Cet emploi de « de » était moins rare dans l'ancienne
langue :
Chanson de Roland : « NeplacetDeu... Que co seit ditr/e
nul hume vivant... » C'est-à-dire : « A Dieu ne plaise que
cela soit dit par nul homme vivant. »
Nous avons vu que à s'employait aussi quelquefois avec
cette valeur (§ 491).
§ 510. — Dans la vieille expression : «être bien de
quelqu'un », de a le sens qui lui est propre après les parti-
cipes passés. « Etre bien » signifiait en effet : « être bien
vu, bien traité. »
Roman du Chevalier au lyon : « La demoisele estoit si
bien de sa dame que. . . »
De marquant l'instrument, la manière.
§ 511 . — Comme « à », maispar une autre voie, « de »
est arrivé à mar(|uer l'instrument, la manière. Entre ces
deux prépositions, prises dans ce même sens, il y a une
SYNTAXE DE LA PREPOSITION. 22o
nuance de signification qui sera rendue sensible par les
exemples suivants :
Ouvrage fait à la main Ouvrage fait de sa main
Ils combattent à Tépée Ils frappent de l'épée
Il parle à voix basse II parle d'une voix douce
C'est A raison qu'il le dit II se fâche plus que de raison
11 parle à cœur ouvert II l'encourage de tout cœur
Il travaille à tète reposée II calcule de tête.
§ 512. — Il faut remarquer que cet emploi de « à » et
« de» se restreint souvent à des expressions consacrées, et
n'est vivant encore dans la langue que lorsque le nom
qui suit est précédé d'un article ou d'un démonstratif.
On dit : « parler à voix haute, à voix basse », mais on
ne dirait pas : « parler à voix élevée, à voix forte. » On
peut dire au contraire : « Il parle d'une voix élevée, rf'une
voix émue, etc., etc. »
§513. — Parmi les expressions consacrées de Tan-
cienne langue où « de » marquait la manière, quelques-
unes sont tombées en désuétude, par exemple : de bon
courage (avec bonne intention, de bon cœur), de mau-
vais courage (avec mauvaise intention, à regret), de cou-
rage (courageusement).
Orcsmc : « 11 vient de bon courage ».
§514. — C'est à cette valeur de la préposition « de »
qu'il faut rattacher les locutions adverbiales qu'elle peut
former avec les adjectifs. Nous disons encore : « c?e nouveau,
de même. » L'ancienne langue disait aussi « de fi (d'une ma-
nière digne de foi), rfc certain (d'une manière certaine), etc.»
§ 515. — De s'est joint aussi à certains adverbes, d'a-
bord sans enmodifîer le sens : « de hors, f?e dans, r/r main-
tenant, de jadis », au lieu de : « hors, dans, maintenant,
jadis ». Celles de ces locutions qui ont persisté dans la
13.
226 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
langue à côté de l'adverbe simple s'en distinguent aujour-
d'hui par une nuance de sens.
De marquant restriction de l'idée exprimée par le verbe
ou l'adjectif.
§ 516. — Ce cas est souvent confondu, mais à tort, avec
le précédent. Dans « faible rf'esprit » on dit que de mar-
que la manière, comme dans : < calculer de tète. » 11 ré-
pond en effet à la même question : « Faible de quelle ma-
nière ? Calculer de quelle manière ? » Mais la question
n'est la même qu'en apparence. La réponse qu'elle appelle
restreint dans le premier cas l'idée exprimée, elle la com-
plète dans le second. Si dans « Pierre est faible d'es-
prit » on supprime « d'esprit », on dénature la pensée, par-
ce qu'on enlève la restriction qui la rendait juste. Au
contraire, si dans «. Paul calcule de tête » on supprime « de
tête », la pensée reste la môme, on ne supprime qu'un dé-
tail complémentaire. Dans le premier cas, les équivalents
de « de » seraient joowr, quant à (faible pour l'esprit, quant
à l'esprit), jamais avec. Dans le second cas, l'équivalent le
plus exact serait avec (il calcule avec la tête seule, sans
écrire), jamais ^jor«' ni quanta.
De est restrictif dans : « Il est bien de figure, tu lui res-
sembles de visage, etc. » 11 s'explique de même dans ces
vieux exemples :
Robert de Blois : De fiertei resemblc un lion. » C'est-à-
dire : « Pour la fierté il ressemble à un lion. »
Sermons de saint Bernard : « Il se coysievet de boche,
mais il nos ensaignevet par oyvre. » Mot à mot : « Il
se taisait de bouche, mais il nous enseignait par les
œuvres. »
Histoire do fiuillaume le maréchal: « De la faiture Re-
semblout il ascz haut homePor eslre emperere de Home. »
SYNTAXE DE LA PREPOSITION. 227
§ 517. — Le de restrictif s'employait même devant un
infinitif :
Roman de Brut : « Teil chevalier n'ot en la terre /)' ar-
mes porter, de faire guerre. » C'est-à-dire : « Il n'y avait
pas sur terre un chevalier tel que lui pour porter les ar-
mes et faire la guerre. »
De marquant le moyen.
§ 518. — Nous disons : « Il l'a payé de sa bourse, il 1 a
acheté de son argent. » C'est aussi l'un des sens de la pré-
position avec. Car on dit : « il l'a acheté avec son argent ».
L'ancienne langue employait plus souvent de pour mar-
quer le moyen :
Joinville : « Ilala au roy et li dist que grant honte avoie
fait à li et aus autres barons, de ces robes que je li avoie
envoie, quant il ne s'en estoient avisié avant. » C'est-à-
dire : « Il alla au roi et lui dit que j'avais fait grand honte
à lui et aux autres barons avec ces robes que je lui avais
envoyées (à l'impératrice) quand ils n'y avaient pas songé
eux-mêmes. »
De marquani la cause.
i^ 519. — De marque la cause dans : « Il est mort de sa
blessure, il est rouge de colère, il est furieux des obstacles
qu'il rencontre, etc. » De a la même valeur dans les exem-
ples suivants :
Chanson de Roland: « Des morz qu'il troevct cumencet
à plurer. » Mot à mot : « Des morts qu'il trouve il com-
mence à pleurer. » C'est-à-dire : « Il cumnicnce à pleurer
à cause des morts qu'il trouve. »
Joinville : « Et il, qui me vit megre et descharnei de la
maladie. » C'e-t-à-dire : « Et lui, <{ni me vit maigre et dé-
charné par la maladie. »
228 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
De signifiant au sujet de.
§ 520. De a particulièrement ce sens dans les titres d'ou-
vrages ou de chapitres [De la peine de mort), ou après cer-
tains verbes ou certaines locutions verbales (parler de la
pluie et du beau temps ; il s'est mis en peine de vous re-
joindre). On le trouve avec le même sens dans les exemples
suivants, où nous le remplacerions généralement par
« pour ».
Récit de la l""" Croisade : « Et del chastel avoir tut son
poeir feroit. » C'est-à-dire : « Et il ferait tout son possible
pow avoir le château. »
Livres des Rois :
« Samuel out cumandé a Saul qu'il l'atendist del sacre-
lîse que faire devreit. » Traduisez : « Samuel commanda à
Saûl qu'il l'attendît ^jowr le sacrifice qu'il devrait faire. »
Serrtions de saint Rernard : <.<. Nuls de ceos ne se tant det
douz nom del Salvaor. » Mot à mot : « Aucun d'eux ne se
tut du doux nom du Sauveur ». « Se taire de » est aussi
rationnel que « parler de ».
C'est ainsi qu'on disait encore : « penser de quelque
chose », au lieu de « penser à ».
Lancelot : « Pense de lui et de son cheval. »
§ 521. — On disait aussi : « savoir de la mer », pour
« connaître la mer », « conseiller cfune terre », pour « indi-
quer une terre », « faire dommage de quelque chose »,
coTime nous disons : « faire tort de ».
v^ 522. — De s'employait, comme quant à ou pour de
nos jours, pour mettre en relief, en l'isolant, un nom qui
était ensuite représenté par un pronom à sa place normale.
Chanson de Roland : « Del rei paien, sire, par veir
créez Ja ne verrez ccst premier mois passet 0u'/7 vous si-
vrat en France le regnet. » C'est-à-dire : Quant au roi
SYNTAXE DE LA PREPOSITION. 229
païen, sire, croyez vraiment qu il vous suivra avant un
mois. »
Encore dans une lettre de Henri IV : « De vos voisins,
j'ai vu parleurs responces que.... »
De précédant l'infinitif ou le nom sujet logique d'une
proponlion
§ 523. — Nous disons : « Il est bon de le lui dire, ce
n'était rien de le lui cacher, ou que de le lui cacher. » Mais
si le sujet logique est un nom, au lieu d'être un infinitif, il
n'est précédé aujourd'hui que de la conjonction que : « Ce
n'était rien que les anciennes modes auprès de celles d'au-
jourd'hui ». L'ancienne langue disait : « ce n'était rien
des anciennes modes. » Voici un exemple du xvi^ siècle :
Henri Estienne : « Ce n'estoit quasi rien des fraises qu'on
vouloit faire autrefois, au prix de celles qu'ont inven-
tées les lingères. »
De au lieu de que après un comparatif .
§ 524. — Chanson de Roland : « Plus fel de lui n'out en
sa compagnie. » C'est-à-dire : « Il n'y eut plus félon que
lui en sa compagnie. »
Ibidem : « N'avez barun qui mielz de lui la facet. » C'est-
à-dire : «Vous n'avez baron qui mieux que lui la fasse. »
Établissements de saint Louis : « Vos n'i avez riens plus
de moi. » Nous disons encore « plus de, moins de » dans
certaines locutions.
De séparant un adjectif ou un substantif qualificatif du
nom qualifié.
^ 525. — Les locutions telles que « son bonhomme de
père » étaient fréquentes dans l'ancienne langue. En voici
deux exemples :
Gautier de Coinci : « ma lasse rf'anic. »
230 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Froissart : « Son signeur de père. »
DE COSTE
§ 526. — Decoste, vieille préposition, a le sens de « à
côté de ».
Joinville : « Et se vindrent arangier de cosle nous. »
C'est-à-dire : « Et ils vinrent se ranger à côté de nous. »
DEDANS (latin DE DE INTUS)
§ 527. — Dedans est souvent préposition :
Châtelain de Coucl : « Dont je l'ai tant dedens mon cuer
amée. »
Villehardouin : « Dedens ces huit jors furent venu tuit li
vaissiel et li baron. »
Au xvii^ siècle dedans est encore employé fréquemment
comme préposition :
La Fontaine : « Et dedans son domaine Chacun dormoit
aussi. »
DEFORS (dehors)
§ 528. — Defors, ordinairement adverbe, est quelque-
fois préposition :
Chanson de Roland : « Defors sun cors veit gesirlabucle. »
Poème de Floire et Blancheflor : « Defors les murs, loiug
du portai, Ot une place principal. » Mot à mot : « Dehors
les murs, loin du portail, il y avait une [dace principale. »
DEJUSTE, DEJOSTE
§529. — Même sens que juste, joste (Voy. plus loin).
DELEZ (près de)
§ 530,, — Ce mot est formé avec « de » et « lez » (latin
SYNTAXE DE LA PREPOSITION. 231
latus), préposition encore employée dans quelques noms
de lieux.
Chanson de Roland : « Delez un églantier. »
DÈS (latin DE-EX)
§ 531. — ^ès signifie aujourd'hui : an moment même de,
à Vrpoque même de. Dans l'ancienne langue, la significa-
tion de cette préposition était plus étendue ; elle ne s'ap-
pliquait pas seulement au temps, mais aussi à l'espace, et
elle avait toute la valeur de « depuis ».
Chanson des Saxons : « Dès le mont Saint-Michiel jus-
qu'à Ghastel-Landon. »
Joinville : « Dès Ausone_ jusques à Lyon. »
Chanson de Roncevaux : « Dès le matin jusqu'à soleil
couchant. »
DESSOUS, DEDESSOUS (latin DE-SUBTUS)
§ 532. — Dessous s'employait dans l'ancienne langue
aussi bien comme préposition que comme adverbe.
Chanson de Roland : « Desuz un pin.... un faldestoel
i out. » Mot à mot : « Dessous un pin il y avait un fau-
teuil. »
Au xvu' siècle, dessous avait encore cette valeur. La
Fontaine écrit :
» Le lièvre était gîte dessous un maître cliou. »
Aujourd'hui dessous n'est plus préposition (pie dans les
locutions : « pat^ dessous, de dessous. »
§ 533. — Dedessous se trouve avec le sens de « dessous,
sous » dans la Chanson de Roland : « Lur chevals laissent
dedesuz une olive. » G'est-ù-dire : « nous un olivier »,
232 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
DESUR, DESSUS (latin DE-SUPER, DE-SUSUM)
§ 534. — Ces deux mots, dont l'un a disparu, et dont
l'autre est devenu adverbe (sauf dans les locutions prépo-
sitives joarc^essus, de dessus), s'employaient à la fois comme
prépositions et comme adverbes :
Chanson de Roland : « Oliviers muntet desur un pui hal-
lur. » Nous dirions: «Olivier monte sur une colline élevée. »
Dessus est resté préposition jusqu'au xvii^ siècle.
MoUcre : « Dessus quel fondement venez-vous donc, mon
frère?... »
DEVANT, DEDEVANT
§ 535. — On trouve dedevant avec le sens de devant,
•comme dedessous avec le sens de « dessous, sous. »
Chanson de Roland : « Dedevant lui ad une pierre
brune. » C'est-à-dire : « devant lui. »
EMPRÈS
§ 536. — Nous avons perdu cette préposition, qui signi-
fiait : « auprès de » et « après ».
Joinville : « A la table le roy manjoit, emprès li, li cuens
de Poitiers. » C'est-à-dire : « A la table du roi mangeait,
auprès de lui, le comte de Poitiers. »
Roman de Rou : « Cil fu quens d'Où enpres son père. »
C'est-à-dire : « Il fut comte d'Eu après son père. »
EN (latix IN)
§ 537. — L'un des sens de la préposition latine in, le
eens de sur, ne s'est conservé que dans quelques locutions :
« portrait en pied ; mettre en croix. » L'ancienne langue
employait plus librement « en pied » et « en croix »
Chanson de Roland : « Li quens Rollanz. .. en piez se
SYNTAXE DE LA PRÉPOSITION. 233
drecet. » Mot à mot : « Le comte Roland se dresse en
pieds. » Nous dirions : « sur ses pieds. »
Ibidem : « La lance dont Nostre Sire fut en la cruiz naf-
frez. » Mot à mot : « La lance dont Notre-Seigneur fut
percé en la croix. » Nous dirions : « sur la croix. »
§ 538. — Beaucoup de locutions adverbiales ont été for-
mées avec la préposition en et des substantifs ou des adjec-
tifs : « en rond, en cachette, etc. » L'ancienne langue en
possédait un bon nombre qui sont devenues hors d'usage :
en foi (fidèlement), en apert (ouvertement), etc.
ENCEIZ
Voyez Ainçois.
ENCONTRE
§ 539. — Encontre , adverbe et préposition, a la plupart
des sens de contre.
C hanson de Roland : <.<. Encunlr exnei reveleruntliSaisne. »
C est-à-dire : « Les Saxons se révolteront contre moi. »
Chanson de Roland .•« Li destriers est e curant e aates...
Reste nen est ki encuntre lui alget. » C'est-à-dire : « Le
cheval est agile et rapide.... Il n'y a pas de bête qui aille
en comparaison de lui. »
Cet adverbe-préposition est employé aujourd'hui subs-
tantivement dans la locution : à Vencontre de.
ENCOSTE
§ 540. — Encoste, ancienne préposition, composée de
en et du substantif coste (côte) a le sens de : à côté de.
Joinville : « Et encore mangoit encoste celé table la
royne Blanche. » C'est-à-dire : « lit encore mangeait à
côté de cette table la reino Blanche. »
234 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
ENDREIT, ENDROIT
§ 541. — « Endreit, endroit » est composé avec droit,
comme encoste avec coste. Cet adverbe-préposition n'est
plus employé que substantivement. On lui donne souvent
dans l'ancienne langue le sens de la locution actuelle :
« à l'endroit de... », c'est-à-dire : « en ce qui con-
cerne.... »
Chanson de Roland : « Ore ad li quens endreit sei sez que
faire. » Mot à mot : « Maintenant le comte a assez à faire
endroit soi. » C'est-à-dire : « à son endroit, en ce qui le
concerne. »
Endroit signifiait encore : « en face de, vers. »
§542. — Endroit de avait les mêmes sens :
Joinville : « Et dist que endroit de li il avoit tuei six de
nos gens. » C'est-à-dire : « Et il dit que, en ce qui le concer
nait, il avait tué six de nos gens. »
ENMI
§ 543. — Enmi (latin in medio), composé de en et de
mi{mi-Q.diTèxne,miY\Q\x, minmi, mià\), comme parmi de par
et du même adjectif, aie sens de : « au milieu de. »
Chanson de Roland : « Se trois Rolland.... enmi ma veie. »
C'est-à-dire : « Si je trouve Roland au milieu de ma route. »
ENSEMBLE
^ 544. — Ensemble (latin in simul) est quelquefois em-
ployé comme préposition, dans le sens de avec. On trouve
aussi, dans le même sens, ensemble od (Voy. plus loin
la préposition od).
Sermons de Saint Rernard : « Ou poreit estre nuls mais
ensemble luy? » C'est-à-dire : « Où pourrait-il y avoir
quelque mal, quand on est avec lui? »
SYNTAXE DE LA PRÉPOSITION. 233
Chanson de Roland: « Ensemble od els li quens Rollanz
i vint. » C'est-à-dire : « Avec eux y vint le comte Roland. »
ENS EN
§ 545. — « Ens en », locution prépositive, composée de
la préposition en et de l'adverbe ens ou enz, a le même
sens que « en, dans » :
Chanson de Roland : « Enz en lur mains portent bran-
ches d'olive. » C'est-à-dire : « Dans leurs mains ils portent
des branches d'olivier. »
ENTOUR
§ 546. — Enlour, ancien adverbe-préposition, encore
employé substantivement dans « à l'entour », avait,
comme préposition, le sens de « autour de, auprès de,
vers. »
Jo'mmlle : « Nous feismes la première procession entour
les doLis maz de la nef. » C'est-à-dire : « Nous fîmes la pre-
mière procession autour des deux mâts du vaisseau. »
Ibidem : « Entour l'eure de vespres. » C'est-à-dire :
« Vers l'heure de vêpres. »
ENTRE
§ 547. — Les acceptions anciennes de cette préposition
diffèrent peu des acceptions actuelles. Une d'elles doit ce-
pendant nous arrêter un instant, parce qu'elle ne s'est con-
servée que dans quelques locutions : « Nous dînons entre
nous ; ils s'amusent entre eux. » C'est-à-dire : « Nous dînons
ensemble et à nous seuls, etc. » L'ancienne langue disait
de môme, et nous ne pouvons plus dire : entre moi et mon
père (nous) demeurons dans cette maison; (ils) se couchèrent
entre le duc et le comte, ce qui signifiait « le duc et le
comte se couchèrent ensemble » ; il partit entre lui et son
^36 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
fils, c'est-à-dire : « ils partirent tous deux, lui et son fils. »
Roman de Renard : « Quex mautalant t'a fat devenir pè-
lerin entre toi et mestre Belin. » C'est-à-dire : « Quelle idée
vous a fait devenir pèlerins, toi et maître Belin! »
Quand on traduit ces phrases de l'ancienne langue, on
peut presque négliger « entre ». L'idée accessoire qu'ex-
primait cette préposition ne peut guère être rendue que
par l'adverbe « ensemble ».
ENTRESQUE A
§ 548. — Entresque à signifie ./ws^'M'à.
Chanson de Roland : « L'osberc li rumpt entresque à la
carn. » C'est-à-dire : « Il lui rompt le hdiXxhQTi jusqu'à la
€hair. »
ENVERS
§ 549. — Envers s'employait comme synonyme de
vzrs :
Chanson de Roland : « Envers le ciel en volent les es-
clices. » C'est-à-dire : « Ve7's le ciel en volent les éclats. »
§ 550. — Envers avait aussi le sens de « en comparai-
son de ».
Roman de la Rose : « Clere comme la lune Envers qui les
autres estoiles Resemblent petites chandoiles. »
ENVIRON
§ 551. — Environ, comme préposition, a le sens de
« autour de ».
Chanson de Roland : « Envirun lui plus de vint mille
humes. » C'est-à-dire : « Autour de lui plus de vingt mille
hommes. »
ES
Voyez as. '
SYNTAXE DE LA PRÉPOSITION. 23T
FORS
§ 552. — Fors a tous les sens de hors; ce sont d'ailleurs
deux formes d'un même mot : latin foris.
JUSTE, JOSTE
§ 553. — injuste, juste», ISiVmjuxta, signifie -.près de. C'est
avec cette préposition qu'ont été formés les deux verbes
«joster, jouster, jouter » et « ajoster, ajouster, ajouter»,
qui signifient proprement « mettre près de ». Le premier
de ces verbes a eu successivement les sens de : « se
mettre près de, s'approcher de (pour combattre), com-
battre ».
LEZ, LES
§554. — Lez, les (latin latus, côté). Cette vieille pré-
position, qui signifie « à côté de », s'est conservée dans
quelques noms de lieux : « Plessis- lez-Tours. »
Joinville : Et feri le Juif les l'oye. » C'est-à-dire : « Et
il frappa le Juif à côté de l'oreille ».
LON(J
§ 555. — Long {lune, lonc), adjectif employé comme
préposition, a les sens de « près de, selon ».
Chanson de Roland : « Lune un alter bêlement l'enter-
rèrent. » C'est-à-dire : « Près d'un autel, ils l'enter-
rèrent bellement. »
NE MAIS QUE, NE MAIS
§ 556. — A'e mais que se compose de la négation ne^
de l'ancien adverbe mais (qui a le sens de plus) et de
la conjonction que. « Ne mais que » signifie donc litté-
ralement : « non plus que ». On remployait tantôt
238 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
comme notre conjonction sinon, tantôt comme une véri-
table locution prépositive, avec le sens de « excepté ».
Chanson de Roland : « Franceis se taisent, ne mais que
Guenelun. » C'est-à-dire : « Les Français se taisent, excepté
Ganplon. »
§ 557. — On trouve aussi « ne mais » avec le même
sens :
Chanson de Roland : « Jo ne sai veirs nul hume Ne mais
Rolland.... » C'est-à-dire : « Je ne sais vraiment personne
(qui soit ainsi) excepté Roland. » Dans cet exemple « ne
mais » pourrait aussi se traduire par « sinon ».
0
§ 558. — 0 (d'abord od) est une vieille préposition qui
a le^ens de « avec. »
Chanson de Roland : « Jol sivrai od mil de mes fedeilz. »
C'est-à-dire : « Je le suivrai avec mille de mes fidèles. »
OUTRE
§ 559. — Cette préposition a d'abord signifié « au-
delà », sens qui ne s'est conservé que dans quelques locu-
tions : « outre mer, outre mesure ».
Chanson de Roland: « Ultre cest jur ne sérum plus vi-
vant. » C'est-à-dire : « Au delà de ce jour nous ne serons
plus vivants. »
PAR
§ 560. — Cette préposition s'employait plus libre-
ment qu'aujourd'hui dans son sens primitif de « à
travers ».
Chanson de Roland: « Par le camp (champ) vait Turpins
liarcevesques. » Nous dirions plutôt : « L'archevêque Tur-
pin va à travers le champ de bataille. »
SYNTAXE DE LA PRÉPOSITION. 239
§ 561. — Par signifiait aussi 'pendant, comme joer en
lalin :
Villeharàouin : « Ensi dura li assaus par cinc jors. »
C'est-à-dire : « Ainsi l'assaut dura pendant cinq jours ».
§ 562. — Par a encore aujourd'hui un sens voisin de
après, dans certaines locutions : « un par un, jour par
jour. » L'ancienne langue disait aussi : « l'un par l'au-
tre », au lieu de « l'un après l'autre ».
Joinville : « Se je vous ai de riens mesfait, je le vous
desferai, l'un par l'autre. » Traduisez : « Si je vous ai fait
tort en quoi que ce soit, je vous dédommagerai l'un
après l'autre ».
563. — Cette préposition a servi à former un certain
nombre de locutions, dont quelques-unes sont devenues
hors d'usage :
Par veir (par vrai) au sens de « vraiment, sûrement ».
Chanson de Roland : « S'il voelt ostages, il en avrat par
veir. » C'est-à-dire : « S'il veut des otages, il en aura sû-
rement ».
Par lui, par eux, au sens de « lui seul, eux seuls ».
Chanson de Roland : « Cil sunt par els en un val. » Mot
à mot : « Ils sont par eux dans un vallon. » C'est-à-
dire : « Ils sont seuls. »
Roman de Derthe : « Bcrte fut en la forest par li. »
Mot à mot : « Berthe fut en la forêt par elle. » C'est-à-
dire : « fut seule dans la forêt. »
§ 564. — Ajoutez les locutions prépositives suivantes :
Par nom de, au sens de « au risque de ».
Chanson de Roland : « Par num rf'ocire enveierai le
mien... » C'est-à-dire : « Au risque de le tuer, au risque
de le faire tuer, j'y enverrai le mien, mon (ils. »
Par sum (latin per summum), au sens de « à l'extré-
mité de... au sommet de... »
240 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Chanson de Roland : « Par sum les puis en un broill i re-
mestrent. » C'est-à-dire: «Au haut c?es montagnes, ils s'ar-
rêtèrent dans un bois. »
§ 565. — Pa7' se joint encore à certaines prépositions,
particulièrement à celles qui commencent parrfe ; « par de-
vers, etc. » L'ancienne langue disait aussi: « pardecoste »,
avec le même sens que « decoste » (Voyez ci-dessus)
PARMI
§ 566. — Parmi est formé comme la locution prépo-
sitive « par sum », que nous venons de voir, c'est-à-dire
avec un adjectif [mi de médium) précédé de par (Voyez
aussi enmi plus haut).
Parmi a signifié : « par le milieu de ».
Joinville : « Mes chevaus s'agenoilla... et je en alai outre
parmi les oreilles dou cheval. » C'est-à-dire : « Mon che-
val s'agenouilla..., et je fus jeté en avant par le milieu des
oreilles du cheval, entre les oreilles du cheval ».
§ 567. — Parmi avait aussi, comme aujourd'hui, le
sens de « au milieu de »; mais il s'employait librement
devant un nom singulier, tandis que nous ne nous en ser-
vons guère qu'avec le pluriel :
Chanson de Roland : « Parmi un val herbus ».
§ 568. — Enfin parmi avait encore le sens de « par le
moyen de, moyennant ».
Joinville : « Li cuens de Ghampaigne vendi au roi^ parmi
les quarante mille livres, les fiez ci-après nommés. » C'est-
à-dire : « Le comte de Champagne vendit au roi, moyen-
nant les quarante mille livres, les fiefs ci-après nommés. »
PUIS
§ 569. — Puis (latin posi) n'est plus qu'adverbe. Il a été
préposition, avec le sens de « après, depuis ».
SYNTAXE DE LA PRÉPOSITION. 241'
Chanson de Roland : « Pois icel jur en fut cent anz
déserte. » Traduisez : « Depuis ce jour, elle en fut
cent ans déserte. »
QUE EN, QUE A
§ 570. — Que en, que à, se trouvent après « d'ici ^
entre ci », avec le sens de : jusqu'en, jusqu'à.
Chanson de Roland : « Vien me servir d'ici qu'en
Oriente. » C'est-à-dire : « Sers moi d'ici jusqu'en Orient. »
Chanson des Saxons : « Entre ci que as portes. » Mot à
mot: « Entre ici jusqu'aux portes.
SELON
§ 571. — ^Selon équivaut étymologiquement à « sous
long ». (Voy. plus haut la préposition long.) Outre sa
valeur actuelle, selon a, dans les anciens textes, le sens de :
« le long de, près de ».
Froissart : « Vous chevaucherez selon cette rivière. »
SUR
§ 572. — Sur a souvent le sens de « plus que ».
Chanson de Roland : « Sur tute gent est la tue har-
die... » Mot à mot ; « /Swr toute nation est la tienne har-
die. » C'est-à-dire : « par dessus toute nation ».
TRES QUE A, TRES QUE EN, TRES
§ 573. — 1res que à, 1res que en, vieilles prépositions^
ont le sens de « jusqu'à, jusqu'en » (Voy. plus haut ^n-
tresque à).
Chanson de Roland : « Dès l'ure que nez fui tresqu'à cest
jur. » C'est-à-dire : « Depuis l'heure ou je suis né jus-
qu'à ce jour. »
Clédat. 14
242 GRAMMAIRE DU VIEUXFRANÇÂIS.
§ 574. — Quelquefois très est séparé de que et prend
une valeur propre (celle de depuis), de telle sorte que le
sens de jusqu'à doit être attribué à « que à » seul (Voy.
d'ailleurs ci-dessus : que à, que en).
Chanson de Roland : « Le corps li trenchet tt^es l'un
costet qu'à l'altre. » C'est-à-dire : « Il lui tranche le corps
d'un côté à l'autre. »
VERS
§ 575. — Outre sa valeur actuelle, vers avait, dans
l'ancienne langue, les sens de : « envers, contre ».
Livres des Rois : « Si hom pèche vers altre. » C'est-à-dire :
<( Si un homme pèche coiitre un autre. »
Roman de la Rose : « Li tens vers qui noient ne dure. »
C'est-à-dire : « Le temps contre qui rien ne dure. »
CHAPITRE XI
SYNTAXE DE L'ADVERBE
ADVERBES QUI SONT AUSSI PRÉPOSITIONS
§ 576. — Un bon nombre de prépositions peuvent s'em-
ployer adverbialement (quelques-unes sont d'ailleurs des
adverbes à l'origine). Nous ne signalerons ici que celles
qui ont eu, comme adverbes, des acceptions qui s'écartent
des sens prépositionnels ou des sens actuels, ou celles qui
ne peuvent plus s'employer adverbialement.
§ 577. — Ainçois et ains, qui signifient d'ordinaire
« avant, auparavant », ont quelquefois le sens de « plus
tôt » ou celui de « plutôt ».
Sermons de saint Bernard : « Je encherche per quel
raison li filz prisist anceos char que li peires. » C'est-à-
SYNTAXE DE L'ADVERBE. 243
dire : « Je recherche pour quelle raison le fils s'incarna
plutôt que le père. »
§ 578. — C'est aussi le sens de ains dans les deux locu-
tions « com ains pot » et « qui ains ains ».
Com ains pot signifie proprement : « comme plus tôt
il put. » Nous disons aujourd'hui : « le plus tôt qu'il
put ».
Chanson de Roland : « Cum il einz pout, del pui est
avalez. » C'est-à-dire : « Le plus tôt qu'il put, il descendit
de la colline. »
Qui ains ains, qui est ordinairement accolé à « qui
mieux mieux », signifie proprement : « qui plus tôt, plus
tôt », c'est-à-dire : « chacun le plus tôt qu'il peut ».
Villehardouin : « Vont à la terre qui ainz ainz, qui mielz
mielz. » C'est-à-dire : « Ils vont à la terre chacun \q jdIis
vite et le mieux qu'il peut. »
^ 579. — Avant, devant, s'emploient comme adver-
bes plus librement que de nos jours. On trouve la locution
adverbiale « par avant », qui, précédée de l'article au
datif, a produit l'adverbe actuel : auparavant.
§ 580. — Emprès, comme adverbe, a ordinairement le
sens de « après, ensuite ».
Chanson de Roland : « ^n/)rès li ient. » Traduisez:
« Ensuite ils lui disent. »
§ 581. — Endroit, comme adverbe, s'ajoute à « ici,
là, or ». Ici endroit équivaut à peu près à « ici même ».
Or endroit équivaut à « maintenant » (voy. or aux adver-
bes de temiis).
§ 582. — Entour a souvent, dans les chartes, le sens
de « environ ». Ou là entour signifie : « ou environ, ou à
peu près. »
§ 583. — Parmi, employé quelquefois comme adverbe,
a le sens de « par le milieu ».
244 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Chanson de Roland : « Tute la teste li aùparmi sevrée. »
C'est-à-dire : « Il lui a tranché toute la tête par le mi-
lieu. »
Au xvii^ siècle on trouve encore « parmi » employé ad-
verbialement, mais avec le sens de « au milieu ». La Fon-
taine a dit : « Mais je voudrais parmi Quelque doux et dis-
cret ami. »
§ 584. — Puis, outre sa valeur actuelle, avait le sens
de depuis :
Chanson de Roland : « Une einz ne /?o/s ne fut si forz
6 fière. » Mot à mot : « Jamais avant ni puis il n'y eut si
forte et fière bataille. » C'est-à-dire : « Jamais avant ni
depuis... »
ADVERBES PROPREMENT DITS
Pour étudier les autres adverbes, nous adopterons la
division ordinaire en adverbes de lieu, de temps, de
quantité, de manière, d'affirmation ou négation.
I. — Adverbes de lieu.
§ 585. — Plusieurs adverbes de lieu sont de véritables
pronoms de lieux, de même que les pronoms proprement
dits sont des pronoms de personnes ou de choses. Et
comme les pronoms proprement dits, les pronoms de lieux
sont les uns démonstratifs, les autres relatifs, d'autres
enfin simplement nominatifs. Ces derniers, qui correspon-
dent aux pronoms dits personnels, pourraient être appelés
pronoms locaux. « Ici, là » sont démonstratifs, « où, dont »
sont relatifs, « y, en «sont purement nominatifs. Nous ver-
rons que les deux pronoms de lieux nominatifs (y , en) sont
devenus par extension des pronoms personnels, et que les
pronoms relatifs de lieux (dont, oii) sont aussi devenus des
pronoms relatifs de personnes et de choses.
SYNTAXE DE L'ADVERBE. 245
§ 586. — Ici marque le lieu où l'on est, et là. un lieu
différent. A côté de là, l'ancienne langue avait aussi illuec
[illec, illueques), qui s'employait avec le même sens :
Chanson de Roland: « Mais li quens Guenes iloec ne
volsist estre. » Traduisez : « Mais le comte Ganelon vou-
drait ne pas être là. »
Joinville : « Il n'avoit nul illec qui n'eust de ses pro
cbains amis en la prison. « Traduisez : « Il n'y avait là
personne qui n'eût de ses proches amis dans la prison. »
§ 587. — L'adverbe ci, forme abrégée de « ici » , ne
s'emploie plus que dans certaines locutions, oîi il se joint
intimement à un autre mot : cî-devant, celm-ci, etc. L'an-
cienne langue s'en servait dans beaucoup de cas où nous
mettrions « ici ».
Joinville : « Sire, quant vous partirés de ci. »
Commynes : « Ne cy ne ailleurs. »
§ 588. — Entre la préposition de et la conjonction que
prise dans le sens de « jusque », ci pouvait s'appliquer au
temps comme au lieu. « De ci que » signifiait non seule-
ment « d'^c^ jusque (à un autre lieu) », mais encore : « de
maiîif enant iuscpe (à un autre moment) ».
Roman de Berthe : « Ne mais ne sera aise de ci qu' aura.
seû Se c'est Bertc sa fdle. » C'est-à-dire : « Et elle ne sera
plus joyeuse depim maintenant jusqiî'à ce gît'elle aura su
si c'est Berthe sa fille. »
Aujourd'hui encore « ici, là » peuvent s'appliquer au
temps : « l\\?-x\uici il n'a pas écrit; jusquc-/àil n'avait pas
écrit; il viendra d'ici à demain ».
§ 589. — L'adverbe de lieu cà est le même mot que
ici, ci, mais à un autre cas; il vient de « eccehac » (comme
ici de « eccehic »), et signifie proprement « par ici ». L'an-
cienne langue l'employait souvent, au lieu de ici, avec les
verbes marquant mouvement :
14
246 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Roman de la Rose : « Qui de la terre as Sarradins Fist ça
ces arbres aporter. « Nous dirions : « Qui de la terre sar-
razine fît apporter ici ces arbres. »
On peut encore employer çà avec le verbe venir : « venez
çà ».
§590. — Çà, comme ci, se joignait à d'autres adverbe? :
cà devant, cà avant, cà jus, cà en arrière.
§ 591. — Enfin çà, de même que c/, est arrivé à désigner
le temps. Au xvn^ siècle on se servait encore de « en çà »,
dans le sens de « jusqu'à maintenant ». Pascal écrit :
« Depuis cinquante ans en çà on a vu publier plusieurs
bulles semblables. »
§ 592. — Dont (latin de iinde) est à l'origine un adverbe
(pronom relatif et interrogatif de lieu), qui signifie « d'où ».
Joinville : « Li soudans de Babiloine avoit mainte ibis
essaie dont li fluns venoit. » C'est-à-dire : « Le soudan de
Babylone avait maintes fois essayé de savoir d'où le fleuve
venait. »
D'ailleurs, dès les textes les plus anciens, on trouve aussi
dotit employé, par extension, comme pronom relatif de
personne ou de chose. Il n'a pas d'autre sens dans la
langue actuelle.
§ 593. — Où n'est plus aujourd'hui qu'un adverbe de lieu ;
mais il a étéaussi, parcxtension, unpronom relatif de chose.
Froissart : « Respondircnt qu'ils se tenoient bien pour
absous et pour quittes de tout ce où obligés estôient. »
Molière dit encore : « Laissons là la médecine où vous ne
croyez point. »
§ 594. — Y et en sont adverbes de lieux dans « j'y vais,
j'en viens », et pronoms personnels dans « j'y pense, j'en
parle ». L'emploi de ces adverbes comme pronoms per-
sonnels est ancien dans la langue, et n'oifre d'ailli.urs
aucune difficulté.
SYNTAXE DE L'ADVERBE. 247
§ 595. — No.us venons de passer en revue les adverbes
pronominaux. Les autres adverbes de lieu indiquent qu'on
est dans le lieu dont on parle, ou qu'on est au-dessus ou
au-dessous, ou encore derrière ou devant, etc.
§ 596. — Pour indiquer qu'on est dans le lieu dont on
parle, nous avons l'adverbe dedans, qui se compose de la
préposition « de » répétée et de l'ancien adverbe enz (la-
tin intus), qui avait le même sens.
Chanson de Roland : « A icest mot Franceis se fièrent
enz. >•> C'est-à-dire : « A ces paroles, les Français se jettent
dedans » (dans la mêlée).
§ 597. — Enz, combiné avec les adverbes démonstratifs
çà et /à, a formé céans et léans, qui signifient «ci-dedans,
et là-dedans ». Léans est tombé en désuétude, et nous y
suppléons, suivant les cas, par là ou dedans^ qui repré-
sentent chacun la moitié de l'ancien mot, ou encore par y,
qui équivaut à là avec la valeur démonstrative en moins.
§598. — Pour indiquer qu'on c%\. au-dessus ou au-dessous
du lieu dont on parle, nous avons, outre les mots mêmes
dont nous venons de nous servir [dessus, dessous) : sus et
jus, amont et aval, contreniont et contreval.
§ 599. — Nous n'employ(jns plus guèro sus que dans
l'expression « courir sus ». L'ancienne langue disait aussi
monter sus (Joinvillc), mettre sus, etc.
i:^ 600. — Jus signifiait : en bas, à terre.
Chanson de Roland : « Par les degrés _;'ms del palais des-
cent », c'est-à-dire : « Il descend par les degrés en bas du
palais ». Dans cet exemple, jws, suivi de de, forme une lo-
cution prépositive.
§ 601. — Il est superflu d'expliquer amont et avaL
Dans l'ancienne langue, ces mots s'employaient plus libre-
ment qu'aujourd'hui, avec le sens général de « en haut, en
bas ».
248 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Roman de Berthe : « Le routel a saisi, si l'a amont
levé », c'est-à-dire : « Elle a saisi le couteau et l'a levé en
haut. »
Contremont et contreval s'employaient avec le même
«ens que « amont » et « aval ».
Chanson de Huon de Bordeaux : « Il prist î'anel, contre-
mont le leva. »
§ 602. — Arrière, dans l'ancienne langue, avait toute la
valeur que nous donnons aujourd'hui à « en arrière ». On
disait aussi : « s'en aller arrière, revenir arrière », dans le
sens de « retourner, s'en retourner ».
En derrière, aujourd'hui hors d'usage, s'était formé
sur « derrière », comme « en arrière » sur « arrière ».
II. — Adverbes de temps.
§ 603. — Nous parlerons d'abord de deux catégories
d'adverbes de temps qui se sont souvent mêlées l'une à
l'autre : ceux qui expriment le temps présent {maintenant,
or dans l'ancienne langue, aujourd'hui, etc.), et ceux
qui expriment une simultanéité plus ou moins précise avec
un moment passé ou futur [alors, donc dans l'ancienne
langue, etc.).
g 604. — Maintenant marque le moment présent, et
alors un moment non présent ^, de même que « ici »
marque le lieu où l'on est, et « là » un lieu différent. Ou,
pour être plus exact, maintenant et alors marquent d'une
façon générale le moment dont on parle (présent, passé ou
futur), et le premier de ces adverbes est arrivé à s'employer
spécialement quand on parle du temps présent, le second
quand on parle du passé ou du futur. Il n'en a pas toujours
été ainsi; car alors se décompose en «d Vorsi^, et ors ou or
1. Sauf quand alors est pris dans le sens de « ainsi donc » : « Alors
vous croyez qu'il Taut y aller. »
I
SYNTAXE DE L'ADVERBE. 249
(voyez ci-dessous § 605) s'appliquait particulièrement au
présent, tandis que, à l'inverse, maintenant, dont le sens
primitif est très large (équivalant à : à Vinstant), s'est dit
en parlant du passé ou du futur, par exemple dans Henri
de Valenciennes : « Il n'i ot si coart qui maintenant ne fust
garnis de hardement. » C'est-à-dire : « Il n'y eut si couard
qui alors ne fût plein de hardiesse. » Il faudra donc quel-
quefois, dans les anciens textes, traduire maintenant par
alors, ou vice versa.
§ 605. — Or, devenu exclusivement conjonction, a été
d'abord un adverbe de temps (sous les formes or, ore, 07^s)
qui avait le sens de « maintenant, à présent, tout' à
l'heure ».
Joinville : « Le père au duc qui ore est. » C'est-à-dire :
« Le père du duc qui est maintenant. »
§ 606. — Donc (ou donques), qui n'est plus aujourd'hui
que conjonction, comme or, a été aussi un adverbe de
tem]is, qui avait le sens de « alors ». Les composés idonc
et adonc [adonqnes, adons) avaient le même sens :
Chanson de Roland: « Idunc plurerent cent milie che-
valier. » C'est-à-dire : « Alors pleurèrent cent mille cheva-
liers. »
Chanson des Saxons : « Quant l'aurez salué, don lui
dites... » C'est-à-dire : « Alo7's dites-lui... »
§ 607. — Les adverbes de quantité tant et itant, pré-
cédés de la préposition à, formaient des adverbes de temps
qui avaient le sens de « tout à l'heure, maintenant, alors ».
Chanson de Roland : « Fin prendrum à itant... » Mot à
mot : « Nous prendrons fin (nous mourrons) tout à V heure. »
Joinville : « Atant es vous un chevalier... » C'est-à-dire :
« A/ors voilà un chevalier... »
§ 608. — Le vieil advorbe adès signifie proprement
« à l'instant, tout de suite », et par extension « toujours ».
2oO GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
§ 609. — Aparmesmes est pour ainsi dire le super-
latif de adès, et a le sens de « à l'instant même ».
§ 610. — Aparmain se rapproche par la forme et par
le sens de l'adverbe précédent, bien qu'il en diffère par
l'origine.
Il signifie aussi « à l'instant même», et en outre « bien-
tôt ». Voyez §617.
§ 611. — Errant, participe présent ^ pris adverbiale-
ment, et erranment, marquent aussi l'instant même dont
on vient de parler, et peuvent se traduire par « tout de
suite » ou « aussitôt ».
§ 612. — Endementières, endementiers (et demen-
tiers), endementres (et demcntres), signifient :« pendant
ce temps, alors ».
§ 613. — Parmi ces adverbes ou locutions adverbiales,
exprimant le présent ou la simultanéité avec un moment
non présent, il en est qui limitent le moment exprimé à un
espace de temps déterminé : « aujourd'hui », la locution
adverbiale « cette nuit ».
§ 614. — Aujourd'hui est formé avec l'ancien adverbe
hui, qui signifie « ce jour » (latin ko die : hoc die). Aujour-
d'hui c(|uivaut donc à « au jour de ce jour ». A côté de hui
on trouve dans l'ancienne langue enqui, qui a le môme
sens :
Chanson de Roland: « Encoi perdrai France dulce sun
los. » C'est-à-dire : « Aujourd'hui la douce France perdra
sa gloire. »
§ 615. — 11 y avait aussi un adverbe qui équivalait à
notre locution actuelle « celle luiit». C'était anuit [enuit),
à côté duquel on trouve enquenuit, comme enqui à côté
de hui.
1, Uc celui des deux verbes errer rjui signifiait » aller ».
SYNTAXE DE L'ADVERBE. 231
Chanson de Roland : « Anoit m'avint une avisiun
d'angle. » C'est-à-dire : « Cette nuit, il me vint une vision
d'ange. »
Anuit et enquenuit ont quelquefois le sens général de
« aujourd'hui ».
§ 616. — Un autre adverbe signifiait « cette année »
et par extension « maintenant ». C'était : « oan. ouan ».
5 617. — Parmi les adverbes désignant les divers mo-
ments du jour, nous avons perdu main, qui dérive du
latin mane, et qui signifiait le matin. On disait : « hidmain
(aujourd'hui au matin), au main et par main (le matin, ou
Iclendemain) «.Nous avons conservé le composé demain,
qui avait à l'origine le sens de « au matin (prochain) ».
^ 618. — Nous arrivons ainsi aux adverbes ou locutions
adverbiales qui marquent une antériorité ou une postério-
rité soit au moment présent (demain, hier, etc.), soit au
moment passé ou futur dont on vient de parler (le lende-
main, la veille, etc.).
§ 619. — Hier est pour le pnssé ce que demain est pour
l'avenir. L'ancienne langue avait aussi l'adverbe l'altrier,
l'autrier (mot à mot l'autre hier), qui avait le sens de
«l'autre jour», et qui marquait ainsi une antériorité indé-
finie, mais récente.
§ 620. — Une antériorité plus lointaine était exprimée
parla locution adverbiale pièce a, qui équivalait à: « il
y a une 'pièce de temps, un certain temps ».
^ 621. — L'antériorité indéterminée est marquée par
ains, ainçois, devant et avant, dont nous avons parlé
à propos des adverbes qui sont en même temps préposi-
tions (§ 577-580).
§ 622. — Déjà (anciennement rff'A- /a) exprime une idée
du même ordre. L'ancienne langue employait aussi « ja »
avec la môme valeur.
252 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Jà avait encore le sens de dé&ormah, eijà...7ie équivalait
à jamais... ne.
Joinville : « Ainçois dist que son peuple ne lairoit ûja. »
C'est-à-dire : « Mais il dit qu'il ne laisserait jamais son
peuple. »
Dans beaucoup de cas, jà était purement exjDlétif.
§ 623. — Dans une énumération d'actions qui se suc-
cèdent, le temps de la première est aujourd'hui exprimé
par « d'abord » ou « premièrement ». On trouve souvent
dans les anciens textes primes et premier (ou premiers),
avec le même sens.
§ 624. — Enfin l'adverbe de temps indéterminé par
excellence était, dans l'ancienne langue, onques (latin
unquam)^ qui n'a d'autre équivalent dans la langue actuelle
q\xe jamais pris affirmativement {û jamais il y arrive). On
trouve avec le même sens : onques mais.
Onques ne équivalait à « jamais ne ».
Chanson de Roland : « Ne traïsun unkes amer ne volt. »
C'est-à-dire : « Et il ne \ou\ut jamais aimer la trahison. »
Onc, aine, ainques, sont synonymes de onques.
III. — Adverbes de quantité.
§ 625. — Les principaux adverbes de quantité sont
aujourd'hui : pour la quantité absolue beaucoup, très,
guère, peu, un peu, assez, trop ; et pour la quantité relative
tant et autant, plus, moins.
§ 626. — A côté de beaucoup l'ancienne langue disait,
avec le même sens, grand coup.
Joinville : « Li roys ot... grant coup de la terre le
conte. » C'est-à-dire : « Le roi eut beaucoup de la terre du
comte. »
§ 627. — L'emploi de moult (latin multum) est trop
connu pour (^u'il soit utile d'en donner des exemples.
SYNTAXE DE L'ADVERBE. 2o3
Par (beaucoup, très, tout à fait) est moins connu. Cet
afl verbe, comme la préposition par, dérive de la préposi-
tion latine per, qui avait aussi le sens de « très, tout à fait»
dans certains verbes composés {perficere, parfaire) et de-
vant certains adjectifs {permagnus, très grand). Notre ad-
verbe par se joignait particulièrement aux adjectifs attri-
buts ou aux adjectifs s'accordant avec le complément di-
rect du verbe avoir, et il se plaçait devant le verbe : «Par
fut proz » veut dire « il fut très preux ».
D'ordinaire joar était accompagné d'un autre adverbe de
quantité, moult ou tant : « moult par ou tant par ». Dans
ces locutions, par ne fait que renforcer l'autre adverbe, et
peut être négligé quand on traduit :
Chanson de Roland : « Tant par fut bels. » Traduisez :
« 11 était si beau. » Mot à mot : « tant beaucoup ou si beau-
coup. » Nous disons encore : « par trop. »
Ibidem : « Mult par est grant la feste. » C'est-à-dire :
« La fête est très grande. »
Par, joint à un verbe quelconque, avait aussi le sens de
« tout à fait, jusqu'au bout ».
Joinville : « Il par chanta sa messe tout entièrement,
ne onques puis ne chanta. » C'est-à-dire : « Il acheva de
f hanter la messe entièrement, et jamais depuis il ne
chanta. »
|5 628. — Très était en latin une préposition [trans)
(\uï signifiait « au delà », sens qu'elle a encore en compo-
sition, sous sa forme savante ou sous sa forme populaire:
« transpercer, trépasser (proprement passer aî< delà) ».
Très se joignait à tout, adjectif ou adverbe, pour le ren-
forcer. Trestout, pris adverbialement, équivaut donc à
entièrement.
Chanson de Roland : « Trestut seit liz. » C'est-à-dire :
« Qu'il en soit entièrement sûr. »
Clédat. l 5
2o4 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
§ 629. — Guères avait à rorigine le sens de « beau-
coup», mais s'employait surtout avec la négation, et c'est
de là que lui vient le sens négatif actuel.
Chroniques de Saint-Denis : « S'il eust ^werres vescu, il
eust conquis toute l'Italie, w
§ 630. — Le vieil adverbe auques vient d'un adjectif
indéfini neutre, aliquid, qui signiliait « quelque chose ».
Auques équivaut à « en quelque chose », et a, par suite, le
sens de « un peu ».
§ 631. — Assez se compose de à et de l'ancien adverbe
sez (latin salis), qui a la même valeur. Dans les anciens
textes, assez a souvent le sens de beaucoup.
Chanson de Roland : « Asez est mielz qu'il i perdent les
chiefs. » C'est-à-dire : « Il est beaucoup mieux qu'ils y
perdent la tète. »
§ 632. — Tant s'employait devant les adjectifs et les
adverbes, aussi bien que devant les verbes :
Chanson de Roland : « Noz cumpaignuns que oiimes tant
chiers. » Nous dirions : « Nos compagnons qui nous étaient
si chers. »
§ 633. — A cùté de autant [aliud tantum) on avait,
avec le même sens, autretant [alterum tantum), de
même que autresi, adverbe de manière, à cùté de aussi.
§ 634. — Mais (latin magis) n'a conservé le sens adver-
bial que dans quelques locutions telles que « n'en pouvoir
mais ». L'ancienne langue employait mais avec le sens
étymologique de « plus, davantage », partie uhèrement
après une négation.
Chanson de Roland : « Nen parlez mais, se jo nel vus
cumant. » C'est-à-dire : « Ne parlez plus si je ne vous le
commande. »
§ 635. — Les adverbes de quantité relative supposent
une comparaison, et se joignent au premier terme de la
SYNTAXE DE L'ADVERBE. 23o
comparaison. La liaison avec le second terme est aujour-
d'hui exprimée uniformément par la conjonction que : « Il
est heureux autant, plus, ou moins que nous. »
Dans l'ancienne langue, avec les adverbes marquant une
égalité [autant, tant), c'était comme (ou com), et non que^
qui unissait les deux termes de la comparaison.
Commynes : « Le parlement, qui vault autant comme les
trois estatz. »
Encore au xvîi^ siècle, Bossuet écrit : « Autant malins
comme ils étaient bons. »
De même avec tant :
Chanson de Roland : « Teres e fîeus tant cum vus en
vuldrez. » G'est-a-dire : « Terres et fiefs tant que vous en
voudrez. »
Mais lorsque tant, au lieu d'équivaloir à autant, avait le
sens de« tellement, à ce point », il était, même dans les an-
ciens textes, suivi de que et non de comme : « Il a tant marché
qu'il est las. » Il n'y a pas là une comparaison, mais seu-
lement deux faits dont l'un est la conséquence de l'autre.
IV. — Adverbes de manière.
§ 636. — Les adverbes de manière sont quelquefois aussi
des adverbes de comparaison : ainsi, autrement. Ceux qui
marquaient une égalité {ainsi, etc.) étaient traités comme
les adverbes de quantité analogues, c'est-à-dire qu'ils
étaient suivis de comme et non de que.
Il faut citer en premier lieu l'adverbe si (latin sic), pour
lequel nous ferons la même distinction que pour tajit. On
disait : « Il n'est pas si bon comme vous le dites », mais :
« il est si bon qu'il ne vous en veut pas ^ ».
1. Il faut remar(|uor d'ailleurs que, dans ces deux acceptions, si est
aujourd'hui un vùntablo adverbe do quanlitù. Il faut eu dire autaut de
ausd, dans plusieurs de ses acceptions.
256 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Les composés de si, ainsi (ensi), alsi (devenu aussi), et
les synonymes d'alsi, altresi, alsiment (formé de alsi et
du suffixe adverbial ment), ensement (qui signifie « de la
même façon »), tous ces adverbes étaient également suivis
de comme.
Chanson de Roland : « Laissiez les morz tut issi cum il
sunt. » Mot à mot : « Laissez les morts tout ainsi comme
ils sont. » Nous dirions « ainsi quih sont », ou, en sous-
entendant l'adverbe de comparaison, « comme ils sont ».
Car il est à remarquer que comme a conservé son ancienne
valeur quand on sous-entend l'adverbe antécédent (voyez
plus loin § 639).
§ 637. — Outre ses significations actuelles, si avait
dans l'ancienne langue le sens de ainsi :
Chanson de Roland : « Et il si firent. » C'est-à-dire :
« Et ils firent ainsi. »
On trouve si que dans le sens que nous donnons aujour-
d'hui à « si bien que ».
Joinville : « La barbacane n'estoit pas haute, si que \\
Turc leur traioient de visée à cheval. » C'est-à-dire : « La
barbacane n'était pas haute, si bien que les Turcs leur
tiraient en face, de leurs chevaux. »
Devant un adjectif, si a encore aujourd'hui le sens de
« tellement » :« Il est «grand que », c'est-à-dire : « il
est lellement grand. » De cette signification dérivait, par
extension, le sens de « beaucoup, très », qui ne s'est con-
servé que dans certains patois. On trouve « il est si grand »,
au lieu de « il est t7^ès grand ».
§ 638. — Mais dans beaucoup de cas, le si de l'ancienne
langue est une particule purement explétive, qu'on pour-
rait comparer au ai grec, et qu'on ne peut traduire.
Joinville: « La première partie si devise comment il se
gouverna... La seconde partie dou livre si parle de ses
SYNTAXE DE L^ADVERBE. 257
granz chevaleries... » On ne peut que supprimer les deux
si en traduisant : « La première partie raconte comment
il se gouverna... La seconde partie du livre parle de ses
grandes prouesses. » Toutefois, dans cet exemple, « si...
si )) équivaut à peu près à : « d'une part... d'autre part... »
Le plus souvent si explétif n'est pas redoublé. Il unit
quelquefois deux membres de phrases entre lesquels nous
mettrions la conjonction et, et d'autres fois il s'ajoute à
cette conjonction :
Chanson de Roland : « Il est mis fîlz et si tiendrat mes
marches. » C'est-à-dire : u II est mon fils et aura mes fiefs. »
§ 639. — Comme (ou com) est un adverbe de manière
conjonctif, qui s'employait jadis, nous l'avons vu, avec les
adverbes tant, si, ainsi, etc. Sans antécédent il équivaut
à peu près à « de la façon que... » ou : « de quelle façon ».
Exemple : « 11 fait comme il peut ; vous voyez comme il
fait. » Dans la seconde de ces acceptions, qu'il partageait
autrefois avec comment, il est aujourd'hui presque hors
d'usage. Nous le remplacerions ^ov comment, dans ce vers
de la Chanson de Roland :
«. Oliviers frère, cw7ï le purrum nus faire? »
§ 640. — A côté de comment, l'ancienne langue avait
la locution adverbiale com faitement, qui signifiait aussi :
« de quelle façon ».
Chanson de Roland: « Ciim faitement purrai Rollant
ocire ? »
V. — Adverbes d'affirmation, négation ou doute.
§ 641. — Parmi les adverbes d'affirmation, certes est
employé dans l'ancienne langue comme de nos jours. On
trouve aussi à certes. Mais cet adverbe a surtout des ac-
ceptions dérivées, telles que .'«sérieusement, instamment».
258 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Joinville : « Madame la royne... me pria si à certes
comme elle pot. » G'est-à dire : « Madame la reine me prie
aussi instamment qu'elle put. »
§ 642. — Nous avons conservé le vieil adverbe voire
avec le sens de « même ». Voire (ou voir, voi7's) a eu d'a-
bord le sens étymologique de vraiment.
Chanson de Roland : « Guenes respunt : Ja ne sai veirs
nul hume.., ». C'est-à-dire : « Ganelon répond : Je ne con-
nais vraiment personne. »
D'ailleurs on a des exemples anciens de voire avec le
sens de « même ».
§ 643. — J/ême avait un autre synonj'me, qui était neis,
nis. On l'employait surtout dans les phrases négatives,
car le sens primitif de cet adverbe est « pas même ».
Joinville: « Ja... de la foi crestienne tu ne me osteras,
nés se tu me feisses touz les membres tranchier. » C'est-à-
dire : « Tu ne m'ùteras jamais de la foi chrétienne, même
en me faisant trancher tous les membres. »
§ 644. — Même a servi à former l'adverbe mêmement,
qui signifie aujourd'hui « de même », mais qui. dans l'an-
cienne langue, avait plutôt le sens de « surtout ». On peut
d'ailleurs, dans ce sens, le rattacher au latin « maxima
mente ».
i; 645. — I/indicalif espoir (d'esperi?r, 1" pers. smg.)
était employé adverbialement avec le sens de« peut-être ».
Joinville : « Espoir c'estoit uns Assacis. » Ti'aduisez :
« C élali peut-être un Assassin. »
§ 646. — L'ancienne forme de la négation ne est
«nen ».
« Ne (ou nen)... mie » avait le même sens que « ne...
pas » ou « ne... point ».
Chanson de Roland : « Il ne s'esveille mie. »
D'autre part, dans l'ancienne langue, ne (ou nen) s'em-
SYNTAXE DE LA CONJONCTION. 2S9
ploj'aît plus librement qu'aujourd'hui sans être accom-
pagné de pas, point, ou mie.
Chanson de Roland : « Jo nen ai ost ki bataille li dun-
get. ') Nous dirions : « Je n'ai pas d'armée qui lui livre
bataille. »
§ 647. — Le vieux mot nient, noient, a tantôt le sens
de notre substantif ?iea??f, tantôt celui de 7Hen. Il s'emploie
aussi adverbialement avec la valeur de « nullement ».
Chanson de Roland: « Et dit al cunte : Jo ne vus aim
nient. » C'est-à-dire : « Et il dit au comte : Je ne vous aime
nullement, en aucune façon. »
CHAPITRE XII
SYNTAXE DE LA CONJONCTION
ET ET NI
§ 648. — De toutes les conjonctions, la plus employée
est certainement et, qui marque une simple liaison de
coexistence entre deux mots ou deux propositions qui
se succèdent. Dans les phrases négatives, on remplace et
par ni [ne ou ni dans l'ancienne langue), et généralement ni
est répété devant chacun des termes unis : « son père et
son hère sont venus; — ni son père ni son frère ne sont
venus ».
§ 649. — T/ancienne langue employait quelquefois ni
dans les plirases simplement dubitatives.
Froissart : « Adonc fut la dame moult esbahie, et requit
tout eu pleurant conseil à monseigneur Robert d'Artois
quelle chose elle en pourroit faire, ne où se traire à garant
ne h conseil. » Nous dirions : « et où elle pourrait trouver
un protecteur et un conseiller. »
260 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Villon : « Dites-moi où n'en quel pays... »
QUE
§ 650. — Après et et ni, la conjonction la plus employée
est que, qui marque subordination d'une proposition à
une autre. Que était quelquefois sous-enlendu dans l'an-
cienne langue.
Chanson de Roland : « Ço sent Rollanz la veûe ad
perdue. » C'est-à-dire : « Roland sent qu^ïl a perdu la
vue. »
On sous-entendait aussi que dans les locutions conjonc-
tives, après tant, après encor, etc.
§ 651. — Que a souvent le sens de « de sorte que », ou
de « car ».
Chanson de Roland : « El camp estez que ne seium
vencut. » G'est-à-dii^e : « Tenez le champ de bataille de
sorte que nous ne soyons pas vaincus. »
Villehardouin : « La quarte bataille... moult ert grans
et redoutée, que moult i avoit de bone gent et bons cheva-
liers. » C'est-à-dire : « Le quatrième corps de bataille était
très fort et redouté, car il y avait beaucoup de bons sol-
dats et de bons chevaliers. »
CONJONCTIONS FORMÉES AVEC « QUE »
§ 652. — Que, précédé d'un adverbe, ou de ce précédé
lui-même d'une préposition, forme un grand nombre de
locutions conjonctives.
Avant de dire « pour que », on a dit « pour ce que » ; et
pour ce que avait souvent le sens que nous réservons au-
jourd'hui à parce que.
Joinville : « Pour ce que nous estiens cousin. »
§ 653. — On disait aussi dès ce que, selon ce que, etc.,
au lieu de « dès que, selon que ».
SYNTAXE DE LA CONJONCTION. 261
§ 654. — Nous avons perdu la locution à ce que, qui
signifiait « de façon que ».
Joinville: « Tu ne me tempteras jà à ce que je ne croie
fermement touz les articles de la foy. » C'est-à-dire : « Tu
ne me tenteras jamais au point que]e, ne croie fermement
tous les articles de la foi. »
§ 655. — Nous avons perdu aussi les locutions combien
que, comment que, encore que, jà soit ce que, qui avaient
généralement le sens de « quoique », dementre que, qui
signifiait « pendant que », et quelques locutions semblables,
dont la signification se déduira facilement du sens des
adverbes composants.
§ 656. — Outre sa signification actuelle, puisque avait
le sens plus ancien de « après que ».
Joinville : « Salehadin, qui dit que l'on ne devoit nul
home occire puis que on li avoit donnei à mangier de
son pain et de son sel. » Traduisez : « Saladin, qui dit qu'on
ne devait tuer nul homme après qu'on lui avait donné à
manger de son pain et de son sel. »
AINS, AINÇOIS, CAR, JUSQUE, SINON
§ 657. — En dehors des conjonctions où entre que, il
en est peu dont l'usage ancien diff'ère de l'usage actuel.
Les adverbes ains et ainçois avaient pris, comme con-
jonctions, le sens de « mais », qu'ils ont conservé jusqu'au
XYi** siècle. Ils formaient aussi les locutions conjonctives
ains que ei ainçois que, qui signifiaient : « avant que ».
§ 658. — La conjonction car dérive d'un mot latin
[quare] qui signifie « pour laquelle chose, donc ». Elle a
d'abord eu en français la même valeur.
Chanson de Roland: « Cumpainz Rollanz, l'olifant /car
gunez. » C'est-à-dire : « Compagnon Roland, sonnez donc
l'olifant. »
15.
262 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Après « la raison est » ou « la cause est », car remplace
souvent que.
Oresme : « La première reson porquoi il ont erré en
ceste chose est car il n'ont pas regardé... »
§ 659. — Jusque se trouve souvent avec le sens df " jus-
qu'à ce que ».
Chanson de Roland : « Jusque il viengent el camp. »
C'est-à-dire : « Jusqu'à ce qu'ilè viennent sur le champ
de bataille. »
§ 660. — Les deux parties de la conjonction sinon {si
ou se et non) n'étaient pas inséparables comme aujour-
d'hui :
Villehardouin : « Ne jà... ne sera recouvrée se par ceste
gent non. » C'est-à-dire : « Et elle ne sera jamais recouvrée
sinon par ces gens. »
DEUXIEME PARTIE
SYNTAXE GÉNÉRALE
CHAPITRE PREMIER
ORDRE DES MOTS
ORDRE DES MOTS RELATIVEMENT AU VERBE
§ 661. — Nous étudierons: 1» la place des deux élé-
ments constitutifs du verbe (participe et auxiliaire) dans
Jrs temps dits composés; 2° la place du sujet et du com-
plément direct ; 3° celle du complément indirect et de
l'attribut ; 4° celle des sujets et compléments d'un verbe à
l'intinitit' et du verbe qui le régit.
Comme les pronoms personnels sont soumis à des règles
particulières, nous étudierons aussi: 5° la place du pronom
personnel sujet; 6° colle des pronoms régimes; 7° spécia-
lement celle des pronoms sujets ou régimes d'un infinitif.
Enfin 8° nous traiterons de la place des adverbes.
I. — Place du participe et de l'auxiliaire
§ 662. — Dans les temps composés, le participe passé
se plaçait souvent avant l'auxiliaire.
Sermons de saint Bernard : « L'ystore ke nos encom~
menciet avons. » Mot à mot : « L'histoire que nous com-
mencée avons. »
lloman de Renard : « Lessié avait le guerroier. » C'est-
à-dire : « Il avait laissé le guerroyer, il avait cessé de
guerroyer. »
264 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Chanson d^Aliscans : « Receû ai hui damage si grant. »
Nous dirions : « J'ai reçu aujourd'hui dommage si grand. »
Froissart : « Si cum ordonné estait. » C'est-à-dire :
« Comme t'était ordonné. »
II. — Place du sujet et du complément direct.
§ 663. — La nécessité d'être clair nous oblige aujour-
d'hui le plus souvent à placer le sujet et le complément
direct dans un ordre invariable relativement au verbe,
puisque c'est la place de chacun d'eux qui indiquera quel
est le sujet et quel est le régime. L'ancienne langue, mar-
quant le sujet et le régime par des flexions spéciales, pouvait
modifier à son gré l'ordre des mots, sans nuire à la clarté.
§ 664. — On pouvait mettre le sujet après le verbe et
le complément avant :
Chanson de Roland : « L'altre meitiet avrat Rollanz 11
ber. » Mot à mot : « L'autre moitié aura Roland le baron. »
Les flexions indiquent nettement que c'est Roland qui est
le sujet.
Sermons de saint Rernard : « La miséricorde perdit
assi li hom. » Mot à mot : « La miséricorde perdit aussi
l'homme. » C'est miséricorde qui est régime et homme
qui est sujet. Nous dirions aujourd'hui nécessairement :
« L'homme perdit aussi la miséricorde. »
Joinville : « Car cest abit me lessa mes pères et ma
mère. » Mot à mot : « Car cet habit me laissa mon père et
ma mère. » C'est habit qui est au cas régime.
Ailleurs dans Joinville: « Moût de chevaliers et d'autres
gens tenoient li Sarrazin. » Mot à mot : « Beaucoup de
chevaliers et d'autres gens tenaient les Sarrazins. » Li
Sarrazin étant au cas sujet, il est évident que ce sont les
Sarrazins qui tiennent, et les chevaliers et autres gens qui
sont tenus.
ORDRE DES MOTS. 265
§ 665. — On peut aussi trouver le sujet et le régime
réunis avant ou après le verbe.
Livres des Rois : « Li Sires le humble eslieve. » Mot à
mot : « Le Seigneur l'humble élève. » C'est-à-dire : « Le
Seigneur élève l'homme humble. »
Sermons de saint Bernard : « Tôt a primiers enscoin-
brent lo cuer sei propre vice. » Mot à mot : « Tout d'abord
encombrent le cœur ses propres vices. »
Joinville : « Envoia li roys frère Raoul... à un ami-
ral. » C'est-à-dire : « Le roi envoya frère Raoul à un
amiral. »
§ 666. — Même dans les phrases où il n'y aurait pas de
confusion possible, la langue française répugne aujour-
d'hui à l'inversion. Aussi changerions-nous l'ordre des mots
dans les exemples suivants, pris entre beaucoup d'au-
tres :
Joinville : « Et lors demanda li roys à ses frères. » Nous
dirions : « Le roi demanda à sesfrères. »
Ibidem: « En ces choses aréer mist-il jusques a midi. »
Mot à mot : « En ces choses arranger mit-il jusqu'à
midi. » Nous placerions ces choses après arranger, et //
avant mit : « Pour arranger ces choses il mit jusqu'à
midi. »
C'est seulement dans certaines locotions ou tournures
consacrées que nous pouvons mettre aujourd'hui le régime
direct avant le verbe (chemin faisant), ou le pronom sujet
après le verbe (aussi mit-il, etc.).
î^ 667. — Le sujet ou le complément direct pouvait être
placé entre le participe passé et l'auxiliaire :
Sermons de saint Bernard : « Tel nurisce avoit Deus
doneit a sa petite créature. » C est-à-dire : « Dieu avait
donné telle nourrice à sa petite créature. »
Chanson d'Aliscans : « Lors point avant, s'a la tarc/e
266 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
saisie. » C'esl-à-dire : « Alors il pique en avant, il a sain
la large. »
Aujourd'hui nous pouvons encore placer le sujet entre
l'auxiliaire et le verbe, mais seulement lorsque c'est un
pronom et dans les phrases où par exception le sujet doit
suivre le verbe : « Aussi est-il parti. »
§ 668. — Le complément d'un infinitif ou d'un gérondif
peut être placé entre une préposition et cet infinitif ou ce
gérondif.
Nous en avons vu un exemple, dans la phrase de Join-
ville ci-dessus, § 666 : « En ces choses aréer... »
Autre exemple du même: « Par la paix fesant. » C'est-
à-dire : « En faisant la paix. »
§ 669. — Quand un verbe avait deux compléments di-
rects coordonnés, on pouvait mettre l'un devant le verbe
et l'autre après.
Joinville: « Et mon couvertour lessai à Berthelemin l'en-
fant, et quatre aunes de camelin qu'on m'avoit données. »
Mot à mot: « Et ma couverture je laissai à Barthélémy
l'enfant, et quatre aunes de camelin qu'on m'avait données.
v^ 670. — Dans les quelques cas où nous sommes tenus
aujourd'hui de mettre le sujet après le verbe, l'ancienne
langue pouvait le mettre avant.
Exemple cité par Diez : « Je nel puis faire, li rois res-
pont. » Nous dirions : « Je ne le puis faire, répond le l'oi. »
III. — Place du complément indirect et de l'at-
tribut.
§ 671. — Les cas où le com[ilément indirect ou l'attri-
but peuvent précéder le verbe sont rares aujourd'hui.
Dans les anciens textes celte inversion est fréquente.
ORDRE DES MOTS. 267
Attribut (adjectir ou substanlil).
§ 672. — Villehardouin : « Li dux de Venise, qui vialz
hom ère. » Mot à mot : « Le doge de Venise, qui vieil
homme était. »
Sermons de saint Bernard : « Halz est voirement nostre
Sires;. » Mot à mot : « Haut est vraiment Noire Seigneur. »
§ 673. — Quand deux attributs sont coordonnés, l'un
peut précéder et l'autre suivre le verbe :
Roman de la Rose : « Lède estoit et sale et foulée. » Mot
à mot : « Laide elle était, et sale et foulée. »
!^ 674. — Le sujet et l'attribut peuvent être réunis après
le vorbc :
Chanson de Roland : « Si est la citet sue. » C'est-à-dire :
« [m cité est sienne. »
Ibidem : « Si est sue la terre. » C'est-à-dire : « La terre
esl sienne. »
Co mp lénien l in direct .
>! 675. — Livres des Rois: « Li poples dcl service Deu se
rotraist. » Mot à mot : « Le peuple du service de Dieu se
relira. »
Joinville : « Quant il de celle périllouse terre eschapoit. »
C'est-à-dire : « Quand il échappait de cette périlleuse terre. »
Le complément indirect peut être placé aussi entre
l'ouxiliaire et le participe passé.
IV. — Sujets et compléments d'un verbe à l'infi-
nitif et du verbe qui le régit.
§ 676. — L'infinitif peut précéder le verbe qui le répit :
« Pendre les fisl. » C'est-à-dire : « Il les lit pendre. »
i; 677. — Le sujet d'un verbe à l'infinitif se met généra-
lement aujourd'hui ai)rès l'infinitif: « Il laisse partir son
268 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
ami. » Dans rancienne langue, ce sujet est souvent placé
avant le verbe, quelque long qu'il soit.
Joinville : « Je li ferai la teste clou patriarche voler en
son geron. » C'est-à-dire : « Je lui ferai voler la tête du pa-
triarche dans son giron. »
§ 678. — Le sujet du verbe principal et le régime de
l'infinitif se trouvent souvent réunis après les deux verbes:
Joinville : « Lors envoia querre li roys le légat. » Mot à
mot : « Lors envoya quérir le roi le légat. » Le sujet d'en-
voya (le roi) et le régime de quérir (le légat) sont réunis
après les deux verbes.
§ 679. — Le régime de l'infinitif peut être placé entre
les deux verbes :
Joinville : « Quant il vouloit aucune chose affermer. »
Mot à mot : « Quand il voulait quelque chose affirmer. »
C'est-à-dire : « affirmer quelque chose. »
§ 680. — Lorsque le verbe à l'infinitif est uni au verbe
dont il dépend par une préposition, le régime de l'infinitif
se met quelquefois avant la préposition :
Villehardouin : « Et comencent la rive à aprochier. »
C'est-à-dire : « Et ils commencent à approcher (de) la
rive. »
Joinville: « Li clers qui aidoit la messe à chanter. » Mot
à mol : « Le clerc qui aidait la messe à chanter. » C'est-à-
dire : « à chanter la messe. »
V. — Le pronom personnel sujet.
§ 681. — Aujourd'hui le pronom personnel et le pronom
indéfini « on » ne peuvent être séparés du verbe dont ils
sont sujets que par la négation « ne » ou par d'autres pro-
noms : « je le lui ait dit. » Dans l'ancienne langue le pro-
nom sujet pouvait être séparé du verbe par n'importe
quels mots :
ORDRE DES MOTS. 269
Sermons de saint Bernard : « Quand il les choses sin-
guleres enseut. » Nous dirions : « Quand il suit les choses
singulières. »
Joinville: « Quant il de celle perillouse terre escha-
poit. »
Ibidem : « Liquex estoit uns des plus hardis homes que
je onques veisse. » C'est-à-dire : « Lequel était un des
hommes les plus hardis que j'eusse jamais vus. »
VI. — Les pronoms régimes.
§ 682. — Les pronoms régimes (non précédés de pré-
positions) se placent aujourd'hui devant le verbe ; il en est
de même des pronoms adverbiaux en et y. L'ancienne
langue pouvait aussi les placer après le verbe :
Chanson de Roland : « Faites-le vus de gret ? » Mot à
mot : « Faites-le yous exprès? »
Ibidem : « Il lancent lur e lances e espiez. » C'est-à-dire:
« Ils leur lancent... »
Ibidem : « Met sei en piez. »
Livres des Rois : « Pur destruire la. » Nous dirions :
« Pour la détruire. »
Poème de Tristan : c Pur o'ir i le grant servise. » C'est-
à-dire : « Pour y ouir le grand service. »
§ 683. — Dans quelques cas (avec un impératif non ac-
compagné d'une négation), le français moderne met par
exception le pronom régime après le verbe : « Tais-/oi,
viens-?/ ». L'ancienne langue pouvait dire : « Te lien (tiens-
toi), i venez (vencz-j/). »
§ 684. — Aujourd'hui, lorsque le verbe doit être précédé
de deux pronoms régimes, c'est le pronom de la troisième
personne qu'on met le dernier : « Je vous le ou les donne,
je te le conseille, je me le dis. » Quand les deux pronoms
sont de Ja troisième personne, le, la, les se mettent avant
270 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
lui et leur: « Je le lui ou le leur répète. » Quand les deux
pronoms suivent le verbe (après les impératifs), on met
toujours le, la, les avant lui et leur ; mais si le pronom
de la troisième personne est avec un pronom d'une autre
personne, on peut suivre l'ordre qui est obligatoire devant
le verbe, ou l'ordre inverse : « Donnez-nous-le » ou « don-
nez-le-nous ».
Dans l'ancienne langue, cet ordre inverse était possible
même devant le verbe.
Chanson de Roland : « Jo l'vus parduins. » Mot à mot :
« Je le vous pardonne. »
Serinons de saint Bernard : « Ensi ne/ (pour ne le) te
mat om mies davant. » Mot à mot : « Ainsi ne le te met-on
point devant. » Nous dirions : « On ne te le met point... »
Joinville : « Car je le vous doing, et si le vous garanti-
rai. » Mot à mut : « Car je le vous donne et le vous garan-
tirai. »
v5 685. — Nous plaçons y devant en : « Il y en a. » On lit
dans Joinville : « Il e)i y ot de noies. » Mot à mot : « Il en
y eut de noyés. »
Ibidem : « Et en y avoit bien six ou sept. » C'est-à-
dire : « Il y en avait bien six ou sept. »
VII. — Pronoms sujets et régimes d'un infinitif.
v^ 686. — Quand un pronom est sujet ou régime d'un
verbe à l'infinilif, il se place généralement aujourd'hui
avant l'infinitif et après le verbe qui régit cet infinitif : « Je
veux 7H'en aller ; il voulut le poursuivre. » On pourrait dire
cependant : « il le voulut poursuivre », et cette construction
est obligatoire avec certains verbes : « Je /'entends accu-
ser; je le vois poursuivre; il le fit tuer. » Le pronom sujet
de l'infinitif se place de même avec ces verbes : « Je /'en-
tends |)arler, jo Ir vois courir. »
ORDRE DES MOTS. 271
Dans l'ancienne langue, le pronom pouvait toujours être
placé avant ou après les deux verbes.
§ 687. — D'autre part, nous avons vu que l'infinitif se
mettait souvent avant le verbe qui le régissait (§ 676). Dans
ce cas, le pronom sujet ou régime de l'infinitif se plaçait
entre les deux verbes :
Chanson de Roland : « N'est hum qui 1' veit et conoistre
le set... » Mot à mot : « N'est homme qui le voit et connaî-
tre le sait. » C'est-à-dire : « Tout homme qui le voit et sait
le connaître. «
Ibidem : « Aler vus en estoet. » Mot à mot : « Aller vous
en il faut. » C'est-à-dire : « Il faut vous en aller. »
§ 688. — Lorsque l'infinitif est uni au verbe qui le ré-
git par une préposition, nous plaçons toujours le pronom
régime de cet infinitif entre la préposition et l'infinitif :
« Ils commencèrent à le battre. » L'ancienne langue pou-
vait mettre le pronom régime avant le verbe principal.
Joinville : Sa gent me commencierent a escrier. » Mot à
mot : « Ses gens me commencèrent à appeler. » C'est-à-dire :
« commencèrent à m^appeler. »
Ibidem : « Li menus peuples de la ville ne s'averoit pooir
de defjfendre sanz gouvernours. » Mot a mot : « Le peuple
de la ville ne s'aurait pouvoir de défendre sans gouver-
neurs. » C'pst-à-diro : « n'aurait pouvoir de se défendre. »
s; 689. — Quelquefois, dans la langue actuelle, le pronom
sujet du verbe principal et le pronom régime de l'infinitif
se trouvent réunis entre les deux verbes : « Veux tu me
suivre? » L'ancienne langue pouvait intervertir l'ordre des
deux pronoms, ou mettre le pronom régime de l'infinitif
avant le verbe principal :
Sei'mons de saint Bernard : « Vuels me tu faire pastor
de berbiz?» Mot à mot: « Youx me tu faire pasteur de
brebis?»
272 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS
Chanson d'Amis et Amiles : « Amis biax frere, sez noz tu
conseillier. » C'est-à-dire : « Ami beau frère, sais-f?/ nous
conseiller. »
Froissart : « A poinnes ne s'osoit il tenir en Flandres. »
Nous dirions : « A peine osait-^7 se tenir en Flandres. »
VIII. — Place des adverbes.
§ 690. — Aujourd'hui, les adverbes se placent ordinai-
rement après le verbe; et, quand ils le précèdent, on n'a
pas en général la faculté de les mettre après. Là comme
partout ailleurs, l'ancienne langue était beaucoup plus
libre :
Joinville : « Sa nef qui bien estait une lieue devant la
la nostre. » Nous dirions : « Sa nef qui était bien une lieue
devant la nôtre. »
§ 691. — « Pas, plus » se mettaient quelquefois avant ne.
On lit dans un fableau : « Cest avoir pas ne li rendron. »
C'est-à-dire : « Nous ne lui rendrons pas cet avoir. »
ORDRE DES MOTS QUI NE SONT PAS EN RAPPORT
IMMÉDIAT AVEC LE VERBE
§ 692. — Nous étudierons l°la place des compléments
relativement aux noms, adjectifs, pronoms ou adverbes qui
les régissent, 2° la place de l'adjectif épithète, 3° celle de
l'adverbe se rapportant à un adjectif ou à un autre adverbe,
4° celle des adjectifs déterminatifs.
I. — Compléments des mots autres que le verbe.
§ 693. — Le complément suit aujourd'hui le mot dont
il dé|jond, sauf dans les inversions poétiques, par exemple
dans ce vers de Corneille :
« Ainsi du genre humain l'ennemi vous abuse. »
ORDRE DES MOTS. 273
Dans l'ancienne langue, le complément était plus sou-
vent placé le premier :
Livres des Bois : « Deus est de science Sires. » C'est-à-
dire : « Dieu est Seigneur de science. »
Chanson de Roland : « De tuzles mielz preisiez. » Mot à
mot : « De tous les mieux prisés. » C'est-à-dire : « les mieux
prisés de tous, les plus estimés. »
Ibidem : « Naimes li dux e des altres asez. » Ce qui veut
dire : Le duc Naime et un grand nombre (assez) des autres.
§ 694. — Cette inversion était possible, même après une
préposition ou un article, c'est-à-dire que le complément
pouvait être placé entre la préposition ou l'article et le nom :
Serments de Strasbourg : « Pro Deo amur. » Mot à
mot : « Pour de Dieu l'amour. »
Vie de saint Thomas de Cantorbéry : « Li Deu amis. »
Mot à mot : « Le de Dieu ami. »
Joinville : « Messires Gobers d'Apremont ses frères, en
cid compaingnie... passâmes la mer. » Mot à mot : « Mon-
seigneur Gobert d'Apremont, son frère, en de qui compagnie
nous passâmes la mer. » C'est-à-dire : « en compagnie de
qui. ')
§ 695. — Le complément pouvait être séparé du mot
dont il dépendait par plusieurs autres :
C hanson de Roland : « Mais des meilleurs voeil jo retenir
treis. n C'est-à-dire : « Je veux retenir trois des meilleurs. >>
Ibidem : « Des altres i out bien. » Mot à mot : « Des au-
tres il y eut bien. »
II. — Place de l'adjectif épithète.
^696. — Aujourd'hui, nous plaroiis l'adjeclif épithète
tantôt avant le nom, tantôt après. Dans l'ancienne langue,
l'adjectif se mettait plus souvent n vaut le nom, et la valeur
propre de cet adjectif n'était pas modifiée par sa place,
274 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
comme il arrive pour le fiançais actuel, où « grand » n'a
pas le même sens dans « grand homme » et dans « homme
grand ».
Nous mettrions l'adjectif après le nom dans l'exemple
suivant :
Chanson de Roland: « Farla. franceise gent. »
Nous mettrions au contraire l'adjectif avant le nom dans
ce vers de la chanson de Roland :
« Li empereres Caries de France dulce. »
§ 697. — On disait aussi « France la dulce », avecl'arli-
cle entre le nom et l'adjectif. Aujourd'hui, on ne fait suivre
un nom d'un adjectif précédé de l'article, que lorsqu'on
veut déterminer et non pas seulement qualifier ce nom.
Mais cette distinction n'existait pas dans l'ancienne langue :
« France la dulce » était l'équivalent de « France dulce »
ou de « dulce France ».
On plaçait de même après le nom le substantif épithèle
précédé de l'article.
Chanson de Roland : « Charles li reis » (Charles le roi) ;
« Guenes li quens » (Ganelon le comte).
Dans ces exemples, il ne s'agit pas de distinguer Charles
le roi d'un autre Charles, ni Ganelon le comte d'un autre
Ganelon. Nous dirions donc aujourd'hui : « Le roi Char-
les » et « le comte Ganelon ».
§ 698. — Quand un nom était accompagné de deux
adjectifs, il se plaçait quelquefois entre les deux, et alors
le second ajectif était précédé de l'article :
Chanson de Roland : « Clere Espaigne la bêle. » G'est-
dire : « La claire et belle Espagne. » L'ancienne construc-
tion mettait en relief le second adjectif.
§ 699. — L'adjectif pouvait être séparé du nom par
d'autres mots.
ORDRE DES MOTS. 273
Nous avons vu que le substantif, remplissant les fonc-
tions de sujet, d'attribut ou de régime, pouvait se
mettre avant ou après' le verbe. Quand il était accom-
pagné d'un adjectif, il en était souvent séparé par le
verbe :
Chanson de Roland : « Escuz unt genz. » C'est-à-dire :
« Ils ont de beaux éciis. »
Ibidem : Cors ad mult gent. » C'est-à-dire : « Il a le corps
très beau. »
Roman de Brut : « Sor un ceya/ monta mult bel. » C'est-
à-dire : « Il monta sar un cheval très beau. »
III. — Adverbe se rapportant à un adjectif ou à
un autre adverbe.
§ 700. — L'adverbe peut être séparé de l'adjectif ou
de l'autre adverbe par un ou plusieurs mots, notamment
par un verbe.
Châtelain de Couci : « Touz jours m'est plus s'amours
fresche et nouvelle. » C'est-à-dire : « Tous les jours son
amour est pour moi plus frais et nouveau. »
Chanson de Roland : « Tere majur mult est loinz. »
C'est-à-dire : « Le grand pays est très loin. »
Ibidem : Mult par est pruz sis cumpainz Oliviers. »
C'est-à-dire : « Son compagnon Olivier est très pileux. »
Ibidem : « Trop avez tendre coer. » C'est-à-dire : « Vous
avez le cœur trop tendre. »
Ibidem : « N'est gueres granz, ne trop nen est petiz. »
C'est-à-dire : « 11 n'est pas trop grand et n'est pas t7'op
petit. »
Ibidem : « Plus est isîiels qu'esperviers ne aronde. »
C'est-à-dire : « Il est plus rapide qu'épervier ou hiron-
delle. »
Encore aujourd'hui on peut séparer plus ou moins de
276 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
l'adjectif auquel ils se rapportent, mais seulement lors-
qu'on les met en tête de deux propositions opposées :
a Plus on est sévère, plus on est aimé. »
IV. — Place des adjectifs déterminatifs.
§ 701. — Les adjectifs déterminatifs occupent en géné-
ral la même place que dans le français moderne. Toutefois
autre se mettait souvent avant tel ou avant les noms de
nombre. Encore au xvi^ siècle, on trouve dans H. Es-
tienne : « Autres telles choses, » au lieu de « telles autres
choses. » Joinville écrit : « Pour querre autres quarante
livres. » Nous dirions : « quarante autres livres. »
CHAPITRE II
ORDRE DES PROPOSITIONS
§ 702. ■ — Les propositions sont unies entre elles par les
conjonctions et le pronom relatif. La conjonction, dans
l'ancienne langue comme dans la langue moderne, se place
ordinairement en tête de la proposition. Quant au pronom
relatif, aujourd'hui il suit immédiatement son antécé-
dent, ou s'en éloigne le moins possible ; quand cet antécé-
dent est le pronom celui, il ne peut en être séparé. Il ré-
sulte de ces règles que, si l'antécédent du pronom relatif
est le sujet de la proposition principale, l'incidente se pla-
cera généralement au milieu de la proposition principale,
séparant le sujet du verbe :
« L'homme qui vous parle est mon ami. »
§ 703. — Dans l'ancienne langue on pouvait toujours
rejeter l'incidente après la proposition principale, en
usant de l'un des deux procédés suivants :
ORDRE DES PROPOSITIONi, 277
1" En plaçant le sujet de la proposition principale après
le verbe :
Villehardouin : « Mult esgarderent Gonstantinople cil
qui onques mais ne l'avoient veue. » Mot à mot : « Re-
gardèrent beaucoup Gonstantinople ceux qui jamais ne
l'avaient vue. »
2° En séparant le relatif de son antécédent, ce qui est
encore possible quelquefois :
Villehardouin: « Nule genz n'ont si grant pooir, qui sor
mer soient. » Mot à mot : « Aucun peuple n'a si grand
pouvoir, qui sur mer soit. « C'est-à-dire : « Aucun des peu-
ples qui habitent sur les bords de la mer n'a une si grande
puissance. »
Chanson de Roland : Cil sunt montet ki le message
firent. « Mot à mot : « Ceux sont montés qui le ^message
firent. » C'est-à-dire : « Ceux qui firent le message sont
montés. «
§ 704. — Aujourd'hui dans les phrases semblables, si,
pour mettre en relief la proposition principale, nous vou-
lons rejeter l'incidente à la fin, nous sommes obligés d&
reculer aussi l'antécédent, qui ne peut être séparé du rela-
tif, et comme, d'autre part, le sujet doit précéder le verbe,
nous remplaçons cet antécédent, devant le verbe de la propo-
sition principale, par un pronom pléonastique : « /^est parti
celui que ton cœur aimait tant », dit un refrain populaire.
§ 705. — La conjonction que est à l'origine un pronom
relatif neutre. On l'emploie encore quelquefois avec un
antécédent, qui est toujours l'un des pronoms neutres il on
ce : « Ce n'est pas sans raison que... Il fut décidé que... Il
j)artit parce que... » Dans « parce que » la conjonction suit
immédiatement son antécédent, tandis qu'elle en est séparée
dans les deux premiers exemples. L'ancienne langue pou-
vait employer librement les deux constructions :
Clédat. 1 6
278 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Sermons de saint Bernard : « CeukeYiFWz venist ne fut
mies atorneit senz lo consoil delà sainte Triniteit. » Mot à
mot : « Ce, que le Fils viendrait, ne fut pas décidé sans le
conseil de la sainte Trinité. » Nous dirions : « // ne fut pas
décidé... que le Fils viendrait. »
Cette construction se trouve encore dans Bossuet : « Ce
que Dieu est bon, c'est du sien et de son propre fonds. »
C'est-à-dire : « C'est de son propre fonds que Dieu est
bon. » On remarquera seulement dans Bossuet la répéti-
tion de ce devant le verbe.
Joinville : « Et maintenant les eussent attains et dévorez,
se ne fust ce que il lassoient cheoir aucune piesce de drap
mauvais. » Mot à mot : « Et à l'instant ils (les lions) les eus-
sent atteints et dévorés, si n'eût été ce que ils laissaient
tomber quelque pièce de drap mauvais. » C'est-à-dire : « si
€6 n'eût été que. »
§ 706. — Si nous séparons ce neutre de la conjonction
que, nous ne pouvons le séparer du pronom relatif propre-
ment dit, et nous disons : « Donnez-moi ce que vous avez
de monnaie », plaçant l'incidente entre ce et son complé-
ment « de monnaie ». L'ancienne langue aurait pu dire :
« ce de monnaie que vous avez. »
Joinville : « Je jetai hors ce d'argent que j'y trouvai. »
TROISIEME PARTIE
VIEUX GALLICISMES
Nous ne pouvons songer, dans un livre élémentaire, à
donner une étude détaillée de nos anciens gallicismes.
Nous nous contenterons de signaler les plus importants.
Il y a, il n'y a pas.
§ 707. — Ce gallicisme a été de tout temps en usage
daus la langue française. Les auteurs anciens l'emploient
le plus souvent sous les formes « il a, y a, a ». Il était gé
néralement suivi du cas régime; mais il semble qu'on ait
le cas sujet dans cette phrase des Livres des Rois : « Il i
out uns oriloges », c'est-à-dire : « Il y avait une horloge. »
Exemples de « il a » :
Sermons de saint Bernard : Tell dessevrancc cum il at
entre saint Pierre et saint Abraham. » Mot à mot :
« Telle différence qu' il y a entre saint Pierre et saint
Abraham. »
Joinville : « Là où il avoit huit de mes chevaus. » Nous
dirions : « là ou il y avait hiûl de mes chevaux. »
Exemples de « y a <> :
Chanson de Roland : « Nï ad païen ki un sul mot res-
pundel. » Mot à mot : » N'y a païen qui un seul mot ré-
ponde. »
Sermons de saint Hcrnard : « Totevoies i avoit ancor
une chose. » C'esl-à-dire : « Toutefois // y avait encore une
chose. »
280 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Exemples de v. an :
Joinville: « En ces neis de Marseille a dous gouvernaus. »
C'est-à-dire : « Dans ces vaisseaux de Marseille il y a deux
gouvernails. »
Ibidem : « Darieres son amiral avoit un bachelier bien
atournei. » C'est-à-dire : « Derrière son émir, il y avait un
bachelier bien équipé. »
Notre adverbe wag'Mères s'écrivait jadis « n'a guères »,
et équivalait à : « il n'y a guères », sous-entendu :
« de temps».
Faire à, suivi d'un infinitif.
§ 708. — « Faire à louer » équivalait à « faire chose à
louer » et par suite « être à louer, être digne d'éloge. »
Chanson de Roland : « Cil ki là sunt ne funt mie à blas-
mer. » Mot à mot : « Ceux qui là sont ne font point à blâ-
mer. » C'est-à-dire : « ne sonf point à blâmer. »
Sermons de saint Bernard : « Font a repenre cil ki
presumptious sunt. » C'est-à-dire : « Ceux qui sont pré-
somptueux sont à reprendre, doivent être repris, répri-
mandés. »
Faire que suivi d'un adjectif ou d'un substantif.
§ 709. — « Faire que fou » signifiait : « faire une
chose que ferait un fou », par conséquent : « agir en
fou. »
Chanson de Roland : « Naimes li dux d'iço ad fait que
pruz. » C'est-à-dire : « Le duc Naimes en cela a agi en
preux. »
Joinville : « 11 firent moût que saige. » C'est-à-dire ;
« Ils agirent beaucoup en sages, ils agirent très sage-
ment. »
VIEUX GALLICISMES. 281
Pour peu, pour peu que, a bien petit que,
par un peu que.
§ 710. — On trouve « pour peu, pour peu que, a bien
petit que, par un peu que » avec le sens de : « Il s'en faut
peu que... »
Chanson de Roland : « Piirpoi d'ire ne fent. » Mot à mot :
« Pour peu de colère ne se brise. » C'est-à-dire : « Peu s'en
faut qu\l ne se brise de colère. »
Ibidem : « Pur poi qii'û n'est desvez. » Mot à mot: « Pour
peu qu'il n'est rendu fou. » G'est-à-dire : « Peu s'en faut
qii'û ne devienne fou. »
Ibidem : « A bien petit que il ne pert le sens. » C'est-à-
dire : « Peu s'en faut qu'il ne perde le sens. »
Villehardouin : « Li Vénitien se ferirent as vaissiaus, qui
ains ains, qui mius mius, si que par un poi que li uns
n'ocioit l'autre. » G'est-à-dire : « Les Vénitiens se jetèrent
sur les vaisseaux à qui mieux mieux, si bien que peu s'en
fallait qu'ils ne se tuassent les uns les autres. »
Celui ou celui qui dans une proposition négative.
§ 711. — Dans les propositions négatives on trouve sou-
vent « celui » ou « celui qui », que nous remplacerions au-
jourd'hui par « personne qui ».
Chanson de Roland : « N'i ad celui ne plurt et se dé-
ment. » Mot à mot : « Il n'y a celui ne pleure et se lamente. »
C'est-à-dire : « Il n'y a personne qui ne pleure et ne se
lamente. »
Ibidem : « N'i ad celui là mot sunt ne mot tint. » Mot à
mot : « Il n'y a celui qui mot sonne ni mot tinte. » G'est-à-
dire : « Il n'y a personne qui fasse sonner ni tinter un
mot. »
16.
282 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Est qui dans le sens de quelqu'un [quelqu'un est qui).
§ 712. — Chanson de Roland : « S'esf ki l'clemandet... »
Mot à mot : « Si est qui le demande. « Nous dirions : « Si
quelqu'un le demande. »
Ibidem : « Seit ki l'ociet ! » Mot à mot : « Soit qui le tue 1 »
C'est-à-dire : « Que quelqu'un le tue. »
D'une chose à faire, pour une chose à faire, etc.,
au lieu de de faire une chose, pour faire une
chose, etc.
§ 713. — Roman de Brut : « Se porpensa de sun frère a
engeignier. » Mot à mot : « Il s'occupa de son frère à trom-
per. » C'est-à-dire : « de tromper son frère. »
Sermons de saint Bernard : « Se penat de lui a aniantir. »
Mot à mot : « Il se peina de lui à anéantir. » C'est-à-dire :
« 11 s'efTorça de l'anéantir. »
Ibidem : « Por lui a vengier. » C'est-à-dire : « pour le
venger. »
§ 714. — On construisait aussi en rejetant le régime de
la préposition après le verbe :
Chronique de Ph. Mousket : « Pour a rescoure Troie. »
C'est-à-dire : « pour Troie à regagner, pour regagner
Troie, i)
§ 715. — On a Uni par ne plus se rendre compte de l'o-
rigine de ces locutions, et par considérer « pour à »
comme une sorte de préposition composée qui a pris le
sens de :< au risque de ».
Froissart : « Li chevaliers, joour a morir, ne s'i fust ja-
m lis accordé. » C'est-à-dire : « Le chevalier, au risque de
mourir, n'y eut jamais consenti. »
On disait aussi « sur à », à peu près avec le même sens.
PHONÉTIQUE*
DEFINITIONS
§ 716. — La phonétique (du grec tpoivvi, voix, son) est
l'étude des transformations des sons; elle nous apprend
quels sons de notre langue correspondent aux difîérents
sons (voyelles et consonnes) de la langue latine, et par
quelles transitions chacun d'eux a passé.
^5 717. — On appelle orthographe ou plutôt graphie ^ la
manière de représenter les sons dans l'écriture, à l'aide des
lettres. Malheureusement la même lettre ne représente pas
toujours le même son. Antérieurement au xvi*^ siècle nous
n'avons que peu de renseignements sur la véritable pro-
nonciation des mots, et nous sommes souvent réduits à
noter les graphies successives d'un même mot, sans pou-
voir indiquer avec précision quels sons expriment ces
graphies.
§ 718. — Les sons dune langue se divisent en voyelles,
consonnes et diphtongues. Entre une diphtongue et une
syllabe composée d'une voyelle et d'une consonne, par
exemple entre ié et té, il n'y a qu'une seule dilTérence :
c'est que, dans la diphtongue, le rôle de consonne est donné
à une voyelle {i dans ié), prononcée plus rapidement qu'une
voyelle ordinaire, et à la manière des consonnes.
L'orthographe actuelle contient plusieurs diphtongues
1. Logiquement^ la phonétique devrait être placée avant l'étude des
flexions. Nous l'avons rojetéo ici parce qu'il nous a semblé que ceux
qui n'ont aucune connaissance préalable du latin auraient intérêt à
commencer par la grammaire proprement dite.
2. Orthographe s\sinl\(i proprement» bonne graphie ».
284 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
apparentes, purement graphiques, qui sont en réalité,
dans la prononciation, des voyelles simples : ainsi au, eu,
ai. De même, dans le latin populaire qui a précédé la for-
mation des langues romanes, « se, œ » étaient depuis long-
temps des diphtongues purement graphiques, et se pronon-
çaient e.
Nous avons exposé ailleurs (§ 12 et suivants) les lois
générales de la phonétique. Ici nous prendrons les uns
après les autres les différents sons du latin, et nous mon-
trerons ce qu'ils sont devenus en français.
PREMIERE PARTIE
TRANSFORMATION DES VOYELLES
ET DIPHTONGUES
GÉNÉRALITÉS
I. — Quantité des voyelles en latin.
§ 719. — Chaque voyelle latine avait deux pronon-
ciations différentes, la prononciation brève et la pronon-
ciation longue.
Or un e bref, par exemple, différait d'un e long non
seulement par la quantité ou la durée du son, mais aussi
par le timbre : l'e bref avait le timbre de notre è ouvert de
lèvre, et l'e long, celui de notre é fermé de bonté. L'a est la
seule voj'elle latine dont le timbre ait été le même quelle
que fût la quantité.
On comprend donc que les voyelles latines (sauf l'a) aient
produit dans les langues romanes des sons différents sui-
vant qu'elles étaient brèves ou longues.
II. — Quantité naturelle des voyelles suivies
de plusieurs consonnes
§ 720. — La versification latine reposait sur la quantité.
Un vers latin se composait d'un certain nombre de syllabes
brùves et de syllabes longues groupées dans un ordre dé-
terminé. Dans ce système, une voyelle suivie do deux ou
plusieurs consonnes était assimilée à une voyelle longue,
assimilation qui a fait croire pendant longtemps qu'une
voyelle suivie de idusieurs consonnes avait toujours la
prononciation longue. 11 nan est rien cependant. Ainsi Vc
286 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
de lectuin (toit) et celui de lectmn (lit) comptaient de même
dans les vers, mais l'un était naturellement long et l'autre
naturellement bref; ils ne se prononçaient pas de même
et n'ont pas donné le même résultat en français.
III. — Influences diverses qui agissent sur
la transformation des voyelles.
§721. — Les modifications subies par une voyelle la-
tine dans son passage du latin au français dépendent non
seulement de sa qualité de brève ou de longue, mais en-
core de sa place dans le mot, et, dans beaucoup de cas,
des consonnes qui la précèdent ou de celles qui la sui-
vent. Ainsi Ve long dans la syllabe tonique se change ordi-
nairement en ei puis oi (le'gem, lei, loi), tandis qu'il de-
vient le plus souvent e muet dans la première syllabe du
mot (debére, devoir) ; le même e long, dans la syllabe to-
nique, devient et reste ei lorqu'il est suivi d'un n (plénum,
plein). Nous allons passer en revue quelques-unes de ces
causes de variations.
Action des gutturales.
§ 722. — Les consonnes qui agissent le plus souvent
sur la transformation des voyelles latines sont les gut-
turales (c, g). L'efTet habituel de la gutturale est de pro-
duire un i semi-voyelle qui s'ajoute à la voyelle suivante
ou à la voyelle précédente, quelquefois aux deux. Ainsi le
c du latin c^ra, tout en se maintenant comme consonne
sous forme d'un c doux, a produit un i semi-voj^elle qui
s'est placé devant la diphtongue ei dérivée de Ve long to-
ni(iue; céra est donc devenu cieire, puis, la triphtongue^e^
s'étant contractée en i, cire. Le c du latin décem, tout en se
maintenant comme consonne sous fornie d'une s, a pro-
duit aussi un i semi-voyelle qui s'est placé après la diph-
TRANSFORMATION DES VOYELLES ET DIPHTONGUES. 287
longue ié dérivée de Ve bref tonique ; il en résulte que
décem a donné d'abord dieis, puis, la triphtongue iei s'élant
contractée en t, dis (écrit aujourd'hui dix). Dans tractâre
le c est tombé, mais en disparaissant il a produit un i
semi-voyelle qui s'est en quelque sorte dédoublé, agissant
à la fois sur le premier a qu'il a changé en ai, et sur le se-
cond qu'il a changé en ié. C'est ainsi que tractare a donné
traitier. Plus tard la diphtongue ié s'est réduite à é, comme
dans tous les infinitifs semblables, et la trace de l'influence
du c latin sur Va tonique a disparu.
Action de j, de e oui consonni/iable, de i /înal.
§ 723. — La consonne j, et les voyelles e, i, quand elles
sont suivies d'une autre voyelle, produisent des effets ana-
logues à ceux des gutturales. Ve ou Yi, suivi d'une autre
voyelle, offre en effet cette particularité de se changer en i
semi-voyelle. Quelquefois cet i semi-voyelle est devenu une
consonne chuintante : c'est ainsi que le g de linge vient de
l'e du latin /ineum. VeeiYi latins placés dans ces conditions
peuvent donc devenir consonnes, sont consonni fiables, si
on nous permet ce néologisme : c'jest le nom que nous leur
donnerons désormais, pour les distinguer de Ve et de Vi
suivis d'une consonne. L'^ consonnifiable de medietdtem se
retrouve dans les deux i du mot français moilié, comme le
c de tractare dans les deux i du vieux mot traitier.
§ 724. — Un i terminant le mot latin produit quelque-
fois des effets analogues ; dans la flexion dvi du prétérit
des verbes en are, Va tonique est devenu ai sous l'influence
de Vi final : je chantai (voy. § 311). Le nominatif pluriel
delà seconde déclinaison se terminait toujours en i ; mais
cet i n'a modifié le changement de la tonique qu'au carf
sujet pluriel des pronoms icil, icist, il, et de l'adjectif indé-
fini toz (voy. §§ 126 et 157).
288 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Action d'un u atone
§ 725. — Dans quelques cas assez rares les voyelles
latines ont subi l'influence d'un u atone qui les suivait im-
médiatement ou dont elles n'étaient séparées en latin que
par une consonne qui est tombée. C'est Vu atone de * habnnt,
de \adunt et de * facunt, qui, en se combinant avec l'a
tonique, a produit Yo des mots ont, vont, font. Nous avons
vu aussi, dans la grammaire proprement dite, comment
Im post-tonique a modifié la transformation de la voyelle
tonique dans le prétérit des verbes avoi7% plaire, devoir, etc.
(§§ 315 et 316).
C'est encore à l'influence de Vu qu'on doit la transfor-
mation du substantif clavxxm en c/ou, tandis que clavem
donnait clef. Expliquez de même trou, de* trdugmn, fou
(vieux mot signifiant hêtre), de fâgum, et les formes an-
ciennes fou. (feu) de fôcum, cous (queux) de càquus, etc.
Vu de Deum se retrouve aussi dans le français Dieu.
I.a rareté de cette action de Vu nous dispensera de la
comprendre dans les tableaux ci-dessous.
Action de plusieurs consonnes suivant immédiatement la
voyelle.
§ 726. — Lorsqu'une voyelle est suivie de plusieurs
consonnes, elle ne subit pas en général la même transfor-
mation que lorsqu'elle est suivie d'une seule consonne.
Ainsi Va tonique se change ordinairement en é (sanitâtem :
santé); mais le même a tonique suivi de plusieurs con-
sonnes reste a (partit : part). L'a de âsinum (asne, âne) est
traité comme un a suivi de deux consonnes, parce que Vi
atone qui séparait Vs de Vn était tombé avant la transfor-
mation du latin en français; nous indiquerons ce fait»
RTANSFORMATION DES VOYELLES ET DIPHTONGUES. 289
quand il y aura lieu, en plaçant la voyelle tombée entre
parenthèses : as[i)num.
Pour les mots tels que « as(i)num », c'est-à-dire où les
deux consonnes étaient séparées en latin, le français a
quelquefois hésité, et il peut arriver qu'on trouve deux,
formes contradictoires pour un même mot.
§ 727. — Quand une voyelle n'est suivie que de deux
consonnes, et que la seconde de ces consonnes est une li-
quide {l ou r),il arrive souvent que la voyelle est assimilée
à celles qui sont suivies d'une seule consonne ; ainsi l'a to-
nique dejodfrem a donné «e» français, comme celuide^(i/eîw:
père, tel. C'est que le t de pati'em s'appuie sur Vr et non
sur Va précédent : on prononce « pa-trem » et non « pat-
rem ». Une prononciation telle que « pa-trem » n'est pos-
sible que lorsque la seconde consonne est une liquide ;
dans partit, par exemple, la première consonne s'appuie
nécessairement sur la voyelle précédente : pay^-tit.
La langue a quelquefois hésité entre deux traitements
pour les voyelles suivies de deux consonnes dont la se-
conde est une liquide. D'ailleurs certaines consonnes ne
peuvent se lier avec les liquides, et, dans ce cas, la voyelle
qui précède ne saurait être traitée comme si elle n'était
suivie que d'une seule consonne. C'est ainsi que l'a tonique
de cdm{e)ra (chambre) a été traité non comme celui de
pâlrem, mais comme celui de dii{i)num.
TABLEAUX DE PHONÉTIQUE VOCALIQUE
EXPLICATION DES TABLEAUX.
§ 728. — Les éclaircissements préalables que nous ve-
nons de donner nous permettront de présenter la phoné-
tique des voyelles sous forme d(î tableaux. Les exemples
que nous proposerons pour chaque voyelle seront répar-
Clédat. 1 7
290 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
tis SOUS douze numéros, représentant les principales con-
ditions phonétiques qui peuvent modifier la transforma-
tion des voyelles.
Les huit premiers numéros nous montreront la voyelle à
étudier séparée delavoyellesuivanteparune seule consonne,
ouen hiatus avec cette voyelle. Les quatre dernières divisions
seront consacrées aux différents cas où la voyelle est sépa-
rée de la voyelle suivante par deux ou plusieurs consonnes.
Sous les numéros 1 à 3 et 9 à 11 la voyelle se trouvera
soustraite à toute influence de gutturale, d'e ou i conson-
nifiable, ou d'i final.
Voici au surplus l'indication précise des conditions re-
présentées par chaque numéro :
1° Voyelle suivie de toute autre consonne que /, m ou n,
ou qu'une gutturale.
2° Voyelle suivie de /.
3° Voyelle suivie de m ou n.
4° Voyehe en hiatus avec e ou i, ou séparée de e ou i
consonnifiable par toute autre consonne qu'un c ou un t,
ou soumise à l'influence d'un i final.
0° Voyelle séparée de e ou i consonnifiable par un c ou un t.
6° Voyelle suivie d'un g, ou d'un c suivi lui-même de
toute autre voyelle qu'un e ou i consonnifiable.
7° Voyelle précédée médiatement ou immédiatement
d'une gutturale, d'un/, ou d'un e oui consonnifiable.
8° Voyelle se trouvant en même temps dans les condi-
tions du numéro 7 et de l'un des numéros 4, 5, 6, ou 12.
9° Voyelle suivie des deux consonnes ns.
10° Voyelle suivie de deux consonnes dont la seconde
est une liquide.
11° Voyelle suivie de deux ou plusieurs consonnes, et
soustraite à l'influence de toute gutturale et de tout e ou i
consonnifiable.
TRANSFORMATION DES VOYELLES ET DIPHTONGUES. 291
12° Voyelle suivie de plusieurs consonnes et soumise
à l'influence d'une gutturale ou d'un e ou i consonni-
fiable 1.
§ 729. — Il va sans dire que chaque voyelle n'est pas
susceptible de douze modifications difl'érentes. Pour une
voyelle déterminée des conditions diverses amènent sou-
vent des modifications semblables, et plusieurs numéros
auraient pu être réduits à un seul si les divisions que nous
avons adoptées ne devaient pas simplifier plus tard la
phonétique des consonnes. En outre, une voyelle détermi-
née peut être insensible à des influences qui agissent sur
d'autres ; mais il est utile de comparer les efïets divers
d'une même cause, et nos tableaux permettront de faire
aisément cette comparaison pour le traitement des
voyelles.
On pourrait plutôt nous reprocher de n'avoir pas fait
assez de divisions. Ainsi le n° 4 devrait être subdivisé, car
il représente des conditions qui aboutissent quelquefois à
des traitements divers d'une même voyelle. Mais nous
avons craint de compliquer outre mesure un résumé qui
doit rester élémentaire.
Enfin il nous arrivera souvent de laisser des numéros
sans exemples, quand les conditions représentées par ces
numéros se rencontrent dans un trop petit nombre de mots
ou lorsque les exemples qu'on pourrait citer exigeraient
une discussion.
i< 730. — Nous ne formulerons, pour la phonétique des
voyelles, ni les règles ni les exceptions ; mais il sera fa-
cile de déduire les unes et les autres des exemples que nous
avons réunis. Certaines exceptions sont, à proprement
parler, des appUcalions de lois diflerentes. D'autres s'ex-
1. Le c n'agit pas sur la voycllo qui précède, lorsqu'il est redoublé
et suivi (le a, o ou u. Voyez l'exemple do vaccam, § 733, 11».
292 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
pliquent pai' une modification de la quantité dans le latin
populaire ou par des influences analogiques, euphoniques
ou savantes.
§ 731. — Dans les exemples latins ci-dessous tous les
noms ou adjectifs seront mis à l'accusatif, parce que c'est
la forme dérivée de l'accusatif latin qui s'est maintenue en
français (Voy. § 80).
§ 732. — Pour chaque exemple français, la forme an-
cienne, quand elle diftere de la forme actuelle, ne sera
donnée qu'à la partie du mot pour laquelle l'exemple est
proposé *.
733. — A tonique.
1»
2°
3°
cantare :
chanter
poi'tatum :
sanitatem :
porté ^
santé
* comitatum-.
comté
clavem :
clef
pa.rem :
per [pair)
malum:
mal
malos :
mais, maux
legalem :
hospitalcm:
loyal
hôtel
capitakm :
sdam :
cheptel
ele (aile).
granum :
grain
manum :
main
* demane .
demam
amas:
aimes.
1. Je dois avertir aussi que les c ou è l'rançais seront accentués con-
formément il la prononciation actuelle. Nous ne pouvions aborder ici.
la question délicate de la prononciation au moyen âge.
1. Dans une partie de l'Est, le produit do Va latin (1°) est souvent ei
au lieu de é. Joinville écrivait ijorlei au lieu de porté.
TRANSFORMATION DES VOYELLES ET DIPHTONGUES. 293
5°
70
9"
aere^n :
aiv
ha.beam:
aie
sapio,
sai (indicat. prés, de savoh^)
* sapiwm :
i saive (autre forme de sage)
\ sage
sapiam :
sache
aream :
aire
paria :
paire
* quadrariam :
carrière
januarhim :
janvier
cantsivi :
chantai
castaneam :
châtaigne
* montaneam :
montaigne, montagne
cxtraneum :
étrange
psileam :
paille
vaileat :
vaille.
/"acio :
faz (indicat. prés, de faire)
/aciam :
face (fasse)
pZateam :
place
paZatium :
palais.
CflfmeracMm:
Cambrai
pacat :
paye
fAcit :
fait
p/acei :
plais 1, pla^t
pacem :
pais, paia?
medi&tsdem
moitié
ca.7iem :
chien
catmt :
cftief, cheî
Iractarc '.
traitier, traiter
lax.are :
laissier, laisser.
jacet :
fl'ist, gît
ccraseam :
cerise.
Irans :
très
rematisum :
renies (part, passé du vieux
verbe remanoir).
294
GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
10»
p&trem :
père
labra :
lèvre
ca»i(e)mm:
chambre
mutAb{i)lem :
{0
cabsillum :
muable.
cheval
vsiccam :
vache
as{i)num :
flsne, âne
male-sap[i)diun :
maussade
altenim :
altre, autre
aiDiiim :
an
corad{i)cum :
9o
courage.
grammsd{i)cam :
grammaire
factum :
fait
planctiim:
plaint
gubernsic[u)lum. :
gouvernail
plac{e)re :
plaire
acrem :
aigre
macrum :
maig-re.
§ 734. — A de la syllabe iiiitiale
10.30
hsibére :
avoir
* abante :
avant
ad (proclitique) :
à (préposition)
maritum :
mari
valére :
valoir
pandrium :
panier.
m{e)am (proclitique) :
ma
natdlcm :
noel
* pratùllum:
prael, prèau
* habûtum :
où, eu, eu.
40.60
habedtis :
ayez
sapidtis :
sachiez
* valediitem :
vaillant
facicntvm :
faisant
TRANSFORMATION DES VOYELLES ET DIPHTONGUES. 295
rsitiônem :
raison
pacdre :
payer
lilacébat :
~0
plaisait.
1
cabdllum :
chewaX
* catriinum :
chemin
* c8L7mtu7n :
chanu, chenu
calôrem :
chaleur.
8»
' jacéntem :
gisant
csiryôphyllon
giroÙe.
90-11°
transvérsus :
travers
Isitrônem:
larron
'psirtire :
partir
castéllum :
chasteau, château
cantdre :
chanter.
12"
SLdjutdntem :
aidant
tra.ctdre :
traiter
la-s.dre :
laisser.
§735.
l"
(tcbére :
— E long tonique.
deveî'r, devoir
débet :
deit, doit
.-iénim :
seir, soir
crédit :
creit, croit
hnbébat:
aveit, avoil, avait
ciétam:
creie, croie, craie
2°
catidMam :
( chandeile, chandoile
( chandelle
vêla :
veile, voile.
3"
avénam :
aveine, avoine
vénam :
veine
plénum :
plein.
40
débeo '.
dci, doi
296
GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
débeam :
deie, doie, {doive)
sépiam :
sèche
fériavi :
îeire, foire
féci:
f(S.
5°
* tapétiuin
thécam :
régem :
légem :
tapzs.
teie, toie, taie
rei, roi
lei, loi.
9°
10°
11»
12»
ceram :
mercédem :
placére :
>
ménsem :
ténsam :
pénsuin :
fléb{i)lem :
déb{i}tam :
véndere :
>
diréctum :
téctum :
créscîï :
c?re
merci
plaisir.
meis, mois
teise, toise
peis, pois (poi(fs).
( feible, foible, îaihla
[ feble.
l deite, doite
f dette
vendre.
dreit, droit
ieit, toit
creist, croisl, croî
§736. — E long de la syllabe initiale.
10.30
de (proclitique) : de (préposition)
debére : devoir
desiderat : désire
zelôsum : jaloux
rredébat: creoit, croyait.
40- G"
debedtis: deiez, doyez [deviez.)
TRANSFORMATION DES VOYELLES ET DIPHTONGUES. 297
legdlem: leia], loyal
secûrum: seiir, sûr.
\ peser
\ penser.
penfiâre :
12°
tectûram
tolliue.
§737.
— E ère/" tonique.
10.30
brévem :
brief, bref
sédet :
siet (du verbe seoir)
férum :
ficr
pédcm :
pied
mél :
miel
fél:
fie\
vénit :
vient
ténet :
lient
gémit :
gtent [geint]
trémit :
crient (cramf).
mè{u)m :
mien
méam
Ao
me/e, moie.
ministérium :
métier
fjirjérium :
gésier
fériat
fierg^e (de férir)
médium:
mi
* sédium :
siège
ténid :
tinc (fins)
*perdédi:
pordi (!'■« pers. de l'ancien pré-
térit)
vénio :
vienc (viens)
véniut :
\ienge [vienne)
mélius :
miels, mieux
mélior :
nuc'ldre, mieudre (cas sujet de
meilleur).
5°
spéciem :
épice
2M'étiMm :
pris, pria;
Venétiam:
Venise.
17.
298
GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
60
8°
10°
11'
12»
précat :
déccm :
légit :
0
gélu
gémit
ingénium:
evivîgélia :
fébrem :
lép{o)rem :
gén{i)rum :
tréin{u]lat:
>
I
séptem :
inférnum :
perd ère :
téstam :
novéllam :
novéllos :
agnéllos :
méd{i)cum:
tértium :
quutérnio :
*néptiam '
a
pèctns :
dispéctum :
léctum :
*véc[it)lum :
prie
dis, dix
lit
gie\ (mot qui a servi à former
dégel)
gient (geint).
engin
évangile.
îiéwe
lièvre
gendre
tremble.
sepL
enfer
pe;'dre
teste, tête
nouvelle
nouvels, nouveaux
agnels, agneaux
I mege,
■ miege
f mire (sous l'influence du c).
tiers
cahier
nièce
pis
dépit
liL
vieil
§ 738. — E bref de la syllabe initiale.
l°-3»
sedére
seoir
TRANSFORMATION DES VOYELLES ET DIPHTONGUES. 299
ferire :
férir
levdre:
lever
veitire:
venir
leonem :
lion
sedébat :
seoit, seyoït, soyaif.
40.60
medietdtem :
meitié, moitié
meliôrem :
meilleur
prendre :
premer, proisier {priser)
precdre :
preier, proier (prier)
recéntem :
reisant, rowant (vieux mot qiû
To
a le sens de récent).
geldre :
geler
cerdseam :
cerise.
100-110
trem{u)ldre :
trembler
februdrium :
février
perdébat :
perdait
mercdtum :
marcbi''
2)er (préfixe et
prèpo-
silion) :
por
'bellitdtem :
belté, beauté.
d2o
i eissue, Oîssue
*exîttom :
1 '
if issue
eccc-hic :
ici
ex (préfixe) :
es, é.
1°-^"
ripam :
auditum :
venirc :
occisum :
filum :
vilem :
*inem. :
livinum :
§ 739. — I lonff tonique.
nve
ouï
venir
occis
fil
vil
fin
devin
300
GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
40
6°
70
dû"
siispiriu7n :
tibiam :
soupir
lige
cet'visiam :
cevveise, cervoise
artemisium :
armeise, armoise
viyieam :
vigne
lineam :
ligne
lineum :
linge
lilium :
lis
filicm :
lille.
salsiciam :
saucisse.
sic :
dicat :
si (adverbe)
die {dise)
amicum :
ami
dicit :
dit
imperatricem
empereris (vieux mot
gnifle impératrice).
ginghHtm :
gencive
vicinum :
voisin.
libram :
livre
lih{e)rat :
desid{e)rat :
livre (de livrer)
désire.
11°
12«
villam ;
)
dijcit :
2)eric{u)liim :
clavic{u]lam :
*somnic{u)lum
qui si-
ville
dist
péril
cheville
sommeil.
§740.
10.30
ridéntem :
fiddre :
hïhérnum :
I long de la syllabe initiale.
riant
fier
hiver
TRANSFORMATION DES VOYELLES ET DIPHTONGUES. 301
vivéntem :
vivant
divinum :
divisât :
fildre :
devin
devise
filer
*limônem :
dimidium i
finir e :
limon
demi
fenir (finir).
40.C0
*Hnedticum :
filidstrum :
dicébat :
lig-nage
fillastre (beau-fils)
disait
vicinum :
veisin, voisin.
lOo-ll»
lib{e)rdre :
"villdnum :
livrer
vilain .
12°
di^isti :
disis, dc5is (dis, 2® personne da
prétérit).
1°
20
3°
viam :
bibit :
i;itZef :
pim :
pilum :
minus :
sinum :
BREF (comparez avec Te long).
§ 741. — I bref tonique.
veie, voie
beit, boit
veit, voit
peire, poire.
peil, poil.
.meins, moins
sein.
niveam:
invidiam :
tineam :
mirabilia :
consilium :
( neige, noige
j neûfe
envie
teigne
merveille
conseil.
302
GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
6°
10°
11°
12,^
pigritiam :
parece, paresse
t7'istitia7n :
tristece, tristesse
servitium :
servise, service
justitiam :
juslise, justice
* superpellicium:
surplis
vitium :
vice.
plicat :
1 pleie, ploie
, plie
picem :
peis, pois, poia".
cilium :
cil
exilium :
exil.
pip{e)rem Z
peevre, poivre
vitrum :
y veirre, voirre
( verre
tonitru :
\ toneirre, tonoirre
} tonnerre
cin{e]rem :
cendre.
mittere :
mettre
vir{i)dem :
vert
capillos :
chevels, cheveux
iZ/os :
els, eux
missam :
messe.
strictum :
estreit, étroit
ea;pZic(î)<u/n :
espleit, exploit
pingere :
peindre
fingere :
feindre
aM/'ic;M)/am :
oiedle
rer»iic(u)Zu//i :
vermeil
i//i:
il {ils)
conduxisti :
conduisis.
§ 742. — I à^'ef de la syllabe iniiialc.
10-3°
vidcre'. veoir [voir]
TRANSFORMATION DES VOYELLES ET DIPHTONGUES. 303
miséllum :
pildre :
bildnciam :
* mindre :
vidébat :
bibéntcm :
* fimdrium
40.60
titioncm :
plicdre :
ligâmen :
licére :
lOo-ll»
it{c)rdre :
virtùtem :
silvdticum :
•12°
Yiisciônem :
cinctùram :
pitigébat :
fingéntem :
vis{i}ldrc :
mesel (vieux mot qui signifie
misérable, lépreux)
peler
balance
mener
veoit, voyait
bevant, buvant
femier, fumier.
twon
\ plaer, ployer
( plier
^ leien, loien
( lien
leJsir, loîsir.
errer (au sens A'aller)
vertu
salvage, sauvage.
peîsson, poisson
ceinture
peiginait
feiV/nant
veiller.
§ 743. — O long tonique.
1«
florem :
horam :
plorat :
•iororem
amorem :
votum :
* pietosum :
gloriosum :
zclosum :
flor ', fleur
hore, heure
plore, pleure
seror(cas régime de sœur)
amor, amour
vot, veu (vœu)
pitos, piteux
glorios, glorieux
Jalos, jaloux.
1. Dans les textes anglo-normaïKls, c'est un u qui correspond ;\ l*o
long tonique latiu : flur, etc.
304
2°
solwn
3°
40
GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
sol, seul.
9°
10»
11'
donum :
Romam :
leonem :
don
Rome
lion
pavonem :
0
paon.
dormitorium :
gloriam :
cydonium :
testimoninm :
a
dortoir
gloire
cooing (coing)
témoin.
vocem :
5
\ois, voix.
*coperit :
cuexre (couvre).
cogitât :
3
cuide (de cuider : penser).
tonsiun :
tos, teus (vieux mot qui signifi
sponsum :
jeune garçon)
époux.
rob{u)r :
cop[n)lum :
■pon[e)re :
rovre, rouvre
copie, couple
pondre.
nom.[i)nat :
o?"(u)Za?n :
formam :
nomme
orle, ourle (d'où ourlet)
forme, fourme (forme)
or?iat :
orne, ourne (or7ie)
cortem :
coït, cour.
12°
*boscum
bois.
§ 744. — O long de la syllabe initiale.
10.20
plordre : plorer, plourer (pleurer)
noddre : noer, nouer
jiro (préposition) : por, powr.
TRANSFORMATION DES VOYELLES ET DIPHTONGUES. 305
donàre :
Romdnurn :
40.60
potionem :
otiosum :
vocdlem :
70
copé7'titm :
cohire :
8^
cogitdre :
9°
sponsdre :
cop{ii)ldre :
* corténsem :
orndre :
nom{i)ndre :
donner
Romain.
poison
oiseux
voyel {voyelle).
covert, coMver
coler, couler.
cuiAev.
esposer, épouser.
copier, coupler
cortois, courtois
orner, ourner {orner)
nommer.
745. — O bn>f tonique.
1»
2°
3»
novem et novum :
nuef, neuf ^
movet :
muet, meut
"potet :
puel, peut
soror :
suer, seur {sœur]
*volit :
vuelt, veut
scholam :
école.
bonum :
bon
/jojno :
hom, on.
morio :
Ç muerc (meurs)
( muà"
1. La fliplitonguc issue de Vo bref touique est souvent écrite oc au
lieu de lie.
306
GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
moriant :
( muerg-ent {meurent
1 mwirent
memoriam :
mémoire
hodie :
hui
podium :
pwî (vieux mot : montagne)
*voliam :
wueiWe, veuille
folia :
fueJle, feuille
oleam :
huile.
8°
noceam :
nuise.
6"
locat :
leue (loue)
focum :
feu'
locum :
- leu, lieu
nocet :
nuist, nuit.
70
cor :
cuer, cœur
cowies :
cuens (cas sujet de comte).
8»
coquit :
cuit
corium :
cuir.
10° 11°
pop{u)lum:
pueple, peuple
coin[i)tem :
comte
sol{i)dum :
sol, sou
foUem :
fol, fou
portian :
port
portât, portam :
porte
fortem :
fort.
12"
*pocsum :
nuis (depoufoiy).
noctem :
nuit
octo :
huit
ostream :
hu/slre, huitre
oc{u)lum :
weil, œil
*aboc{u)lum :
aveuQ'le.
1. L'eu de feu est le produit de la corabinaisou de ïo tonique de
focum avec Vu atone, après la chute du c. La forme antérieure à feu
est ^ou.
TRANSFORMATION DES VOYELLES ET DIPHTONGUES. 307
§ 746. — O bref de la syllabe initiale.
1° bovarium:
bovier, boMvier.
movére :
moveir *, mouvoir
potére :
poeir, poMoir, pouvoir
*morire :
morir, mourir
sorôrem :
soror, seror (cas régime de sœur)
2» colorem :
coleur, couleur.
voléntem :
volant, voulant
dolôrem ■•
dolor, douleur
voldre
3°
* vomire :
voler.
vomir
sondre :
/l-O
sonner.
'■t
* [ad\podidre :
6»
locdre :
[ap]poj/er {appuyer)
loer, louer
focdrium :
foyer
nocébat :
"70
nuisait.
corona :
coronne, couronne
*coraticum :
corage, courage
coiûbram :
8°
cochledre :
coluevre, couleuvre.
CMïller
IQO-Ho
com{i)tatu'in :
comté
0'(){e)rare :
ovrer, ouvrer
rot[ii)lare :
roUer, rouler
sol{i)ddre :
solder, souder
portdre :
porter
iJorccUum :
porcel, pourceau.
§ 747.
U long tonique.
10.30
nudum :
nu
1. Dans les textes anglo-normands, c'est un u qui correspond à lo
bref de la syllabe initiale.
308
GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
4°
50
6»
11»
12<
murum :
plus :
mulam:
mur
plus
mule
unum :
lanam :
plumam:
un
lune
plume.
"pertusium:
junium :
pertuî
juin.
minutiat :
luceat :
me nuise
luise.
lactucam :
conducit :
laitue
conduit
luiit.
cupawi:
cuve.
acutiaf :
aiguise.
*adlum{i)nat :
consuetud{i)nem :
nullum :
fustem :
allume
coutume
nid
fusl, fût.
fructiim :
destructum :
tructarn :
ducie)re :
fruit
détruit
truite
duire.
§ 748. — U lo7ig de la syllabe initiale.
l«>-3°
dur are :
durer
*mulittum :
mulet
fumdtam :
fumée
40.60
Vu/ii«um:
juillet
f'usiônem :
foison
IvLCéntem :
luisant
TRANSFORMATION DES VOYELLES ET DIPHTONGUES. 309
70
HO
ducébat :
mucére :
junîperum :
[ad\lum{i)7idre :
*niiUûi :
12°
du-KÎsti :
dwisait (du vieux verbe duire)
moisir.
genièvre.
[aljhtmer
nitlui (datif de md).
dm'sis.
U BREF (comparez avec l'o long)
§ 749. — U bref tonique.
10-2°
duas :
does, dewes (féminin de deux)
tuam :
toe, lewe (ancien fén^iniu de tien]
gularn :
gole, gueule
lapum:
lew, lo?(p.
30
snmus :
sommes.
40.60
*ebureiim :
ivoire
cuneum :
coin
puteum :
pm'ts
nucem :
nois, noix
crncem :
70
colnbram :
crois, croix.
coulMcvre, couleuvre
récupérât :
recMcvre [recouvre)
juvenem :
jitene, jeune.
80
* cnpreum :
cuivre.
Qo
lup{a)ram :
lovre, loMvre
num{e)7'um:
colxxmnam :
nombre.
colonne
dub{i)tat :
dote, doMle
turrcm :
tor, tour
310
GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
furnum :
diurniim :
gustum :
ulmum :
multum:
luscom :
190
for, foMr
jor, jour
gost, gousl
orme, owrme (orme)
molt, moull
losche, lousche.
luscum :
a7tgustiam :
mîictum :
veruc{u)lum :
* genuc{ujlum :
lois (vieux masculin de louch
angoisse
joint
verouil, verrou
genouîl, genoM.
§ 750. -
subînde :
*guldtam:
3»
t(u)nm (mot pr
50-6°
crucidtam :
nuco/e/w :
70
- U bref
de la syllabe initiale.
sovent, soitvent
golée, goulée.
oclUique)
: ton.
croisée
noal, noyau.
s
cubdre :
1»
dub{i)tdre :
curréntem :
suc/fws (préposi
su6î;(^nt7 :
su6»idne/ :
cover, couver.
lion) :
doter, douter
corant, courant
SOS, sous
sovieut, souvient
somont, scmont
succi<r5t/m
secours, secours.
§ 751. — L'y est traité tantôt comme un i, tantôt comme
un u. Ainsi presbyterum donne preveire, provoire, prou-
V3iire, comme si la voyelle tonique était i bref ; et byrsa
donne /orse, bourse, comme si on avait un m bref to-
nique.
TRANSFORMATION DES VOYELLES ET DIPHTONGUES. 311
Diphtongues,
1. JE, œ.
§ 752. — Ces deux diphtongues étaient devenues e dans
le latin populaire, tantôt e bref et tantôt e long : prsedam,
devenu 'prédam, a donné pi^eie, proie; Isetutn, devenu
lédun, a donné lié (joyeux), etc.
2. Au.
§ 753. — La diphtongue au, tonique ou à la syllabe
initiale, est traitée comme un o bref suivi de plusieurs con-
sonnes, c'est-à-dire qu'elle se change en o :
causflm : chose auriculam : oreille
SLurum : or *ausare : oser.
^ 754. — Suivie d'un c ou d'un e ou i consonnifiable,
•cette même diphtongue devient oi :
gaudia : joie Audiâtis : oyez
*aucam: oie* auciônem: oiso?i.
§ 755. — Il faut remarquer que o issu de au latin est
devenu ou, toutes les fois qu'en français il s'est trouvé suivi
d'une voyelle :
IsiVidat : \oe, loue &ndire : oïv, ouïv.
§ 756. — Le mot cauda (français coe, queue) fait excep-
tion aux règles ci-dessus, parce que, dès l'époque latine, il
s'était transformé en coda.
1. On trouve aussi la forme oe, puis oice, sans influoiice du c. Oie
n'est peut-être qu'une modification euphonique de oe.
DEUXIEME PARTIE
TRANSFORMATION DES CONSONNES
LOIS GENERALES DES CONSONNES
§ 757. — Sous réserve des exceptions que nous aurons
l'occasion d'indiquer à propos de chaque consonne, on
peut dire que la transformation des consonnes latines en
consonnes françaises est soumise aux grandes lois sui-
vantes :
1° Les consonnes latines se maintiennent quand elles
sont au commencement des mots (ou après les préfixes),
ou quand elles sont après une autre consonne et devant
une voyelle :
cor :
cœur
*vincutum :
vaincu
[dejgradum :
[dejg^ré
duh{i)tat :
dou^e
dicit ;
dit
mordentem :
mordant
turrem :
tour
lectiim :
m
patrem :
père
impemtorem :
empereur
aorem :
^eur
alham :
au6e.
[siib]venit :
[soujuient
2° Entre deux voyelles, ou. après une voyelle et avant
une autre consonne.
Les gutturales (c g) se changent en y (écrit i ou y).
Les labiales (p, b, f, v) se réduisent à v (sauf f qui se
maintient).
Les dentales tombent, après s'être réduites h d.
Exemples :
Gutturales : pacare : pa?/er
factum : fait
TRANSFORMATION DES CONSONNES
Labiales
313
fahsim : fève
/ep(o)rem : lièvre
Dentales : vitam : vie (d'abord vide)
patrem: père (d'abord pédre).
3° Quelle que soit leur place, Vs, les liquides (/, r) et les
nasales {n, m) se maintiennent.
soror :
sœur
ciirsam :
course
hmom :
Zune
clavem :
cZef
ripam :
rive
prœdam :
proie
nomen :
nom
dec{i]mam
: dî?ne
mt<n<m :
mur
causam :
chose
pastam :
paste (pâte)
valere :
valoir
altum î
haa (haut)
perij-e :
périr
* partir e :
partir
* panarium :
; panier
man[i]cam
: manche.
4" Les liquides se prononcent difficilement après certai-
nes consonnes, précisément après les consonnes énumé-
rées sous le n" 3 (une s, une autre liquide ^ ou une nasale).
Aussi CCS groupes de consonnes ne se trouvent-ils pas dans
la langue latine ; mais la ( hute des voyelles atones, dans
la transformation du latin, a fait souvent que deux con-
sonnes, qui étaient d'abord séparées par une voyelle, se
sont trouvées réunies. Lorsqu'il était difficile de les pro-
noncer ensemble, une nouvelle consonne s'est introduite
entre les deux ; car il est plus commode de prononcer stra
que sra.
Kntre / ou n d'une part, et r de l'autre, la consonne eu-
phonique est un d :
'môl{e)re donne mo?dre (devenu moudre)
gén{c)rum — gendre.
1. Toutefois r et s peuvent être suivis de l : parler, w.aslc (devenu
mâle).
Clédat. 18
314 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
Entre s et r, la consonne euphonique est un ^ ;
antecéss{o)r : ancestre.
Entre m d'une part eir ou l de l'autre, la consonne eu-
phonique est un b :
câ!n(e)ram: cliaw2bre
*insimul : ense7?jb/e.
5° La cinquième loi générale, relative au cas où trois
consonnes se suivent, sera formulée plus loin, § 823.
LOIS PARTICULIÈRES A CHAQUE CONSONNE
§ 758. — Nous allons maintenant examiner de plus près
chacune des consonnes. Nous dirons d'abord quelques
mots de l'aspiration h, et nous parlerons ensuite : 2° des
gutturales, auxquelles nous joindrons le./; 3° des denta-
les; 4° des labiales ; 5° des liquides; 6° des nasales; 7° de
l's; 8" de Vx et du s.
1» H.
§ 759. — L'A latine a disparu en principe, mais l'or-
thographe l'a maintenue ou rétablie au commencement
d'un certain nombre de mots.
A.U lalin howo correspond le français on
— haftere — avoir
— trah.ere — traire.
Mais nous écrivons par une h : honneur (latin Yionorem),
herbe (latin Yierbam), heure (latin lioram), etc.
Une h, tantôt muette, tantôt aspirée, s'est aussi in-
troduite, sous différentes influences, au commencement
de plusieurs mots qui en latin n'avaient pas d'A .' huile
TRANSFORMATION DES CONSONNES. 315
(latin olea), huit (latin octo), haut (lalin altum), etc.
§ 760. — Vh se trouve clans les mots latins après cer-
taines consonnes, notamment après Je c. Le ch latin se
prononçait comme un c dur (k), et a été traité comme tel
(voyez ci-dessous, § 761) : il est resté c dur dans cour (de
chortem), il est devenu ch français dans charte (de charta).
Il a été quelquefois maintenu ou plutôt rétabli dans l'or-
thographe française, môme quand il avait conservé le son
dur latin, par exemple dans chœur de chorurn.
2° Les gutturales (c, g, q) et le j.
§ 761. — Le c latin avait le son dur (k) devant toutes
les voyelles. Dans les cas où il doit se maintenir (Voyez ci-
dessus, § 757, 1°) il n'a conservé le son dur que lorsqu'il
était suivi en latin d'un o, d'un w, ou d'une consonne : cœur
{cor), cuve {cupa), clair [clarum). Devant l'c ou Yi, il a pris
le son que nous nommons c doux (ou s dure), mais il a con-
tinué à s'écrire de môme :
celum (cœlum)
: ciel
cmerem :
cendre
mereedcm :
merci
ciliuiii :
cil
centum :
cent
ecct'stum :
icestjCet.
§ 762. — Il résulte de ce qui précède que la lettre c a en
français une double valeur : tantôt elle équivaut à un k,
tantôt, quand elle est suivie d'une voyelle dérivée du
latin c ou i, elle équivaut a une .s dure. Comme les lettres
dérivées de e ou i lalin sont en français e, i ou ie *, l'usage
1. L'e long tonique est bien devenu ol en principe; mais, (juand il
316 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
s'est établi de donner toujours dans la prononciation la
valeur de Vs dure au c suivi de e ou i. Or Vo latin (ou Vau
dans cauda) a quelquefois produit un son que nous écri-
vons eu; lorsque cet o était précédé d'un c, le c a conservé
régulièrement le son de c dur (k), mais on n'a pu con-
tinuer à l'écrire par la lettre c, car cette lettre, placée
devant Ye de eu, aurait dû, d'après l'usage, être pro-
noncée c doux (s dure). Dans ce cas on a remplacé le c latin
par qu (^i<eux de coquus, g^^eue de cauda), ou on a main-
tenu une ancienne graphie du son eu (ue), et le c, se trou-
vant alors devant un u, a pu être conservé (cuei//e de
colligit), ou bien enfin on a mélangé une. autre graphie
du son eu [oe] avec la nouvelle orthographe eu, ou plu-
tôt on a placé devant eu un o rappelant Vo du mot latin,
en écrivant œu, et le c a pu encore être maintenu {cœur
de cor).
§ 763. — Devant les voyelles dérivées de l'a latin, le c a
pris un son spécial, qu'on a écrit par ch :
caput : c/ief
cornera : c/tambre
vaccam : vac/ie
caulem : chon.
§ 764. — Dans la partie nord-ouest de la France, le c
placé devant l'a latin a, au contraire, conservé le son dur,
et plusieurs des mots de ces dialectes sont entrés ensuite
dans le français proprement dit. C'est ainsi que le mot
campum, par exemple, est représenté aujourd'hui par
deux mots français^ champ et camp, qui d'ailleurs ont
pris des sens différents.
§ 765. — Dans quelques mots le c latin initial, ou suivant
était précédé d'un f, on a i au lieu de oi (voyez le tableau de l'e long,
n" 1).
TRANSFORMATION DES CONSONNES, 317
une consonne, s'est changé en g : gonfler (conflare), giro-
fle (caryophylum), gras (crassum), courage (cora(f i cnm).
C précédé àed a produit z dans douze (duof/(e)dm).
§ 766. — Lorsque la consonne qui précédait le c était
une s, il y a eu souvent métathcse, le c a passé devant Vs :
pascif, cognoscat, etc., ont été traités comme si on avait
dit : pacsi/, cognocsat. Une métathèse semblable explique
les mots cAflnome(canon(i)cum),??îome(mon(a)cAum); mais
ces mots ne sont pas entièrement populaires. Comparez
manche, de man[i)cam.
§ 767. — Comme nous l'avons dit dans la règle géné-
rale 2, le c entre deux voyelles, ou avant une autre con-
sonne (et ne commençant pas le mot), s'est changé en un y,
écrit i ou y, qui s'est ajouté à la voyelle précédente ou
confondu avec elle, ou qui a mouillé la consonne suivante.
On trouvera des exemples de ces faits dans les tableaux
des voyelles, sous les n°'6 et 12. On remarquera que lors-
que la voyelle qui suivait était un e ou un i, le c a pu
produire aussi une s .* placet : pla?,st, vicinum : \oisin,
decimam, dî'sme.
i; 768. — Lorsque le c était placé après un 0 ou un u, et
avant un a, un 0 ou un u, il est complètement tombé :
loue (locat), laitue (lactuca), etc. Après e ou a, le c tombe
aussi devant u, dans seiir (sûr) de securum, pieu (plu) de
*placutum, font de *facunt.
^ 769. — Entre un a d'une part, et d'autre part un 0, un n
ou une ?', le c a pu se changer on ,7, précédé ou non d'uni;
agu ou aigu (aculum), aiguiser (acu tiare), ?«aigre (marrum).
§ 770. — Le c dans le corps des mots, suivi d'un e ou i
consonnifiable (voyez § 723), a produit tantôt is, tantôt
un c doux écrit souvent ss (ou un z à la fin du mot).
Pour les exemples, voyez les tableaux des voyelles sous
le n° 3.
is.
318 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
§ 771. — Quand deux c se suivent, le second est traité
régulièrement, mais le premier tombe sans produire y :
vaccam a donné vache, sicciun : sec. Toutefois, quand le
second c est placé devant e ou i, et doit par conséquent de-
venir c doux, le premier rentre dans la règle ordinaire et
développe un y qui agit sur la voyelle précédente :
eccistum a donné icest.
G.
§ 772. — Le traitement du g offre des exceptions ana-
logues à celles qu'on rencontre pour le traitement du c.
Dans les conditions de la règle générale 1, c'est seule-
ment devant les voyelles issues de o et m, et devant les
consonnes, que le ^ a conservé le son dur latin : goutte
(^utla), goujon (^obionem), grand (^randem). Devant les
voyelles latines a, au, e, i, il s'est changé en q doux (écrit
g ouj) :
9'ambam :
jambe
(/abatam :
joue
Q'audia :
joie
g-enerum :
gendre
gfingivam :
gencive *
evangelia •
évanr/ile.
§ 773. — Lorsque la consonne qui précédait le g était
une n, au lieu de se changer en g doux, le g latin a sou-
vent mouillé ïn et changé en diphtongue la voyelle précé-
dente : pldiXigebat a donné « pla/</nait». De môme pla/7/iant
(pla>?^entem) au participe présent. Le g s'est maintenu
dans l'orthographe ; mais, suivi de Tn, il indique seulement
que cette n est mouillée. Les verbes en cindrc, oindre,
aindre offrent tous des exemples semblables. Longe a
1. On devrait avoir gengive, mais le second g s'est changé en c par
dissimllation.
TRANSFORMATION DES CONSONNES. 319
aussi donné loin, anciennement écrit loign : ici Vn mouil-
lée a disparu dans la nasalisation de la voyelle précé-
dente.
§ 774. — Conformément à la règle générale 2, le tj entre
deux voyelles ou avant une autre consonne (et ne com-
mençant pas le mot) s'est changé en r/, écrit i ou y :
pla?e (plasam), loyal (legalem), cuidev {cog{i)(are), etc.
§ 775. — Le g tombe devant ïu dans our {eib% ew, de
bonhewr), qui vient de augûriian, dans le vieux mot fou
(hêtre) (\m vient de fa^/um.
§ 776. — Il tombe aussi devant Vi, dans reine [reine), de
resinam, gaine [gaine), de vaginam, seel [sceau) de sigil-
tum, etc.
§ 777. — Placé devant Vn, ]e g a, mouillé cette con-
sonne : agneau (a^nellum), poing [pugnum). Dans le se-
cond exemple, Vn mouillée a disparu en uasalisaut la
voyelle précédente. Cette nasalisation s'est produite toutes
les fois que l'n mouillée terminait le mot; c'est ainsi que le
masculin de maligne est aujourd'hui malin. En l'écrivant
avec un g, comme poing, on rai)pcllerait l'ancienne mouil-
lure de l'n.
§ 778. — Dans imaginem, le g s'est changé en g doux,
comme s'il était au commencement du mot, et le mot fran-
çais a été d'abord imajnc (écrit imagenn); puis l'n est tom-
bée, et on a eu : image. D'ailleurs ce mot n'est pas entiè-
rement populaire.
Q
§ 779. — Cette gutturale latine était toujours suivie
d'un u, dont le son précis n'a pu encore être parraitoment
étabh. Dans les conditions de la règle générale 1, r/u a pro-
duit en français un c dur, écrit c ou qu, quelle que fût la
voyelle qui suivait :
320 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
quare :
car
gui :
gui
qidndecun :
guinze
çM(i)ritare :
crier
quinguaginta
cinguante
§ 780. — Dans ce dernier exemple, le qu initial s'est
changé par exception en c doux. De même « cinq», de «ç'uin-
que ». Il faut remarquer que dans ces mots la syllabe sui-
vante commençait aussi par qu; il y a eu un phénomène
de dissimilation.
§781. — Par une exception encore plus rare, qu s'est
changé en ch dans chascun, de quisque-unum.
§ 782. — Dans les conditions de la règle 2, le qu de
seqnalem [igal, égal) et de aqvL{i)lam (aigle) a été traité
comme le c de acutum (aigu) et de macrurn (maigre) ^ Le
qu de coquus (queux) est tombé comme lec de focum (feu),
et celui de coqnit (cuit) s'est changé en y (i) comme le c de
facit (fait). Qu suivi d'un e consonnifiable dans laqueat (lacé)
a été traité comme le c de faciat (face, fasse). Quant aux
différentes formes des mots eau (aquam) et e'uî'er (aquarium),
et du verbe suivre (*sequere), elles présentent des particu-
larités dialectales qu'il serait trop long d'expliquer ici.
§ 783. — Le j latin est devenu notre j français au com-
mencement des mots : ^'eunc (/uvenem), ^ouer (jocare), g\i
(;acet). Entre deux voyelles, ou avant une consonne, il a
produit un y qui s'est joint à la voyelle précédente ou con-
fondu avec elle : maire (de major), piis (de pejus), ma?eur
(de majorem); la forme actuelle « majeur » a subi une
influence savante.
1. A moins qu'on ne voie dans le g de égal et de aigle le produit de
ïu qui suit le q.
TRANSFORMATION DES CONSONNES. 321
Les dentales (t, d).
Exceptions à la loi générale 1.
§ 784. — Le c? initial disparaît devant l'i consonnifiable
de diurnum, qui a donné you?\ Après une consonne, le d
disparaît aussi devant ïe consonnifiable dans ordeunt qui a
donné orge. Le d, lorqu'il doit terminer le mot français,
s'est changé en t : grandiem) a donné grant (nous avons
rétabli le d latin dans l'orthographe de ce mot), et le gé-
rondif ( — anrfo) s'est confondu avec le participe présent
( — an/eni) ; l'un et l'autre s'écrivent par un t. Le t initial
s'est changé en c devant r dans craindre, de tremere.
§ 785. — Après un b ou après un c, séparé du t par une
voyelle dans le latin classique, le t se change en d : sou-
dain (sai?'(i)ianum), couc?e (cu^(i)^um), plairf (plac(i);um),
plaif/er (plac(i)<are). Le t s'est maintenu par dissimilation
(à cause du d initial) dans doute de diih{l)tat ; toutefois à
côté de coude {cuh[\)twn) on trouve aussi la forme coûte,
qui ne peut s'expliquer par la dissimilation.
s; 786. — Le t est tombé par exception après une autre
consonne dans huis (os^iiuii), et dans les secondes person-
nes du singulier des prétérits : — as (de asfi), — is (de
ïstl).
Exceptions à la loi générale 2.
§ 787. — Entre deux voyelles, ou devant une autre con-
sonne, les dentales ne sont pas tombées dès l'origine de la
langue; on les trouve maintenues dans les plus uncions
textes. Ainsi, avant bonté (bonita^cm) on a eu buntet, avant
jné (perfem) on a eu pieà, piet (l'orthographe pied a
reparu au xv" siècle sous une influence savante) ; avant veeir
[veoir, voir, de vir/cre) on a eu redeir ; avant chante (de
cantal) on a eu chantct. nuaiHl la dentale ne terminait pas
322 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS-
le mot français, elle était toujours cl, même à la place d'un
t latin : peAre [père de pa^rem), portede [portée, de por-
ta^am).
§ 788. — Placée devant une r, la dentale, avant de tom-
ber de la prononciation, s'est souvent assimilée à l'r, et
est ainsi que nous écrivons encore : larron (la^ronem),
verre (vi^rum), etc.
§ 789. — Placées devant s, les dentales se sont ajou-
tées à Vs et ont formé un z, qui aujourd'hui n'a pas d'au-
tre valeur qu'une s, et a été d'ailleurs remplacé par cette
consonne dans un bon nombre de mots : minat[o)s, par-
ticipe passé pluriel de *minare (mener) a donné menez,
puis menés; minatis, deuxième personne du pluriel de
l'indicatif présent du même verbe, a donné aussi menez,
forme où le z s'est conservé.
§ 790. — Placé devant /, le t s'est changé en c dans le
latin populaire, et a été traité comme tel. C'est ainsi que
vet[u)lum, devenu t'ec/am, a produit le français vieil. Dans
quelques mots anciens, qui sont d'origine savante, bien
qu'ils présentent plusieurs des caractères des mots popu-
laires, le t s'est maintenu devant 17, qui s'est elle-même
changée en r : chapitre (capif(u)/um), litre (tif(u)/um).
§ 791. — Le f s'était également confondu avec un c de-
vant l'e ou \i consonnifiable. Te et ti suivis d'une voyelle
ont donc été traités comme ce et ci suivis aussi d'une
voyelle (Comparez § 770).
4° Les labiales [-g, la, f,v).
Exceptions à la loi générale 1.
§ 792. — Le p initial est tombé dcvnntl'sdnnsles vieux
mots saunie [psalmum], soulier (yosaltcrium). d Psaume » et
*t psautier » sont des formes savantes. Le v initial (ou sui-
TRANSFORMATION DES CONSONNES. 323
vant une consonne) s'est changé en /"dans fois [vlcem], en
fj flans Tai'ehis (ueryecem), en g dur dans gué (vadum),
guêpe (vespaj, gâter (vastare) et quelques autres mots.
Exceptions à la loi générale 2.
§ 793. — Les labiales sont tombées devant u dans seû
(su) de *saputum, deû (dû) de *dehutum, ot (eut) de hahuit,
clou de clavum, etc.
§ 794. — Les labiales sont aussi tombées devant e ou i
consonnifîable : ache (de apiwn), sache (de sapiam), aie de
kaloeam), ayant {de*haToeanfem), cage (de caveam). Toute-
fois p a subi le changement habituel en v dans le vieux
mot saive (autre forme de sage), de *sapium.
§ 795. — B est également tombé dans les flexions éham,
éhas, etc., des imparfaits, flexions qui sont devenues en
français eie (puis oie, ais), eies [oies, ais), etc.
§ 796. — Lev entre deux voyelles est tombé dans viande
{devivenda), paon{depavonem), ouaille {decviculam); mais
ils'estmaintenu dansvivanl, vivais, deviventem, vivebam.
§ 797. — Lorsque la labiale, placée entre deux voyelles
dans le mot latin, termine le mot français, elle est devenue
/"et non v : clef (de clavcm), chef (de cajout), tref, vieux
mot qui signifie tente, (de traiem), vif (de vivum), neuf
(de noi^em ou nouum).
§ 798. — Devant /, le b se maintient, et le p se main-
tient ou se change en b : muable{de mutab{i)lem), hièble{de
eb[u)lum), peuple (de pop{u)lum), double (de *duplum.)
§ 799. — Devant les dentales et devant l's, les la-
biales tombent : chetel (écrit aujourd'hui cheptel), de
ca'p{i)tale; soudain, de su'b{i)tonum ; cité, de ci\[i)tate7n;
oes, vieux mot signifiant « besoin », de op(m)s. Elles tom-
bent aussi devant une autre labiale : abé (aujourd'hui écrit
abbé), de atihatem.
324 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
§ 800. — Les exceptions que nous venons d'énumérer sont
si nombreuses que nous croyons utile de donner ici de nou-
veaux exemples de la règle 2 pour les labiales (change-
ment des p ei b en v, maintien de u et /") :
capiUum :
cheueu
capram :
chèvre
crepare :
creuer
lihrum :
liure
ripam :
rive
*sep{e)rare :
sevrer
dehere :
deî;oir
triï[o)Uum :
trètle
cahallum
cheual
*hàb(e)rdbeo :
aurai (puis aurai).
subinde :
souDent
levât :
lève
5° Les liquides (1, r).
§ 801. — Vr tombe exceptionnellement devant Vs dans
doTsum, qui a donné dos.
§ 802. — L7 redoublée se réduit à une seule /, mais le
plus souvent la consonne redoublée du latin a été rétablie
dans l'orthographe : elle (anciennement ele, latin illam),
belle (anciennement èe/e, latin bellam).
§ 803. — L7 devant une consonne s'est conservée quel-
que temps, puis s'est changée en u, et a formé diphtongue
avec la voyelle précédente ou s'est confondue avec elle :
falcem et falsum ont donné fa/s, puis faws (faux), multum
a donné mo/t, mou/t, puis moMt; mal{o)s : ma/s, puis vaaus
(maux); * volit : vue/t, veu/t, puis veut; ■ma\[e)dicere :
ma/dire, puis maudire. Au pluriel des mots en el (sauf cî'e/),
ol, il, ïl s'est maintenue devant Vs ^ Toutefois, dans plu-
sieurs mots en il, par exemple dans sourcil, VI est tombée
de la prononciation, même au singulier, mais on continue
à l'écrire.
§ 804. — VI non suivie d'une autre consonne, mais cor-
1. Dans plusieurs dialectes do rancicnuo langue, on a dit (eus yau
lieu de tels), queus (au lieu de quels), morteus (au lieu de mortels), etc.
TRANSFORMATION DES CONSONNES. 325
respondant à deux / latines, s'est changée en w à la fin des
mots, dans mou (anciennement mol, latin mo//em), cheveu
(anciennement cheve/, latin, capi//um), wowueau (ancienne-
ment nouvel, nouvea/, latin nove//um), etc. Toutefois les
formes avec / vocalisée en u se sont d'abord produites au
cas sujet singulier et au cas régime pluriel, où 17 était
suivie d'une s.
§ 805. — VI mouillée est tombée après ou: *genûculum
a donné genouil, puis genou.
§ 806. — Vl s'est changée enr dans Ivsciniolwn, qui a
donné rossignol, et, devant une nasale, dans ulmum qui a
donné ovme, Olnam qui a donné Orne (nom de rivière).
Elle s'est changée en n dans libellwn, qui a donné niveau.
§ 807. — L'r est devenue /dans pèlerin de peregrinum,
autel de altare,
6° Les nasales (n, m).
§ 808. — L'm finale des mots latins, à de rares excep-
tions près (n'en de rem, mon cl mien de meum), n'a laissé
aucune trace dans les langues romanes.
§ 809. — Vm suivie d'une autre consonne s'est changée
en n : conte (aujourd'hui écrit comte) de cotn[i)tem.
.^810. — M est encore devenue n au commencement
des mots ??zespilum (/(elle) et ^//appam («appe).
il/ suivie d'une autre consonne s'est maintenue (sans de-
venir n) quand on a intercalé une consonne de soutien :
cwm(u)lMm a donné comble.
§ 811. — Deux m ou deux m consécutives se sont rédui-
tes à une seule; mais souvent les deux consonnes ont été
ensuite rétablies dans l'orthographe : annatam donne anée
(année), grammaticam : gramaire (grammaire).
§ 812. — Mn se réduit à m : ]iun\.{i)nem a donné homne,
puis home (homme).
GlÉOAT. 1 g
326 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
§ 813. — Nm se réduit aussi à m dans animam qui a
donné âme; mais l'n s'est conservée assez longtemps
devant Vm de ce mot {anme, écrit quelquefois aneme),
et s'est même changée en r dans certains dialectes :
arme.
§ 814. — Dès le latin populaire, n était tombée devant
s : mensem était devenu mesem, qui a donné mois.
§ 815. — N' finale est tombée d'assez bonne heure après
;■ .• diuvnmn a àoxmé jorn, jor, jour.
§ 816. — Aujourd'hui, n ou m suivies d'une autre con-
sonne n'indiquent plus que la prononciation nasale de la
voyelle précédente. Comme consonnes proprement dites
elles ne se sont réellement conservées que seules entre
deux voyelles ou après une consonne
7° S.
§ 817. — L's est tombée, à une époque relativement ré-
cente, devant toutes les consonnes : paste est deverwx pâte,
caresme: carême, esté: été, etc. L's ne s'est maintenue devant
une autre consonne, que dans un certain nombre de mots
qui ne sont pas d'origine populaire, ou qui ont subi une
influence savante : pasteur, dévaster, etc.
§ 818. — Quand l's au commencement d'un mot latin
était suivie d'une consonne, on la trouve précédée d'un é
dans le mot français correspondant : scalatn est devenu
eschelle, scutum : escu, etc. L's est ensuite tombée, sauf
exceptions, mais l'e s'est maintenu : échelle, écu.
§ 819. — L's latine entre deux voyelles est devenue en
français s douce : chose (causam), léser (*lœsare), etc.
§ 820. — L's redoublée s'est conservée double jusqu'à
nos jours dans l'orthographe ; mais depuis très longtemps
elle ne se prononce plus que comme une s simple (dure) :
passer de *passare.
TRANSFORMATION DES CONSONNES. 327
8° X et z.
§ 821. — Vx se composant d'un c dur et d'une s, laxare
a donné régulièrement laisser : Vs s'est maintenue (les
deux s indiquant simplement la prononciation dure de la
consonne), et le c a produit la diphtongaison de Va précé-
dent en ai. Quelquefois il y a eu métathése des deux con-
sonnes dont se compose l'a?. Le même verbe laxare, pro-
noncé lascare (au lieu de /acsare), a donné /ascher; car le
c, suivant une autre consonne, et placé devant un a, doit se
changer en ch (§ 763).
§ 822. — Le 2, dans les mots d'origine populaire, s'est
changé en j : zizyphum a donné ^u^ube, et zelosum : ja-
loux.
LES GROUPES DE PLUS DE DEUX CONSONNES
Loi générale 5.
15 823. — Quand trois consonnes se suivent, la première
et la dernière sont traitées d'après les lois générales 1 , 2
et 3. Quant à celle du miheu, elle se conserve ou disparaît
suivant qu'elle se lie facilement ou non avec les deux au-
tres; quand elle disparaît, il peut arriver que la loi géné-
rale 4 soil appliqu'Je.
11 serait trop long de passer en revue toutes les combi-
naisons possibles de consonnes; nous indiquerons seule-
ment les plus importantes et les plus fréquentes.
Groupe commençant par deux consonnes semblables.
§ 824. — Si le groupe de trois consonnes commence
par deux consonnes semblables, l'une des deux disparaît,
elle groupe se trouve ainsi réduit à deux consonnes, aux-
328 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
quelles s'appliquent les règles ordinaires : cabati[o)a donne
cheva/s, chevai/a?, ess[e)ve donne estve, etc.
Groupe finissant par une s.
§ 825. — Quand la dernière des trois consonnes est une
s, ce qui arrive si souvent, notamment au cas sujet singu-
lier et au cas régime pluriel des noms et adjectifs: 1° si la
consonne du milieu est une dentale, elle s'unit à l's pour
former un z; 2° si cette consonne est une gutturale ou une
labiale, elle disparaît; 3° si c'est une /précédée d'une guttu-
rale, elle se maintient en se mouillant ; -4° si c'est une r,
elle se maintient, et un e muet de soutien se place entre
Vr et Y s.
Exemples :
1° ^rand(e)s : grans (régime pluriel de grand) : fact{o)s :
fai'z (régime pluriel de fait).
2° ?emp(i/)s : iens (aujourd'hui écrit temps) ; corp{u)s :
cors (aujourd'hui écrit corps) ; cerv(o)s : cers (régime plu-
riel de cerf); franc[o)s : frans (régime pluriel de franc).
3° /*an'c(u)l(o)s : paretVs.
4° Patres : pères ; petroselinum : pei'csW {ensuiie persil).
§ 826. — Il faut remarquer que la consonne du milieu,
lorsqu'elle disparait, n'est pas toujours tombée dès Tori-
gine, et qu'elle a pu être rétablie plus tard dans l'ortho-
graphe; ainsi on trouvera francs (au lieu de frans) dans
les plus anciens textes, et nous écrivons encore ainsi. De
même nous écrivons faits, grands, etc., par « ts, ds » au
lieu de z.
§ 827. — Nous avons vu (§ 805) que 1'/ mouillée qui ter-
mine le mot est tombée après ou ; elle ne s'est pas conservée
flavantage lorsque, au lieu de terminer le mot, elle était
suivie d'une s : * cjenuculos a d(inn(; genouils, puis genoux.
Quant 1'/ mouillée suivait un a, elle est ordinairement
TRANSFORMâTOIN des consonnes. 329
devenue sèche et s'est ensuite vocalisée en u devant l's :
lrab2iC{u)\[o) s a donné ^rarails puis irauaux.
§ 828. — VI nniouillée suivie d's s'est aussi vocalisée
•iprès e, et on trouve des formes telles que solews ou solaus
(cas sujet singulier et cas régime plariel de soleil, latin
solicu/us et solicu/os). Ces formes, avec vocalisation de
17, n'ont pas persisté, et aujourd'hui le pluriel de soleil Q%i
soleils. Mais nous avons conservé vieux (pour vieils), en
le faisant des deux nombres.
§ 829. — Quand une dentale est entre deux s, les trois
consonnes se réduisent à z ous (hos/es =oz, os, pluriel du
vieux mot ost ; eccistos a donné icez, ces), ou bien les trois
consonnes se maintiennent et un e de soutien se place entre
les deux dernières (cantasfis .• chantasses, chantâmes)
Groupe finissant par une liquide.
§ 830. — Quand la dernière des trois consonnes est une
liquide (/, r), et que la première, d'après les règles géné-
rales, doit se maintenir, il peut se faire que celle du milieu
ne puisse se lier facilement avec les deux autres, et que
cependant les deux autres puissent se prononcer avec une
consonne intermédiaire différente. Dans ce cas, la con-
sonne du milieu tombe, mais elle est remplacée par une
consonne euphonique d'après la règle ordinaire (Voyez la
loi générale -i). C'est ainsi que pulvevem a donné poul-
dre (ensuite poudre), surgere : sourdre, et pasc'e)re:
paistve. Dans ce dernier exemple, la gutturale du milieu
n'est pas tombée entièrement; elle a produit la diphton-
gaison de la voyelle précédente. Il en est de même dans
plaindre (i^langere), croistre (crescere), etc.
§ 831. — 11 faut remarquer pour plangere (plaindre),
pasccre (paître), crescere (croître), que les gutturales média-
nes étaient placées en latin devant un e, et étaient arrivées
330 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
à se prononcer, le c ; ç, et le g : j. Si elles avaient conservé
le son dur latin {k, gu), elles auraient pu facilement se pro-
noncer devant la liquide, et elles se seraient probablement
maintenues ; c'est ainsi que les gutturales ont persisté dans
ancre (anco?'am), oncle (avuncu^um), an^le {ànguhxm},
sangle {cingulum), parce que, suivies d'un u ou d'un o
dans le latin, elles étaient demeurées dures.
§ 832. — Dans angelum (ange), le g, devenu doux devant
Te, s'est conservé quelque temps entre les deux conson-
nes, comme l'atteste l'orthographe angele (prononcez an-
ile) ; puis, au lieu de disparaître pour céder la place à une
consonne euphonique, le ^ a chassé 17 et est resté seul avec
'n : ange. Un fait analogue s'est produit dans marge (de
mar^i?2em). Nous avons vu d'ailleurs que Yn était tombée
après le g doux (même non précédé d'une autre consonne)
àa.\\%j)age, image (§ 778).
§ 833. — Entre s et /, la gutturale est tombée dans
wiasc(w)li«?i qui a donné masle, mâle, dans misc[u)lare
qui a donné mesler, mêler.
§ 834. — Entre c et r, l's est tombée dans dua!^^e)runt
{= ducs(e)î'unt) qui a donné duirent, et dans toutes les
troisièmes personnes en xerunt (Voy. cependant § 327;.
MIONS GÉNÉRALES SUR LA TERSiïlCATION ÏRANÇAISE
DU MOYEN AGE
PRINCIPE DE LA VERSIFICATION FRANÇAISE
LA CÉSURE
§ 835. — Quand on parle, on ne prononce pas les phra-
ses tout d'une haleine. Il y a des repos naturels de la voix,
dont quelques-uns sont marqués dans l'écriture par la
ponctuation; bien entendu, ces repos ne se placent jamais
entre des mots intimement liés l'un à l'autre comme
l'article et le nom, le pronom personnel sujet et le
verbe, etc.
§ 836. — La différence essentielle, au point de vue de
la forme, entre la poésie française et la prose, consiste en
ce que, dans la poésie, il y a régulièrement des repos après
un nombre déterminé de syllabes. Il en résulte- un^iar-
monie caractéristique. Arrangez les mots d'une phrase ou
d'un membre de phrase pour qu'il y ait un repos après la
quatrième syllnbc et un autre après la dixième, vous aurez
un vers de dix syllabes.
12 3 4 15 6 7 8 9 10
« Le duc Ogicr j l'arclievôquc Turpin »
est un vers de la chanson de Roland.
Mette/, un repos à la sixième syllabe et un autre à la
douzième, vous aurez le vers alexandrin :
1 -; ■■' 'i \i_ 6 \ J 8 9 10 11 12
« Je vous l'iitcuclSjXéi'oii I m'apprend i)ai- votre voix...
332 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
§ 837. — n y a donc deux repos nécessaires dans cha-
cun de ces vers, l'un dans le corps du vers, l'autre à la
fin. Celui du corps du vers prend le nom de césure ; ainsi
le vers alexandrin a la césure à la sixième syllabe.
LA SYLLABE MUETTE A LA FIN DU VERS
ET A LA CÉSURE
§ 838. — Pour obtenir l'harmonie qui résulte de cette
disposition des repos, il faut que la dernière syllabe du
vers ne soit pas une syllabe muette ; ou du moins, le vers
doit contenir le nombre de syllabes exigé, abstraction
faite de la dernière si elle est muette :
1 2 3 4 3 6 I 7 8 9 10 H 12 13
Quoi ! VOUS vous arrêtez | aux songes d'une femme
Ce vers de Corneille a treize syllabes, mais est considéré
comme n'en ayant que douze, parce que la dernière est
muette; le repos est réellement après la douzième.
§ 839. — Pour la même raison, on doit admettre aussi
à la césure une syllabe muette qui ne compte pas :
12 3 4 5 6 1 j 7 S 9 10 11 12
Oui je viens dans son tera|ple 1 adorer l'Éternel.
Mais d'après les règles actuelles, la syllabe muette n'est
admise à la césure que si le mot suivant commence par
une voyelle, et si l'e muet n'est suivi d'aucune consonne.
On ne dirait pas :
Oui jo viens dans son temple supplier l'Éternel.
ni
Oui jo viens dans ses tcmplejf adorer l'Éternel.
§ 840. — Dans raiicionne langue, ces restrictions
NOTIONS GÉNÉRALES SUR LA VERSIFICATION FRANÇAISE. 333
n'existaient pas. A la césure, comme à la fin du vers, on
admettait une syllabe muette qui ne comptait pas, même
quand le mot suivant commençait par une consonne. Ainsi
dans la Chanson de Roland on trouve, entre beaucoup
d'autres, ce vers de dix syllabes avec césure à la qua-
trième :
1 23 41 15 6|7|8|9|10
Beau sire Gué | ne, | dit Mar|si|le [ le | roi.
Il faudrait aujourd'hui que la seconde partie du vers
commençât par une voyelle, par exemple :
Beau sire Guène, a dit le roi Marsile,
L'ASSONANCE ET LA RIME
§841. — Après le nombre des syllabes et la place de
la césure dans le vers, le principal élément de la versifica-
tion française consiste dans la répétition d'un même son â
la fin de deux ou plusieurs vers, consécutifs ou séparés
par d'autres vers. Cette répétition se nomme assonance ou
rime, suivant qu'elle porte seulement sur la dernière
voyelle (tonique) du vers, ou sur cette voyelle et sur les
consonnes qui la suivent. Ainsi un vers terminé par Aomme
assone, mais ne rime pas, avec un autre terminé par cou-
ronne; les deux voyelles toniques sont les mêmes (o), mais
elles sont suivies de consonnes différentes dans les deux
mots.
§ 842. — La plus ancienne versiûcation française ne
connaissait que l'assonance, encore pratiquée aujourd'hui
dans les chansons populaires. Mais il faut remarquer
que, par suite des modifications de la prononciation, bien
des mots qui assonaient dans l'ancienne langue n'assone-
raient plus aujourd'hui. Dans la Chanson de Roland, païen
19.
334 GRAMMAIRE DU VIEUX FRANÇAIS.
assone avec chevalier, avec /?er (adjectif) et Sixec Michel :
c'est que ïe de pa'ien n'était pas encore nasalisé, que Ve
de chevalier et celui de fier se prononçaient de même,
et qu'on disait Michiel et non Michel; dans tous ces mots
il y avait la même diphtongue ie.
L'ÉLISION
§ 843. — Les règles de l'élision n'étaient pas, dans l'an-
cienne versification, les mêmes que de nos jours. Nous ne
pouvons employer dans le corps d'un vers les mots à ter-
minaison féminine dont Ye muet est précédé immédiate-
ment d'une voyelle ou d'une diphtongue (joie, aimée), à
moins que cete muet ne soit élidé. Il en résulte que le plu-
riel de joie, « joies », et les formes verbales telles que
« s'écrient » ne peuvent jamais entrer dans le corps d'un
vers, parce que l'e muet, étant suivi de consonnes, ne
p^ut être élidé. D'après ces règles, le vers suivant de la
Chanson de Roland serait incorrect :
Devant Marsile il s'écrie moult haut.
Ainsi l'e muet précédé d'une voyelle pouvait ne pas être
élidé, et comptait dans la mesure du vers.
L'HIATUS
§ 844. — En général l'élision était facultative. On
trouve par exemple l'article le, la conjonction ou le piv^nom
(jue, comptant comme une syllabe devant un mot commen-
çant par une voyelle :
Chanson de Roland : « Ma bonne épée que ai ceinte au
côté. »
On craignait donc fort peu la rencontre des voyelles.
Au>>i l'hiatus est-il fréquent.
NOTIONS GENERALES SUR LA VERSIFICATION FRANÇAISE. 335
Chanson de Roland : « Jusqu'à un an aurons France
saisie. »
VARIATION DU NOMBRE DES SYLLABES
DANS CERTAINS MOTS
§ 845. — Ce sont là les principales différences entre
la versification du ni03'en âge et la versification moderne.
Il faut ajouter que certains mots comptent aujourd'hui
pour une syllabe de plus ou de moins que dans l'ancienne
langue ; ainsi destrier, aujourd'hui de trois syllabes, n'en
avait que deux à l'origine, tandis que chrétien, qui ne
compte que pour deux syllabes, en avait trois dans les
poésies du moyen âge.
FIN
TABLE MEIUODlûl DES MATIEfiES
Préface v
Intivodhction et notions pr. élimina ires 1
Chapitre I«^ — La langue 1
Origine de la langue française 1
Formation du vocabulaire t
I. — Époques et procédés de formation 2
Origines diverses des mots français 2
Mots savants et mots populaires 3
Mots do formation latine et mots de formation française.
Préfixes et suffixes 5
II, — Règles générales de transformation des mots latins en
mots français^ ou lois générales de la phonétique. 14
Accent tonique et accent secondaire. Place de l'accent to-
nique en latin et en français 14
Loi de la chute des atones. Exceptions 15
Chapitre IL — L'orthographe 1&
Généralités 18
Comparaison de l'orthographe actuelle et de l'orthographe
DU moyen AGE 20
I. — Diphtongues et voyelles 20
Oi, ai 20
Au, eau 20
Eu, œu 21
Ou 22
Ui, oi 22
A 23
É 23
U 23
338 TABLE MÉTHODIQUE DES MATIÈRES.
0 24
Y, i 24
IL — Consonnes 24
Consonnes chuintantes et gutturales 24
Dentales 25
Labiales et liquides 26
Nasales 26
S, X et Z 26
Consonnes redoublées 27
Orthographe du quinzième siècle 28
Orthoguaphes dialectales 29
Tableau synoptique ^0
ÉTUDE DES FLEXIONS
Chapitre l"^. — Du nom 33
La déclinaison en latin, GÉNÉnALITÉS 33
La déclinaison en vieux français 34
L — Noms féminins 35
Dérivation de la première déclinaison latine 35
Pluriels neutres transformés en noms féminins 36
Noms féminins dérivés des autres déclinaisons latines 37
Résumé 39
IL — Noms masculins 40
Dérivation de la seconde déclinaison latine 40
Les quatrième et cinquième déclinaisons latines, et par-
tiellement la troisième 41
Les noms masculins qui n'avaient pas A's en latin au no-
minatif singulier 42
Noms neutres devenus masculins 43
La troisième déclinaison latine 44
Résumé. — Les noms masculins dans la langue actuelle. 48
TABLE MÉTHODIQUE DES MATIÈRES. 339
III. — Noius indéclinables 49
Observation générale sur les noms 51
Chapitre II. — De Vadjedif 51
Les diverses déclinaisons des adjectifs en vieux français... 51
Type « bonus « 51
Type « talis » 54
Type « cantans » 56
Adjectifs indéclinables 57
1. Adjectifs terminés par une s 57
2. Adjectifs en or 58
Observation générale sur les adjectifs 59
Degrés de comparaison; traces du comparatif et du superla-
tif LATINS 59
Chapitre III. — Des noms de nombre G2
Noms de nombre cardinaux 62
Noms de nomure ordinaux , 03
Chapitre IV. — Des adjectifs et pronoms dcmonsh-atifs et de
Carticle défini 65
Le datif lat;n 05
Le pronom latin « ille » 05
I. — V article défini 65
Origine et déclinaison de l'article 65
L'article neutre 67
Particularités phonétiques des formes de l'article 67
Articles contractes 68
II. — Vadjectif pronom « icil, cil >• 68
Origine et déclinaison de « icil » 68
Le neutre cel., 69
Particularités phonétiques des formes de « idl « 69
Le pronom latin « iste » et le pronom français « icist, cist ». 70
Le démonstratif neutre « ço, ce » 71
Chapitre V. — Des pronoms per!:onncls 71
Les pronoms personnels des deox premières personnes 71
I. — En latin 71
II. — En frau'jnis. 72
340 TABLE MÉTHODIQUE DES MATIÈRES.
Le proxom de la troisième personne 74
Le pronom réfléchi 75
Pronoms contractes 75
Chapitre VL — Des adjectifs et pronoms possessifs 76
Première personne do singulier 77
Deuxième et troisième personnes du singulier 78
. Première et deuxième personnes du pluriel 79
Troisième personne du pluriel 80
Chapitre VII. — Du pronom relatif et interrogatif 81
Chapitre VIII. — Des adjectifs et pronoms indéfinis 82
Chapitre IX. — Du verbe 83
Notions préliminaires 83
I. — Du rôle de l'analogie dans la formation des verbes
français 83
II. — Division des verbes en conjugaisons 85
La coujugaison en er et la conjugaison en re, oir, ir 85
La conjugaison inclioative 85
Résumé. — Les deux conjugaisons vivantes 87
Les variations du radical des verbes 88
I. — Variations dues au traitement différent des voyelles
latines toniques et des mêmes voyelles atones. Ra-
dical tonique et radical atone 88
II. — Variations dues à la présence dans la flexion latine
d'un e ou i consonni fiable 94
Radical terminé par un d 95
Radical terminé par une labiale 97
Radical terminé par une / 9!)
Radical terminé par r ou n lOO
Radical terminé par c ou ^ lOl
Formes exceptionnelles ^ 102
Traces de toutes ces formes dans la coujugaison actuelle. 103
III. — Variations dues aux traitements divers du (c) /Ç?ja/
du radical 104
IV. — Verbes français en oindre, eindre, oindre 105
V. — De lu vocalisation de V {/) daiu les formes verbales.. 106
VI. — Des consonnes euphoniques introduites dans la conju-
gaison 108
TABLE MÉTHODIQUE DES MATIERES. 341
Les flexions du verce 110
La flexion [ans) des premières persoimes du pluriel 110
Les flexions de chaque temps 111
L — Infinitif 111
II. — Participe présent et gérondif 113
III. — Participe passé 115
Participes en é, i, des verbes eu er, ir U5
Participes en t 115
Participes en m 118
1. Verbes en air 119
2. Verbes en re 119
Participes en s 120
Participes exceptionnels en i et en eit 121
Résumé 122
IV. — Présent de l'indicatif 123
Conjugaison en er ; 123
Conjugaison en re, air, ir 124
Conjugaison inchoativc 128
V. — Présent du subjonctif. 128
Conjugaison en er 128
Conjugaison en re, oir, ir 130
VI. — Imparfait de Vindicatif 132
Imparfaits en ève et eu oe 132
Imparfaits en oie, ais 134
Imparfaits en ive 135
VII. — Futur et conditionnel 135
Formation du futur et du conditionnel 135
RedoulDlement de Vr 138
Substitution exceptionnelle, au futur et au conditionnel,
du radical tonique au radical atone 1 39
VIII. — Impératif 139
IX. — Prétérit de l'indicatif 141
Prétérits en ai 141
Prétérits en f 142
Prétérits français dérivés des prétérits latins en evi, ui... 142
Prétérits dérivés des prétérits latins on si 146
Pi'étérits dérivés des prétérits latins en i 149
342 TABLE MÉTHODIQUE DES MATIÈRES.
Prétérits se rattachant h dedi 150
X. — Imparfait du subjonctif 151
XI, — Le temps archaïque dérivé du plus-que-parfait latin. 152
La conjugaison du verbe « être » 154
Infinitif 154
Participe présent et participe passé 154
Indicatif présent 154
Subjonctif présent 155
Imparfait de l'indicatif 155
Futur et conditionnel 156
Impératif 157
Prétérit de l'indicatif et imparfait du subjonctif 157
Chapitre X. — Des mots invariables 158
L'* adverbiale 158
Modifications intérieures subies par les adverbes en ment. 158
Formes contractes où entre l'adverbe en 159
LMnterjection « hélas! » 159
SYNTAXE
PREMIÈRE PARTIE
SYNTAXE PARTICULIÈRE
Remarques communes aux noms, adjectifs et pronoms : emploi
DES CAS 161
I. — Cas sujet et cas régime. 161
II, — Ellipse des prépositions « de » et a à » devant le cas ré-
gime 1 82
Chapitre I". — Syntaxe du nom 163
Genre français des noms neutres en latin 163
Noms féminins de la deuxième déclinaison latine 164
Noms la i ins en « or, orem » 164
règle générale du genre primitif des noms en français. cau-
ses de variation 1c4
TABLE MÉTHODIQUE DES MATIÈRES. 343
Liste de noms a genre variable 166
Chapitre II. — Sy7itaxe de l'adjectif 1 68
Emploi ancien des formes féminines analogiques 168
Adjectifs invariables par position 169
Chapitre III. — Syntaxe des noms de nombre 169
Article devant les noms de nombre cardinaux 169
Chapitre IV. — Syntaxe de Varticle et des adjectifs et pronoms
démonstratifs 170
L'Article 170
I. — Emploi des noms sans article et sans « de » partitif. . . 170
II. — Emploi de l'article après le « de » partitif. 171
III. — Non-emploi de l'article devant les 7ioms de pays 171
Les adjectifs et pronoms démonstratifs 172
I. — Les différents cas de « icist, cist « 172
II. — Emploi de « icisf, cist » comme prono^n 173
III. — L'adjectif pronom « icil, cil yt 173
IV. — « Cist » et « cil » employés au lieu de l'article 174
V. — « Cist » opposé à « cil n 1 75
VI. — Le pronom neutre « ce » 175
Chapitre V. — Sy?itaxe des pronoms personnels 176
Pronom personnel non exprimé 176
Pronom pléonastique 177
Je, tu, il au lieu de moi, toi, lui 177
Moi, toi, soi, lui au lieu de me, te, se, le 178
Emploi de Ici et H 179
Emploi de leur 179
Lui, eux au lieu de se 180
Chapitre VI. — Syntaxe des adjectifs et pro?ioms possessifs 181
Cas de l'adjectif possessif 18I
Nostre, vostre au cas sujet masculin pluriel de l'adjectif
possessif, au lieu de tios, vos 181
Nos, vos, 710, vo au lieu de nostre, vostre 182
Ma, (a, sa devant un nom commençant par une voyelle.. 183
Le 77iien, le tien, &ic., employés comme adjectifs 183
Emplois exceptionnels de difTérontes formes de l'adjectif
possessif. 184
344 TABLE MÉTHODIQUE DES MATIÈRES.
Chapitre VII. — Syntaxe du pro7ioin relatif et interrogatif. ... 184
Cui ou qui au lieu de que, à qui 184
De supprimé devant le pronom relatif 185
Pronom relatif avec un nom de chose pour antécédent 185
Que pronom neutre sujet 186
Cui ou qui interrogatif au lieu de à qui 186
Que neutre interrogatif entre deux verbes 187
Chapitre VIII. — Syntaxe des adjectifs et pronoms indéfinis... 187
Chapitre IX. — Syntaxe du verbe 193
Emi-loi des différentes espèces de verbes 193
I. — Vej'bes auxiliaires « e'tren et a aller » suivis du géron-
dif-participe 193
II. — Verbe suppléant « faire >^ 194
III. — Verbes transitifs, inlransitifs et réflécliis 194
Variations générales dans les acceptions des verbes 194
Auxiliaires qui servent à conjuguer les verbes transitifs,
intraiisitifs et réfléchis 198
Emploi des différentes flexions du verbe 199
I. — Nombres et perso7mes 199
U. — Modes et temps 200
Infinitif et gérondif 200
1. Particularité commune à l'emploi du gérondif et de
l'infinitif 200
2. Infinitif pour l'impératif 20O
3. Infinitifs pris substantivement 20O
4. Infinitif après la préposition e?î 201
5. Temps de l'infinitif 201
6. Gérondif 202
Participe présent 203
Participe passé 203
1. Accord du participe employé avec l'auxiliaire avoir.. 203
2. Participe avec êli-e dans la conjugaison des verbes
neutres et des verbes léfiéchi? 204
Indicatif 205
1. Imparfait 205
2. Passé défini et passé indéfini 205
3. Passé antérieur 206
Subjonctif 207
TABLE MÉTHODIQUE DES MATIERES. 345
1. Imparfait -207
2. Emploi du mode subjonctif 208
Accord des temps 209
1. Accord de coordination et de subordination non com-
plétive 209
2. Accord de subordination complétive 210
Chapitre X. — Syntaxe de la préposition 210
A 211
I. — Principales valeurs de la préposition « à » 211
II. — Divers sens de « à » se rattachant à ridée de « mou-
vement vers, tendance » 211
Sens général 211
A devant le complément indirect 212
A marquant le rapport de possession 212
A au lieu de pour devant un infinitif 213
A et non de devant un infinitif 213
A au lieu de pour dans le sens de pour une durée de., .. 214
A au sens de à titre de, comme , 214
A dans le sens distributif 215
III. — Divers sens rfe « à r> se rattaclinnt à l'idée de « sé-
jour, situation, état » 215
Sons général 215
A devant un infinitif ou un gérondif au lieu de e?i suivi
du gérondif 210
A sans idée de mouvement, se rapportant à la durée 216
A au lieu de avec 217
A suivi d'uu adjectif. 218
IV. — Divers sens de (x à » se rattachant à l'idée de « mou-
vement hors de, origine « 218
A au lieu de par après un verbe passif ou pris dans un
sens passif 218
A au sens do selon, d'après '>19
AiNÇOIS, ANCEIS, ENCEIS 219
AiNS 220
Aprop 220
As, ES 220
A TOUT 220
346 TABLE MÉTHODIQUE DES MATIERES.
Avers 220
Contre 221
De 221
Principales valeurs de la préposition de 22 1
De marquant le rapport de possession 222
De et non à devant un infinitif 222
De relativement à la durée 223
1. De au sens de depuis 223
2. De au sens de pendant 223
2. De marquant le moment de l'action = 223
De signifiant de la part de, au nom de 224
De au lieu de par après un participe passé 224
De marquant l'instrument, la manière 224
De marquant restriction de l'idée exprimée par le verbe ou
l'adjectif 226
De marquant le moj-en 227
De marquant la cause 227
De signifiant au sujet de 228
De précédant l'infinitif ou le nom sujet logique d'une pro-
position 229
De au lieu de que après un comparatif 229
De séparant un adjectif ou un substantif qualificatif du nom
qualifié 229
Decoste 230
Dedans , 230
Defors 230
Dejuste, dejoste 230
Delez 230
DÈS 231
Dessous, dedessous 231
Desdr, dessus 232
Devant, dedevant 232
Emprès 232
En 232
Enceiz 23$
Encontre 233
Encoste 233
Endbeit, endroit 234
Enmi 234
TABLE MÉTHODIQUE DES MATIÈRES. 347
Ensemble 234
Ens en 235
Entour 235
Entre 235
Entresque a 236
Envers 236
Environ 236
Es , 236
Fors 237
Juste, joste 237
Lez, lès 237
Long 237
Ne mais que, ne mais 237
0 238
Outre 238
Par 238
Parmi 240
Pois 240
Que en, que a 241
Selon 241
Sur 241
TeESQUE a, TRESQUE en, TRES 242
Vers 242
Chapitre XI. — Syntaxe de l'adverbe 242
Adverbes qui sont aussi prépositions 242
Adverbes proprement dits 244
I. — Adve7'bes de lieu 244
II. — Adverbes de temps 243
III. — Adverbes de quantité 252
IV. — Adverbes de manière 255
V. — Adverbes d'affirmation, négation ou doute 257
Chapitre XII. — Syntaxe de la conjonction 259
Et et ni 259
Que 260
Conjonctions formées avec « que » 260
ains, ainçois, car, jusques, sinon 261
348 TABLE MÉTHODIQUE DES MATIÈRES.
DEUXIÈME PARTIE
SYNTAXE GÉNÉRALE
Chapitre I. — Ordi'e des mots ■. 263
Ordre des mots relativement au verbe 263
I. — Place du participe et de l'auxiliaire 263
II. — Place du sujet et du complément direct 264
m. — Place du complément indirect et de l'attribut 266
Attribut 267
Complément indii'cct 267
IV. — Sujets et compléments d'un verbe à l'infinitif et du
verbe qui le régit 267
V. — Le pronom personnel sujet 268
VI. — Les pronoms régimes 269
VII. — Pronoms sujets et régimes d'un infinitif 270
VIII. — Place des adverbes 272
Ordre des mots qui ne sont pas en rapport immédiat avec le
VERBE 272
I. — Compléments des mots autres que le verbe 272
II. — Place de l'adjectif épithète 273
III. — Adverbe se rapportant à un adjectif ou à un autre
adverbe 275
IV. — Place des adjectifs déterminalifs 276
Chapitre II. — Ordre des propositions 276
TROISIÈME PARTIE
VIEUX GALLICISMES
Il y a, il n'y a pas, il a, y a, a 279
Faire à suivi d'un infinitif 280
Faire que suivi d'un adjectif ou d'un substantif 280
Pour peu, pour peu que, a bien petit que, pour un peu
que 281
Celui ou celui qui dans une proposition négative 281
Est qui dans le sens de quelqu'un (quelqu'un est qui).. . . 282
D'une chose à faire, pour une chose à faire, etc., au lieu
do de faire une chose, pour faire une chose, ctc 282
TABLE MÉTHODIQUE DES MATIÈRES. 349
PHONÉTIQUE
Définitions 283
PREMIÈRE PARTIE
TRANSFORMATION DES VOYELLES ET DIPHTONGUES
GÉNÉRALITÉS 285
I. — Quantité des voyelles en latin 285
II. — Quantité naturelle des voyelles suivies de plusieurs
consonnes 285
III. — Influences diverses qui agissent sur la transforma-
tion des voyelles 286
Action des gutturales 286
Action de /, de c ou i consonnifiable, de i final 287
Action d'un u atone 288
Action de plusieurs consonnes suivant immédiatement la
voyelle 288
Tableaux de phonétique vocalique 289
Explication des tableaux 289
A tonique 292
A do la syllabe initiale 294
E long tonique 295
E long de la syllabe initiale 296
E bref tonique 297
E bref do la syllabe initiale 298
/ long tonique 299
/ long de la syllabe initiale ;}00
/ bref tonique ;î01
l bref de la syllabe initiale J02
0 long tonique 303
0 long de la syllabe initiale 304
0 bref toniquo 305
0 bref de la syllabe initiale 307
U long tonique 307
U long de la syllabe initiale ;i08
U bref tonique 309
Clédat. 2 0
390 TABLE METHODIQUE DES MATII-RES.
U bref de la syllabe initiale 310
Y ; 310
Diphtongues 311
\. M, CB 311
2. Au., 311
DEUXIÈME PARTIE
TRANSFORMATION DES CONSONNES
Lois générales des consonnes 312
Lois particulières a chaque consonne 314
l" H 314
20 Les guttui-alos et le 7 315
C 315
G 318
Q 318
J 320
3° Les dentales 321
Exceplious à la loi gcncralc 1 32 (
Exceptions, à la loi générale 2 321
4° Les labiales 322
Exceptions à la loi générale 1 322
Exceptions à la loi générale 2 323
5» Les liquides 324
6° Les nasales 325
70 S 326
80 X et Z 327
Les groupes de plus de deux consonnes . . 327
Loi générale 5 327
Groupe commençant par deux consonnes semblable^ 327
Groupe Unissant par une s 328
Groupe finissant par une liquide ZT^
TABLE MÉTHODIQUE DBS MATIÈRES. 3bl
NOTIONS GÉNÉRALES SIR LA VERSIFICATION FRANÇAISE
DU MOYEN AGE
Principe de la versification française. La césure ;i31
La syllabe mdette a la fin du vers et a la césure 332
L'assonance et la rime 333
L'élision 334
L'hiatus 334
Variation du nombre des syllabes dans certains mots 335
FIN DE LA TABLE MÉTHODIQUE DES MATIÈRES.
SiG3-87. — ConDBiL. Typ. et stér. Cftiirà.
1.
I
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i /A"
s C Glédat, Léon
2821 Grammaire élémentaire de 1;
G5 vieille langue française ^.
PLEASE DO NOT REMOVE ^
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